Les mennonites français et leur appartenance protestante et évangélique…

Depuis une quinzaine d’années, les mennonites de France réfléchissent à adhérer à une entité fédérative ou inter-dénominationnelle. Le processus est à l’arrêt actuellement. Explications.

Comment les mennonites français peuvent-ils se situer dans l’ensemble du protestantisme français ? Nous sommes une petite minorité au sein de la minorité protestante française, elle-même composée de familles nombreuses. Ces familles ont leurs origines – directement ou indirectement – dans la Réforme protestante. Depuis, les protestants ont continué à se diviser et comptent aujourd’hui plusieurs milliers de dénominations dans le monde.

Nés dans les premières années de la Réforme, les mennonites ont connu le rejet et la persécution, ce qui a fait d’eux des marginaux, souvent obligés à l’émigration. Pendant longtemps, à cause de cette histoire, les liens avec les protestants luthériens et réformés n’étaient pas évidents. Vers la fin du 17e siècle est apparu un mouvement de renouveau au sein du luthéranisme appelé le piétisme. Ce mouvement s’est beaucoup répandu et a eu une influence importante sur les mennonites français et européens. Beaucoup d’Eglises évangéliques d’aujourd’hui ont leurs racines dans le piétisme et les réveils qui en sont issus. C’est un milieu dans lequel les mennonites français se sentent à l’aise.

FPF

Mais que faire malgré tout en réponse au fractionnement protestant ? En 1905, la Fédération Protestante de France (FPF) est née, avec l’intention de créer une plate-forme où les protestants pouvaient collaborer, et dialoguer avec la société environnante. Essentiellement composée de réformés et de luthériens, il y a cependant eu des membres évangéliques dans cette fédération depuis ses origines, ce qui est encore le cas aujourd’hui.

Plusieurs assemblées mennonites ont une histoire de collaboration avec les protestants, notamment par le partage de lieux de cultes (Toul, Saint-Genis, Bar-le-Duc, Châtenay-Malabry, Pontarlier). Les œuvres sociales mennonites sont membres de la Fédération de l’Entraide Protestante qui, elle, fait partie de la FPF.

Ainsi, une discussion a été lancée au sein des assemblées mennonites de France pour savoir si elles voulaient adhérer à la FPF. En 2007, une réponse négative a été donnée à la question. Néanmoins, le bureau de l’Association des Eglises Evangéliques Mennonites de France (AEEMF) d’alors a constaté qu’une majorité significative (voir ci-dessous) avait voté en faveur de l’adhésion ; il a fait savoir que ce fait ne pouvait être négligé et que la question serait un jour reposée.

CNEF

Entretemps est né le Conseil National des Evangéliques de France (CNEF) en 2010, composé d’un nombre important des Eglises évangéliques. Parmi ces Eglises, certaines ne veulent pas être associées à la FPF, à leurs yeux trop « libérale », tandis que d’autres sont membres des deux (CNEF et FPF). Comment les mennonites de France se positionnent-ils dans cette configuration nouvelle ?

 

Double adhésion ?

Pour répondre à cette question, un groupe de travail, composé de membres du bureau de l’AEEMF et de la commission Foi et Vie, collaborant avec des représentants des assemblées qui voulaient discuter de la question, a proposé une adhésion aux deux entités en 2012. Quelles étaient les raisons derrière cette proposition ?

  • Le constat que 66 % des membres des assemblées et 65 % des assemblées avaient exprimé le désir d’appartenance à la FPF et que les racines historiques des mennonites remontent à la Réforme protestante.
  • L’enracinement évident des mennonites dans le milieu évangélique et les nombreuses collaborations déjà existantes
  • Dans un contexte où l’entente entre protestants de différentes tendances (luthéro-réformés et évangéliques) n’est pas toujours facile, l’accent mennonite sur l’appel à être « artisans de paix » pourrait être exprimé par une double adhésion, ouvrant la possibilité d’être un « pont » entre les deux mondes.
  • L’importance pour les assemblées mennonites de réfléchir au bien de l’ensemble de l’union d’Eglises et pas seulement à partir du contexte local. Pourquoi priver les uns ou les autres de pouvoir approfondir des liens et des collaborations déjà existants ?

Cette proposition de double adhésion n’a pas fait l’unanimité.  La décision récente de l’Eglise protestante unie de France (EPUdF) de laisser aux pasteurs le choix de bénir des couples d’homosexuels a compliqué le débat. L’EPUdF est l’un des membres de la FPF, ses paroisses ne sont pas toutes d’accord sur cette décision et les membres évangéliques de la FPF s’y opposent.

En réponse, certaines assemblées mennonites ont proposé de pouvoir se décider séparément pour l’une ou l’autre entité (FPF ou CNEF), proposition qui n’a pas remporté une majorité. Ainsi, la procédure s’est ralentie pour laisser la place à un temps de réflexion et de discussion, ce qui est la situation actuelle.

Les enjeux sont importants, car les mennonites ne peuvent pas se contenter d’exister seuls, sans lien avec les autres protestants, luthéro-réformés et évangéliques. La difficulté semble être la manière de se positionner face aux questions pour lesquelles il y a des avis différents au sein des mennonites français.

Pour ou contre

En ce qui concerne la FPF, pour les uns, face à la théologie libérale, il n’y a pas de possibilité de lien. Pour les autres, il s’agit de représenter notre position en discussion avec les autres, sachant qu’au sein de la FPF, il y a des Eglises qui souhaiteraient l’arrivée des mennonites pour se sentir renforcées. Les membres de la FPF signent une charte de collaboration, mais chaque Eglise garde sa confession de foi et ses pratiques. Aucune obligation de changer de théologie.

Quant au CNEF, le choix semble plus facile pour beaucoup. Ne sommes-nous pas des évangéliques ? Certains répondront qu’il y a aussi des débats importants au sein du monde évangélique :  il y en a qui baptisent les enfants, la plupart ne partagent pas notre positionnement concernant la non-violence, et on constate les dérives politiques possibles chez les évangéliques d’autres pays comme aux USA.

Nous avons beaucoup d’amis et de choses communes dans les deux mondes protestants. La question de base semble être : que faire devant les désaccords entre chrétiens ? Y aller pour témoigner et discuter ou refuser d’être présent là où l’on ne se sent pas à l’aise.

Neil Blough—Neal Blough, Eglise de Châtenay-Malabry, directeur du Centre Mennonite de Paris, professeur d’histoire de l’Eglise à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine