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  • L’inégalité économique : Explorer notre engagement commun pour le shalom

    Un des engagements de notre communion mondiale d’églises anabaptistes consiste à travailler au shalom. Nous croyons à l’engagement pour la justice et au partage de nos ressources, qu’elles soient matérielles, financières ou spirituelles. Pourtant, à cause de notre immense diversité, notre engagement prend différentes formes. Dans le numéro d’avril 2014, les responsables de notre communion analysent la manière dont les anabaptistes abordent la question de l’inégalité économique, et comment nous, en tant que disciples du Christ en quête du shalom, essayons de réduire les écarts de richesse dans nos communautés.

    L’égalité entre chrétiens : une utopie ?

    Vous vivons dans un monde déchu. Ce n’est pas le monde que Dieu avait prévu. Quand nous avons décidé de pécher, nous avons choisi notre propre chemin et notre propre seigneur, ce qui n’a pas été une bénédiction pour nous et pour les autres. Cependant, Dieu n’a pas abandonné ce monde déchu. Il tente constamment de racheter sa création, ainsi que l’attestent les Écritures.

    Nous devons faire face à deux éléments contradictoires en nous et dans les structures dans lesquelles nous vivons. Bien que notre monde soit déchu, l’image de Dieu n’est pas complètement effacée : il y a des éléments de la ‘bonne’ création de Dieu en nous. D’autre part, notre décision consciente de nous rebeller contre Dieu et ses desseins affecte toute la terre. Nous avons tous des éléments de l’image de Dieu et des éléments de nature déchue.

    Nous chrétiens mennonites/anabaptistes, nous avons un héritage spirituel important. Le mouvement anabaptiste est né dans une période de crise. La recherche d’une vie chrétienne ressemblant à l’Église primitive des Actes a certainement influencé sa théologie. Comme ce fut le cas dans l’Église primitive, les communautés anabaptistes ont essayé de réduire les inégalités économiques en leur sein. La dimension radicale du ‘premier amour’ se voit aussi dans le souci des pauvres. La dimension économique était une façon concrète de manifester l’amour du Christ.

    Cependant, avec le temps, le christianisme est devenu plus ouvert au monde. Bien sûr, les chrétiens se sont toujours adaptés à la société, ainsi que le témoignent les lettres aux sept églises d’Apocalypse 2-3. Nous y constatons un dualisme : si au début la culture a généralement été considérée comme ‘mondaine’, après un certain temps les barrières sont tombées et elle a été vue positivement.

    Quelque chose de semblable s’est passé avec les mouvements anabaptistes. Les premières années de persécution ont cédé la place à la tolérance et à une certaine distance du monde. Ceci, cependant, n’a pas évité les tentations de la chair, amenées par la culture précédente. La distance avec le monde a créé un sentiment de fausse sécurité : le monde était loin et ne pouvait les influencer.

    Peu de mennonites brésiliens vivent encore dans les colonies. Le capitalisme et le matérialisme ont amené d’énormes inégalités, qui semblent encore plus marquées dans les contextes urbains. Les mennonites du Brésil ont été fortement influencés par la culture dominante. Les inégalités sont aussi grandes dans l’Église que dans la société.

    Les mennonites sont arrivés au Brésil de Russie en tant que réfugiés, avec très peu. Cependant, le désir de faire bouger les choses et leur esprit communautaire initial les ont poussés à chercher des occasions d’améliorer leur situation économique. Grâce à leur dur travail, la plupart d’entre eux ont rapidement progressé financièrement. Ceux dont la situation ne s’est pas améliorée ont souvent été accusés de paresse. Les inégalités se sont accrues avec l’évangélisation. Beaucoup de Brésiliens sont très pauvres. Les mennonites se sont comparés à ces Brésiliens : « Nous aussi n’avions rien au départ, et regardez-nous aujourd’hui. Il est évident qu’ils ne cherchent pas avoir une vie meilleure ».

    La croissance économique du Brésil est allée de pair avec celle du matérialisme chez les mennonites. L’individualisme a remplacé l’esprit communautaire et les inégalités sont ignorées, bien que nous les ayons sous les yeux. Il peut y avoir un manoir à côté d’un bidonville et cela ne pose généralement aucun problème aux Brésiliens. Ce manque de compassion se retrouve dans les assemblées mennonites. Elles n’avaient aucune action sociale jusque récemment, en raison de l’influence fondamentaliste et de la volonté de se démarquer de l’Église catholique. Aujourd’hui, la plupart des mennonites du Brésil parlent au moins de faire quelque chose pour les pauvres. Certains essaient d’aider les personnes ou les groupes en distribuant de la nourriture, des vêtements ou d’autres choses. Ils essaient de répondre à certains des besoins les plus urgents, mais, comme c’est le cas dans la société, les inégalités sont rarement mentionnées.

    Il y a quelques années, j’ai été invité lors d’une retraite familiale à parler du style de vie simple. Certaines personnes ont réfléchi à la question, mais il n’y a pas eu de discussion ni d’examen des questions pratiques. Il semble que nous ne soyons pas encore prêts ; allons-nous jamais l’être ?

    Arthur Dück est directeur et professeur des études interculturelles à l’Institut chrétien Faculdade Fidelis de Curitiba (Brésil), appartenant aux Frères Mennonites.

  • L’inégalité économique : Explorer notre engagement commun pour le shalom

    Un des engagements de notre communion mondiale d’églises anabaptistes consiste à travailler au shalom. Nous croyons à l’engagement pour la justice et au partage de nos ressources, qu’elles soient matérielles, financières ou spirituelles. Pourtant, à cause de notre immense diversité, notre engagement prend différentes formes. Dans le numéro d’avril 2014, les responsables de notre communion analysent la manière dont les anabaptistes abordent la question de l’inégalité économique, et comment nous, en tant que disciples du Christ en quête du shalom, essayons de réduire les écarts de richesse dans nos communautés.

    Réparer la brèche

    Depuis quelques temps, la télévision nord-américaine passe de nombreux clips d’organisations d’Amérique du Nord qui demandent de l’argent pour lutter contre la faim dans le monde. Ces clips, montrant des enfants tristes, la plupart africains, cherchent à nous émouvoir. L’un d’eux mentionnait que chaque année, 17 000 enfants meurent de faim, ce qui fait apparemment un mort toutes les cinq secondes. C’est déchirant.

    Mais, bien que la faim soit un problème en Afrique, il semble que ces clips ignorent le problème de la faim ici aux États-Unis, et perpétuent les stéréotypes de ‘ces pauvres Africains’. On dit souvent que les États-Unis sont le pays le plus riche du monde. Alors, pourquoi, selon World Hunger Education Services, 14,5 % des familles (soit près de 49 millions de personnes) souffrent d’insécurité alimentaire, c’est à dire que ‘l’apport alimentaire des membres de la famille est parfois réduit et leurs habitudes alimentaires normales perturbées, faute d’argent ? Comment est-il possible qu’aux États-Unis, une personne sur sept (dont un enfant sur cinq) vive en dessous du seuil de pauvreté ?

    Ces chiffres lamentables sur la faim et la pauvreté aux États-Unis sont encore plus dérangeants lorsque l’on considère également les éléments suivants : selon le Center on Budget and Policy Priorities, en 2007, 10 % des Américains avaient 47 % des revenus et détenaient 74 % de la richesse, et cet écart n’a pas diminué depuis 2007. Ou encore : au cours des 35 dernières années, le revenu de 1 % des plus riches a augmenté de 201 %, tandis que le revenu des 60 % du milieu n’a augmenté que de 40 %, selon le U.S. Congressional Budget Office. Le problème n’est pas qu’il n’y a pas assez de richesse aux États-Unis, c’est qu’elle est inégalement – très inégalement répartie.

    Citant des statistiques comme-celles ci-dessus, le président américain Barack Obama a noté en décembre 2013 que l’inégalité croissante aux États-Unis « remet en question l’essence même de notre identité en tant que peuple […] L’idée qu’un enfant ne pourra peut-être jamais sortir de la pauvreté par manque d’instruction, de soins médicaux, ou d’une communauté concernée par son avenir, devrait nous indigner tous et nous pousser à agir. Notre pays vaut mieux que cela. »

    Pourquoi les inégalités économiques augmentent-elles aux États-Unis ? La question est complexe et n’a pas de réponse simple, mais il est clair que certains facteurs contribuent au problème. Parmi ces facteurs figurent : les intérêts commerciaux des entreprises qui prennent le pas sur des politiques publiques plus équitables, la peur du socialisme et de la prétendue ‘redistribution des richesses’, l’idée que le gouvernement ne doit plus être un ‘filet de sécurité’, et l’opinion que les gens sont pauvres parce qu’ils ont fait de mauvais choix et ne prennent pas leurs responsabilités – et non parce que le système leur est défavorable. La diminution de l’aide alimentaire* et de l’assurance-chômage à long terme, ainsi que le manque de volonté de certains politiciens pour augmenter le salaire minimum, tout en continuant à voter des allégements fiscaux pour les particuliers et les sociétés riches, sont des exemples de politiques qui contribuent à perpétuer les inégalités.

    L’inégalité économique est un défi important pour les églises nord-américaines, et elles y ont souvent bien répondu. Beaucoup de chrétiens (et d’autres) font du bénévolat et contribuent financièrement à des organisations caritatives. De nombreuses paroisses mènent des actions, ou y participent, pour venir en aide aux personnes démunies. Pourtant, en dépit de ces efforts, l’inégalité économique subsiste. L’écart entre les riches et pauvres s’accroît. La générosité et la pratique de la ‘religion pure’ de Jacques 1/27 (aider les veuves et les orphelins) sont des impératifs scripturaux importants à mettre en pratique. Mais c’est aussi vrai pour les injonctions à ‘travailler à la justice’ et à créer des systèmes sociaux qui n’oppriment pas les démunis (voir Michée 6/8 et Amos 2/6-7). Dans le contexte actuel de l’énorme inégalité aux États-Unis, et ailleurs, les paroles d’Ésaïe 58 devraient nous interpeller tous les jours :

    Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci :

    dénouer les liens provenant de la méchanceté,

    détacher les courroies du joug,

    renvoyer libres ceux qui ployaient,

    bref que vous mettiez en pièces tous les jougs !

    N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ?

    Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras,

    si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras :

    devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. (Ésaïe 58/6)

    Ésaïe continue et promet que si nous faisons cela, nous serons appelés ‘réparateur des brèches’ et ‘restaurateurs des rues ‘– objectifs dignes d’efforts.

    Harriet Sider Bicksler est membre de l’église Frères en Christ de Grantham (Mechanicsburg, États-Unis). Elle est aussi éditrice de Shalom !, un trimestriel des Frères en Christ traitant des questions de paix et de justice.

  • L’inégalité économique : Explorer notre engagement commun pour le shalom

    Un des engagements de notre communion mondiale d’églises anabaptistes consiste à travailler au shalom. Nous croyons à l’engagement pour la justice et au partage de nos ressources, qu’elles soient matérielles, financières ou spirituelles. Pourtant, à cause de notre immense diversité, notre engagement prend différentes formes. Dans le numéro d’avril 2014, les responsables de notre communion analysent la manière dont les anabaptistes abordent la question de l’inégalité économique, et comment nous, en tant que disciples du Christ en quête du shalom, essayons de réduire les écarts de richesse dans nos communautés.

    La main ouverte, pas la charité

    Pe Portugal est un petit pays d’environ 92 000 kilomètres carrés. Pourtant, il a toujours été fasciné par la croissance et l’expansion. Dans le passé, nous nous sommes tournés vers la mer : nous avons découvert de nouveaux pays et nous avons connu un grand développement économique. Cette époque de la découverte et de l’exploration a donné à notre pays une perspective internationale. Il n’est pas tellement exagéré de dire que le Portugal est le tout premier pays mondial.

    Mais à un certain moment, le Portugal s’est simplement arrêté. C’est surtout à cause d’un dictateur qui a ‘gelé’ notre pays, économiquement, politiquement et socialement, pendant plus de 40 ans. Cette période de stagnation a affecté la mentalité portugaise jusqu’à ce jour.

    Lorsque le Portugal s’est libéré de la dictature le 25 avril 1974, il s’attendait à entrer dans une ère de croissance. Douze ans plus tard, lorsque nous avons rejoint l’Union européenne (UE), nous en avons immédiatement vu les avantages : des infrastructures ont été construites, des emplois ont été créés et des investissements ont renforcé notre économie. Le temps était venu pour le Portugal de ‘rattraper’ le reste de l’Europe.

    Malheureusement, les politiciens ont ignoré le revers de la médaille du développement. Année après année, le gouvernement a dépassé son budget. Sa dette a tellement augmenté que, pendant l’été 2011, l’Union européenne, la Banque européenne et le Fonds monétaire international ont dû intervenir.

    Soudain, l’économie du Portugal s’est effondrée. Le taux de chômage a augmenté de 16 % (près de 20 % selon les chiffres récents). L’émigration a repris, surtout parmi les jeunes. La lutte pour la survie est redevenue une réalité.

    Les Frères mennonites portugais ont commencé à s’en rendre compte dans leur propre communauté. Nous savions qu’il nous fallait agir. Nous avons commencé par demander à nos membres d’apporter tous les dimanches quelques petites choses qui pourraient être données à ceux qui en ont besoin. En outre, ces dernières années, nous avons reçu des dons d’Allemagne, par camion, tous les 2-3 mois. Il s’agit principalement de vêtements, de matériel électroménager et de meubles, ainsi que de nourriture. Ces dons permettent d’aider les démunis de notre ville.

    Pourtant, nous voulions éviter la ‘facilité’ de faire la charité. Aussi, en octobre 2013, nous avons ouvert un magasin d’occasions, petit, mais qui se développe, grâce à l’aide de Dieu. Situé dans un quartier pauvre près de la capitale, Lisbonne, le magasin vend ce que nous recevons d’Allemagne et permet aux personnes à faible revenu d’acheter des vêtements et d’autres marchandises à un prix symbolique. Nous pensons qu’il vaut mieux que les clients paient, même très peu, plutôt que d’être assistés. Et nous avons constaté qu’en dépit de leurs problèmes financiers, ils peuvent faire des achats.

    Et si certains n’ont pas d’argent, on trouve les moyen de préserver leur dignité par l’échange : ils peuvent apporter un kilo de riz, un paquet de spaghetti ou autre chose à échanger avec ce dont ils ont besoin. Un jour, un homme sans domicile fixe de ce quartier a voulu acheter un manteau, mais il n’avait pas l’argent à ce moment-là. Nous lui avons dit qu’il pourrait payer plus tard, et nous lui avons donné le manteau. Ê la fin du mois, il est revenu au magasin pour honorer son engagement.

    Ainsi nous enseignons aux gens à être responsables, même si c’est en payant seulement des petites sommes.

    Un autre impact réel de notre petit magasin est le témoignage. Les clients sont souvent impressionnés par la façon dont nous témoignons de l’amour de Dieu. Nous avons de la littérature chrétienne gratuite pour tous ceux qui entrent, et de temps en temps, des habitants du quartier viennent à notre culte du dimanche. C’est un moyen pour eux de découvrir le Christ. Peut-être s’engageront-ils pour le Seigneur…

    Une fois par mois, nous nous réunissons avec les habitants du quartier pour un repas. C’est une occasion spéciale parce que ceux qui viennent reçoivent un repas substantiel, mais ont aussi la chance d’entendre l’Évangile pendant une quinzaine de minutes. Nous avons placé stratégiquement ce message entre le plat principal et le dessert : il y a une pause, la Parole de Dieu, et ensuite un délicieux dessert.

    Notre assemblée locale est composée de gens simples. Et pourtant, grâce à notre ADN anabaptiste – évidente dès que les Frères mennonites ont commencé leur travail au Portugal en 1984 – il est très facile de nous mobiliser pour répandre de l’amour et bénir ceux qui nous entourent. Il ne s’agit pas de faire une bonne œuvre, mais de montrer de la compassion parce que nous savons que dans le Royaume de Dieu, nous sommes tous frères et soeurs ; nous nous réunissons pour louer Dieu chaque dimanche, certains riches, et certains sans le sou, mais tous unis en Christ.

    C’est pourquoi notre communauté Frères mennonites est très engagée, heureuse de tendre la main – pas de faire la charité – pour aider ceux qui en ont besoin. Aussi nos églises grandissent, et Dieu se manifeste et change la vie des Portugais.

    José Arrais est président de l’Associação dos Irmãos Mennonitas de Portugal (Frères mennonites).

  • L’inégalité économique : Explorer notre engagement commun pour le shalom

    Un des engagements de notre communion mondiale d’églises anabaptistes consiste à travailler au shalom. Nous croyons à l’engagement pour la justice et au partage de nos ressources, qu’elles soient matérielles, financières ou spirituelles. Pourtant, à cause de notre immense diversité, notre engagement prend différentes formes.

    L’égalité entre chrétiens : une utopie ? (Arthur Dück, Brésil)

    Comme ce fut le cas dans l’Église primitive, les communautés anabaptistes ont essayé de réduire les inégalités économiques en leur sein. La dimension radicale du ‘premier amour’ se voit aussi dans le souci des pauvres. La dimension économique était une façon concrète de manifester l’amour du Christ.

    Réparer la brèche (Harriet Sider Bicksler, États-Unis)

    L’inégalité économique est un défi important pour les églises nord-américaines, et elles y ont souvent bien répondu. Beaucoup de chrétiens (et d’autres) font du bénévolat et contribuent financièrement à des organisations caritatives. Pourtant, en dépit de ces efforts, l’inégalité économique subsiste.

    Une mission modelée sur le Christ (Bijoy K. Roul, Inde)

    Il n’y a pas de réponse facile à la question de savoir pourquoi la majorité souffre de l’inégalité économique. Nous n’avons que quelques théories. Bien sûr, les facteurs varient selon le lieu, l’époque et le pays. Un facteur peut être déterminant à un endroit et pas ailleurs.

    La main ouverte, pas la charité (José Arrais, Portugal)

    Soudain, l’économie du Portugal s’est effondrée. Le taux de chômage a augmenté de 16 % (près de 20 % selon les chiffres récents). L’émigration a repris, surtout parmi les jeunes. La lutte pour la survie est redevenue une réalité. Les Frères mennonites portugais ont commencé à s’en rendre compte dans leur propre communauté. Nous savions qu’il nous fallait agir.

  • Quand Conrad Grebel a baptisé ses amis le 25 janvier 1525 au soir, à Zurich (Suisse), il ne pouvait imaginer que ce petit geste annonçait la naissance de la grande famille mondiale spirituelle de la Conférence Mennonite Mondiale. De Suisse, le mouvement anabaptiste s’est répandu vers le nord, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. Après la débâcle de Münster, Menno Simons a été leur ‘pasteur’, puis les mennonites ont émigré à l’est de la Prusse, et plus tard en Russie et en Ukraine. Plus tard encore, ils sont allés jusqu’en en Amérique du Nord et du Sud, et sur tous continents.

    Et partout sur le vieux continent, des mennonites sont restés. Aujourd’hui, il y a de très anciennes assemblées en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse – membres de la CMM depuis le début.

    Ces vieilles églises mennonites sont porteuses de la riche histoire et tradition des anabaptistes et des mennonites des siècles passés. Pourtant, ces paroisses d’Europe occidentale passent par des moments difficiles, mais cette fois pas à cause de la persécution, mais de la sécularisation. Le nombre de membres diminue et des paroisses disparaissent car il n’y a pas suffisamment de renouvellement. Mais, bien que moins nombreuses, les assemblées restent fidèles à leur identité mennonite et anabaptiste, et accomplissent l’œuvre de Dieu, chacune dans son contexte.

    Les responsables de chaque union d’églises européenne et leurs représentants au Conseil Général de la CMM se réunissent chaque année pour discuter des développements dans leurs pays respectifs et dans la CMM. Depuis quelques années, les assemblées mennonites plus jeunes du Sud de l’Europe (Portugal, Espagne et Italie en particulier) assistent à ces rencontres, ainsi que des représentants d’Autriche et de Bavière et quelques anciennes communautés Umsiedler. Une nouvelle collaboration émerge, où les assemblées, nouvelles et séculaires apprennent les unes des autres. Les nouvelles paroisses désirent mieux connaître les racines mennonites, les anciennes sont renouvelées par la vision sur la mission, l’enthousiasme et les méthodes des plus récentes.

    Ceci a convaincu les responsables de l’importance d’intensifier les contacts entre toutes les assemblées mennonites européennes, et d’en inviter davantage, comme celles d’Ukraine et de Biélorussie. C’est pourquoi, après quelques années de discussion, ils ont décidé lors de leur réunion d’octobre 2013 à Mayence (Allemagne), d’avoir un coordonnateur mennonite européen à partir de juillet 2014. Bien que toutes les Églises n’aient pas encore décidé de leur niveau de soutien, les responsables pensent qu’il sera possible de financer ce poste au moins pour les prochaines années.

    Cette évolution est un signe d’espoir. Les communautés mennonites européennes, bien que petites, s’identifient fortement à la mission et à la tradition mennonite anabaptiste. Ensemble, qu’elles soient conservatrices ou plus libérales, évangéliques ou piétistes, elles font partie du corps mondial du Christ. En travaillant ensemble chacune avec sa propre identité, jeunes et moins jeunes assemblées apprennent les unes des autres et se soutiennent mutuellement.

    Henk Stenvers (Pays-Bas) est secrétaire de la Commission Diacres de la CMM et secrétaire général/directeur de Algemene Doopsgezinde Sociëteit (Église mennonite des Pays-Bas).

  • Le christianisme connaît un déclin rapide en Europe. En deux ou trois générations, nous sommes passés d’une culture d’apparence chrétienne, à une culture post-chrétienne. Les statistiques de la CMM indiquent que, globalement, l’évolution des vieilles églises mennonites d’Europe reflète cette tendance.

    L’Espagne constitue une exception : en moins de quarante ans, une nouvelle réalité a vu le jour sous la forme d’une présence anabaptiste florissante. Pour nous, cette croissance est l’œuvre souveraine de l’Esprit, pas de nos propres efforts, bien insuffisants.

    Nos frères et sœurs des vieilles églises mennonites européennes (celles qui sont originaires du XVIe siècle) trouvent notre existence encourageante et porteuse d’espoir. Nous, d’autre part, attachons de la valeur à leurs siècles de fidélité et nous sommes honorés quand ils nous intègrent dans les activités et les organisations à l’échelle continentale.

    Histoire

    Les mennonites ont été actifs en Espagne pour la première fois pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), quand le Mennonite Relief Committee a envoyé des volontaires nord-américains pour nourrir les enfants des réfugiés de guerre. Ê la fin de la guerre, la victoire de la faction fasciste et de l’idéologie nationale-catholique, a mis fin à l’engagement des mennonites dans ce pays.

    Pendant les années 1970, il est devenu possible d’envoyer des missionnaires en Espagne. Après consultation avec les responsables des églises protestantes espagnoles, les missionnaires mennonites décidèrent initialement de coopérer avec eux plutôt que de créer une autre dénomination dans le pays. Les premiers missionnaires, John et Bonnie Driver, ont été appréciés pour la fraîcheur de leur message profondément biblique, aux accents anabaptistes que beaucoup de jeunes évangéliques ont trouvé particulièrement intéressants. John et Bonnie sont restés en Espagne de 10 à 15 ans, avant de retourner en Amérique du Sud, où leur longue carrière missionnaire a atteint son point culminant.

    Pendant ce temps, la première église mennonite était née à Barcelone. Les personnes qui l’ont lancée étaient venues de Bruxelles (Belgique), où ils avaient émigré, et s’étaient joint à une assemblée mennonite issue d’une mission américaine. Au début, José Luis Suárez était à la tête de ce groupe, et en a été le pasteur pendant de nombreuses années jusqu’à sa retraite.

    Pendant ces mêmes années, il s’est produit un mouvement de conversions chez les adolescents dans l’Église catholique à Burgos. Mettant l’accent sur la musique, les arts et la vie communautaire, ce mouvement a secoué toute la ville. John Driver a été l’une des nombreuses personnes invitées à parler à Burgos, et son approche de l’enseignement de Jésus a frappé l’imagination de ces jeunes chrétiens.

    Quand trois ‘anciens’ du mouvement ont fait un voyage aux États-Unis pour visiter des communautés chrétiennes radicales, ils ont rencontré Dionisio et Connie Byler (Argentine). Dionisio étudiait au séminaire mennonite d’Elkhart (Indiana), et ils ont invité sa famille à venir à Burgos pour continuer le ministère d’enseignement des Driver. Les Byler vivent à Burgos depuis 1981, soutenus par le Mennonite Mission Network. Au milieu des années 1990, le groupe, à l’origine catholique, est devenu mennonite.

    Plus tard, dans les années 1980, il y eut une brève mais intense activité missionnaire des Frères Mennonites (MB), dans la région de Madrid. Cet effort a porté quelques fruits, mais actuellement, il n’y a pas d’église MB en Espagne.

    Des missionnaires Frères en Christ d’Amérique du Nord (BIC), Bruce et Merly Bundy, vinrent à Madrid dans les années 1990, inaugurant une nouvelle ère d’influence anabaptiste dans le pays. Grâce entre autres à leurs efforts, il y a maintenant deux églises BIC dans la région de Madrid. Plus récemment, Juan et Lucy Ferreira (Venezuela) ont commencé un groupe BIC à Tenerife (Îles Canaries), rattaché aux églises BIC de Madrid.

    Au début de ce siècle, l’Organización Cristiana Amor Viviente (une union d’églises mennonites du Honduras) a envoyé Antonio et Irma Montes en mission en Espagne. De leur travail sont nées deux églises en Catalogne et un petit groupe à Madrid.

    Rencontres mennonites et Association fraternelle

    Depuis les années 1980, ces différents groupes – dispersés dans des villes éloignées les unes des autres – ont décidé de se connaître mieux et de cultiver leur identité anabaptiste mennonite. Depuis 1992, cette relation s’est approfondie lors des Encuentros mennonitas Españoles (EME), qui ont lieu tous les deux ans.

    Après quelques années, nous avons constitué une association fraternelle, appelée Anabautistas, mennonitas y Hermanos en Cristo – España (AMyHCE). Nous participons à la FEREDE, l’association des églises protestantes d’Espagne (où nous sommes reconnus comme l’une des « familles confessionnelles » du protestantisme espagnol) et à la CMM. Nous sommes uniques car toutes nos églises, avec leurs diverses connexions aux confessions anabaptistes historiques, participent à la CMM ensemble avec une représentation unique.

    Trois autres églises se sont jointes à nous. Bien qu’elles n’aient jamais eu de lien formel avec une dénomination anabaptiste à l’extérieur du pays, elles se retrouvent dans l’enseignement et la pratique de cette branche du christianisme.

    Enfin, notre identité anabaptiste/mennonite a été renforcée par les relations avec les vieilles églises mennonites européenne. En 2006, par exemple, le Congrès Mennonite Européen (CME) s’est tenu à Barcelone, réunissant les mennonites de tout le continent européen pour se soutenir mutuellement et dialoguer.

    Des caractéristiques exceptionnelles

    Comme cet aperçu historique le montre, en dépit de sa petite taille, l’une des caractéristiques de l’AMyHCE est sa grande diversité, diversité dans les liens avec les dénominations anabaptistes du monde, mais aussi diversité d’accent et de pratique. Par exemple, dans nos communautés, il est possible de trouver des pratiques pentecôtistes, mais également des doutes concernant l’émotivité. Théologiquement, il y a parmi nous des tendances fondamentalistes tout autant que libérales, mais aussi une ‘troisième voie anabaptiste’, qui explore d’autres façons de comprendre la foi chrétienne.

    Bien que peu nombreuses, nos églises n’ont pas négligé le service et les missions. Pendant des années, l’assemblée de Burgos a été connue pour son centre de réhabilitation des toxicomanes, tandis que celle de Barcelone gère des foyers pour personnes âgées et handicapés mentaux. La paroisse de Burgos a créé un foyer pour enfants au Bénin, et s’occupe des ex enfants-soldats en Côte-d’Ivoire. Ce ministère en Afrique est béni par le soutien d’autres personnes et églises.

    Depuis nos débuts dans les années 1970, nous mettons l’accent sur l’exploration biblique et théologique dans le courant mennonite ou anabaptiste. Cela s’exprime dans les ministères d’enseignement et de littérature, imprimée et sur internet. Et depuis 2010, Antonio González, pasteur de l’une des paroisses BIC, dirige avec d’autres anabaptistes un petit centre d’études théologiques, Centro Teologico Koinonia (CTK), qui cherche à former une nouvelle génération de responsables.

    Il y a d’autres accents clairement anabaptistes dans nos communautés :

    • L’assemblée locale est une famille étroitement unie qui pratique l’aide mutuelle.
    • Jésus est Enseignant et Exemple, ainsi que Sauveur et Seigneur.
    • La non-violence et l’objection au service militaire.
    • Une théologie pragmatique, plutôt que dogmatique, intéressée davantage à suivre personnellement Jésus qu’à faire des déclarations théoriques doctrinales.

    Avenir

    Cette nouvelle croissance du christianisme anabaptiste/mennonite en Espagne comporte d’importants défis. Dans les 10-15 prochaines années, la plupart des paroisses devront faire face à un relais générationnel important en matière de leadership. De nouveaux responsables se lèveront, ou viendront d’autres églises. Ces responsables de deuxième génération auront-ils une identité claire au-delà de l’identité chrétienne évangélique ? Le centre d’études CTK espère contribuer à répondre à cette question.

    En outre, le christianisme protestant en général, et anabaptiste/mennonite en particulier, en tant que christianisme non-catholique, est relativement nouveau en Espagne. Ce n’est pas un hasard s’il est arrivé précisément au moment où le peuple espagnol a commencé à reconsidérer l’ancien lien entre identité espagnole et religion catholique romaine. Mais l’affaiblissement du catholicisme ne signifie pas nécessairement l’ouverture à d’autres formes de christianisme. Il est plutôt le signe de la tendance européenne post-chrétienne à considérer l’existence humaine sous un angle profondément athée. La superstition et la crédulité sont en hausse.

    La culture dominante n’est pas nécessairement hostile au christianisme, mais elle le considère comme totalement inintéressant ou même d’un niveau primaire embarrassant. Le défi pour nos églises (et pour nos églises sœurs) est de trouver un moyen de faire jaillir l’étincelle de l’intérêt, de la curiosité et de l’engagement. C’est essentiellement un appel à une église qui déborde de vie et de la présence de l’Esprit de Dieu.

    Nous n’avons pas l’illusion de pouvoir allumer la flamme de l’intérêt, de la conviction et la passion pour le Christ avec notre propre témoignage ou nos ressources humaines. Mais bien s√ªr, nous mettons notre énergie et nos ressources dans cette direction. Nous ne vivons pas dans l’illusion que prier génère une réponse automatique de Dieu. Pourtant, nous redoublons notre engagement à prier, implorant Dieu à genoux de répandre son Esprit sur ce pays.

    En dernière analyse, cette jeune pousse de christianisme anabaptiste/mennonite en Europe partage avec les anciennes églises-sœurs d’origine anabaptiste la réalité que notre survie même – pour ne pas mentionner notre croissance – dépend absolument de la grâce de Dieu. Elle seule peut nous garantir un avenir.

    Paradoxalement, c’est précisément la raison de notre espérance, de notre confiance et de notre foi en un avenir pour nos églises.

    Dionisio Byler écrit et enseigne à la Faculté de Théologie Protestante d’El Escorial, près de Madrid. Il est secrétaire de l’AMyHCE depuis sa création.


    Être anabaptiste ou mennonite en Espagne

    Agustín Melguizo
    Pasteur, Communautés Anabaptistes Unies (Burgos)

    Certaines des exigences anabaptistes ont été acceptées par la plupart des églises évangéliques auxquelles je suis lié : p. ex. la séparation de l’Église et de l’État et le baptême des adultes. Cela implique de collaborer avec différentes églises chrétiennes, avec lesquelles nous avons des différences, mais aussi beaucoup en commun.

    Cela signifie aussi de regarder autour de nous pour apporter la lumière de Jésus à ceux qui sont ouverts, et par le témoignage personnel et communautaire, et présenter une conversion qui concerne tous les domaines de la vie, dont le discipulat.

    David Becerra
    Pasteur, Église mennonite de Barcelone

    Je suis mennonite parce qu’un jour, j’ai découvert que le message et la vie de Jésus demandent une non-violence radicale. Cette lecture de l’Évangile m’a amené à être objecteur de conscience [au service militaire].

    Je suis mennonite parce qu’un jour, le pasteur de la paroisse mennonite de Barcelone m’a surpris en s’agenouillant devant moi et en me lavant les pieds. Cela m’a montré ce qu’est la vraie autorité : servir les autres (comme un esclave).

    Dans le contexte espagnol, être mennonite, c’est comprendre et vivre l’Évangile différemment, en mettant l’accent sur le Christ et son message de réconciliation.

    Antonio González
    pasteur et théologien, BIC

    Pour moi, être anabaptiste en Espagne n’est pas un hasard biographique, mais un choix. Pendant un temps, le Seigneur m’a conduit à rechercher un modèle vrai et radical de christianisme.Ce n’était pas d’abord le choix d’une église locale ou d’une dénomination. Mon chemin avec le Seigneur (et sans lui) et ma recherche théologique m’ont amené vers la vie communautaire de Jésus et des apôtres. Beaucoup de chrétiens sans doute, aujourd’hui, cherchent à retourner à leurs origines. Toutefois, ils ont tendance à oublier certains aspects du message de Jésus, comme le pacifisme et la dimension communautaire de la foi, qui sont pour moi essentiels, même s’ils ont été oubliés par les principaux courants du christianisme occidental.

  • Menacé de mort par un groupe des Combattants pour la Liberté quand il avait 19 ans, Danisa Ndlovu avoue qu’il est peut-être né « pour une époque comme celle-ci ».

    « Pour une raison quelconque, je chantais un chant religieux d’une voix vraiment forte ce matin-là en descendant à pied le long de la rivière. Quand je me suis rendu compte qu’il y avait des miliciens armés sur la route, j’ai simplement continué à chanter même si je savais que j’étais en danger. J’ai senti que Dieu était avec moi. Quand les combattants m’ont ordonné de me joindre à eux et qu’ils ont commencé à me menacer, je leur ai dit qu’ils pouvaient me tuer. »

    Ce jour-là, la foi a relégué la peur au second rang chez le jeune Zimbabwéen.

    Cet épisode est devenu une pierre de touche pour Danisa qui allait devenir l’évêque de l’Église des Frères en Christ du Zimbabwe en 2000 quand le pays était tenaillé par une pénurie de nourriture et de carburant, la corruption et un gouvernement indifférent, une épidémie de sida et un taux d’inflation de plus de 1000% par année.

    Malgré ces circonstances désastreuses, Danisa et les quelque 29 000 autres Frères en Christ du Zimbabwe, ont invité la Conférence Mennonite Mondiale à tenir son Rassemblement de 2003 dans la ville de Bulawayo. « Nous avions besoin de l’encouragement et du réconfort de nos sœurs et frères d’ailleurs dans le monde » se souvient aujourd’hui Danisa au moment où il se prépare pour « PA 2015 », le prochain Rassemblement de la CMM à Harrisburg en Pennsylvanie, du 21 au 26 juillet 2015.

    Les premiers choix

    Danisa, membre d’une famille de huit enfants, a surtout été élevé par sa grand-mère car ses deux parents avaient besoin d’un travail rémunéré. « Ma grand-mère a exercé une très grande influence sur ma vie et sur ma foi. Elle m’a amené à l’église et à l’école du dimanche qui ont toujours fait partie de ma vie. »

    Il a fréquenté des écoles primaires et secondaires Frères en Christ au Zimbabwe et a été baptisé quand il était au dernier cycle de l’école secondaire.

    Mais durant son adolescence, il est allé vivre avec sa tante dans une région où il n’y avait pas d’église. « Je me suis mêlé à un groupe de garçons… ce fut comme un mauvais moment de ma vie. Mais au milieu des années 1970, je suis retourné à la maison; j’avais une telle soif pour Dieu que je pensais en mourir.

    C’était l’époque où il y avait des évangélistes itinérants. J’ai demandé à ma mère quand le prochain évangéliste devait venir dans notre région. Je pensais vraiment que je ne pouvais plus attendre. Je vivais une sècheresse, un manque absolu d’espoir.

    J’ai consacré ma vie à Christ le vendredi saint en 1976. L’évangéliste m’a demandé si je souhaitais aller à l’école biblique. En lui répondant que mes parents n’avaient pas de ressources, il m’a demandé où le disciple Pierre avait trouvé l’argent pour payer ses taxes. “De la bouche d’un poisson”, j’ai répondu.

    Il m’a dit d’aller à l’école biblique, et j’y suis allé sans argent. L’expérience m’a enseigné à prier. J’ai établi un lieu pour prier, et l’argent est venu. C’est de cette manière que j’ai vécu ma vie. »

    Danisa se méfie de l’évangile de prospérité. Il dit : « Cet évangile promet que tout ira bien. Mais ce n’est pas vrai. Il y a un prix à suivre Christ. Il y aura des sacrifices. Malgré tout, j’ai trouvé qu’il y a assez pour satisfaire nos besoins.

    Quand j’ai terminé l’école biblique, je ne savais pas ce que je devais faire, j’étais découragé et je me sentais très seul. J’ai demandé à Dieu de m’aider à comprendre ce qui se passait. Un de ces jours sombres dans le parc, j’ai découvert le verset du psaume 37,7 – “Garde le silence devant l’Éternel, et espère en lui”.

    Je me suis levé, j’ai pris mes effets, et je suis allé à la maison où j’ai annoncé à tout le monde que j’allais être un évangéliste.

    Un pasteur m’a dit que j’avais l’air très petit et très jeune, mais je lui ai répondu, “je veux partir”. Finalement, j’ai joint un programme qui m’a permis de visiter des églises et d’exercer un ministère d’évangéliste itinérant.

    C’était une période de tension et d’instabilité dans le pays. Les Combattants de la Liberté cherchaient toujours à nous recruter. J’ai prié pour que quelqu’un me remplace si jamais je me faisais tuer.

    J’ai senti que Dieu me protégeait. Un jour, j’étais assis seul dans une église. Un groupe de soldats sont entrés soudainement, tous bien armés pendant que j’étais assis seul en train de lire la Bible. Ils auraient pu me torturer ou m’interroger, mais ils ont seulement traversé l’église, en entrant par une porte et en sortant par une autre. Nous ne nous sommes même pas parlé. »

    L’apprentissage d’un responsable

    Danisa n’a pas seulement appris sur la foi et l’intrépidité quand il était jeune, il a aussi appris comment développer les qualités d’un chef. « J’ai appris en partie en me formant, en partie en observant les autres et en partie en décidant ce que je voulais être et faire. Mon père était un chef de communauté et il m’a influencé.

    Quand j’étais jeune et que je travaillais dans une librairie chrétienne, le gérant m’a demandé “Es-tu le fils d’un vieil homme?” Je lui ai demandé pourquoi il disait cela. Il a répondu “la manière que tu montres du respect, que tu te présentes et que tu traites les autres me fait croire cela.” »

    Pendant les temps très difficiles au Zimbabwe, à l’époque où Danisa présidait des funérailles pour des victimes du sida et aidait les membres des églises à trouver des foyers pour d’innombrables orphelins, Danisa et son épouse Treziah se sont disciplinés à rendre grâce autant que possible.

    Danisa et Treziah se sont rencontrés alors qu’ils étaient tous les deux étudiants à l’école biblique. « Nous avons eu une relation sérieuse dès le début, mais nous avons cheminé ensemble pendant 11 ans avant de nous marier pour des raisons académiques et familiales.

    Quand je passais par des temps éprouvants comme évangéliste, Treziah et ma mère priaient pour moi. Ainsi, nous avons eu un parcours de foi semblable comme couple. »

    Danisa et Treziah sont les parents de trois enfants jeunes adultes – deux filles nommées Thinkgrace et Trustworthy, et un fils nommé Devotion. « Leurs noms reflètent notre gratitude et ce que nous voulons nous rappeler de notre vie au moment de leur naissance », dit Danisa en souriant.

    Il a trouvé la force et du recul auprès de sa famille quand la vie de responsable d’églises au Zimbabwe est devenue quasiment impossible. « Chaque fois que je suis à la maison, aussi souvent que possible, je passe la soirée en famille. Nous sommes ouverts l’un envers l’autre sur ce qui nous rend heureux ou malheureux. Nous chantons ensemble, nous racontons notre journée, nous nous encourageons et nous nous réprimandons!

    Lorsque je dois prendre des décisions, je fais connaître les conséquences possibles à ma famille. Ces soirées en famille sont très apaisantes et encourageantes. »

    Choisir d’être reconnaissant

    Danisa adopte toujours la même attitude vis à vis les impondérables de la vie dans son pays et son église ou vis à vis les risques associés à la planification d’un Rassemblement aux États-Unis. « Pour moi, c’est une question d’avoir confiance en les promesses de Dieu et de croire les Écritures. On ne nous a pas dit que tout ira bien. J’ai appris à ne pas me plaindre, mais à rendre grâce. Au lieu de dire “Pourquoi Dieu?”, je rends grâce pour l’amour de Dieu et sa présence.

    Je puise des forces dans la reconnaissance et la louange au lieu d’insister pour des réponses. Il y a de la puissance dans le fait de croire que Dieu est ici avec moi. Quand je fais face à des défis dans mes responsabilités, je choisis de ne pas porter mon attention sur ce qui m’affaiblit. Je fixe mon regard sur la puissance de Dieu et lui dit “marche avec moi”. Ce n’est pas du déni, ce serait malsain. Je peux ne pas avoir de réponses, mais je crois que Dieu possède les réponses. »

    Danisa, président de la Conférence Mennonite Mondiale depuis 2009, pendant un récent séjour aux États-Unis, a parlé franchement mais aussi prudemment de ses souhaits pour PA 2015. « Quand l’Église mondiale se réunira l’été prochain à Harrisburg, j’espère que l’expérience sera une fenêtre, une révélation afin que toutes les églises présentes puissent regarder au-delà d’elles-mêmes. Nous sommes tous enclins de croire que l’église commence et finit avec notre groupe particulier.

    J’ai observé que les assemblées en Amérique du Nord sont confortables et décontractées et semblent croire que tout est passablement sous contr√¥le. Mais en tant qu’Église mondiale, nous formons une famille si bien qu’il ne s’agit pas de quelques-uns qui “ont” et d’autres qui “n’ont pas”. Nous appartenons les uns aux autres. Nous sommes en relation. »

    Le don de la Conférence Mennonite Mondiale

    « Rien ne surpasse cinq jours et demi passés ensemble en tant que famille mondiale dans un “espace neutre” offert par la Conférence Mennonite Mondiale pendant ses rassemblements, dit Danisa. Aucune agence, aucune union d’églises n’est propriétaire de cet espace. C’est un endroit où les églises peuvent échanger dans un climat de véritable réciprocité où elles peuvent discerner, adorer, servir et fraterniser ensemble. » Danisa a assisté au Rassemblement de la CMM pour la première fois en 1984 à Strasbourg. Il était le plus jeune membre de la délégation du Zimbabwe.

    Il a hâte de présider le Rassemblement PA 2015 où une chorale du Zimbabwe espère chanter pendant les cultes d’adoration. « Nous prions pour que tous les membres obtiennent un visa », dit-il.

    « Un Rassemblement de la CMM est un cadeau pour nous tous. En nous réunissant, nous ferons l’expérience de nous accueillir les uns les autres. Nous faisons partie d’un corps vivant et nous devons, à l’occasion, être en présence l’un de l’autre dans le même espace afin de nous regarder dans les yeux. Quand nous sommes en présence de l’autre, nous attendons la réponse de l’autre. C’est l’occasion de montrer un véritable intérêt. Quand nous venons ensemble et faisons l’effort de nous regarder et de nous écouter, nous commençons à ressentir les sentiments les plus profonds de l’autre.

    Le monde est trop petit, sur le plan géographique et théologique, pour vivre isolé les uns des autres. Chacune des 101 unions d’églises qui forme la CMM apporte sa propre contribution. Apprécions nos diverses traditions quand nous travaillons ensemble.

    En Amérique du Nord, le Seigneur vous a donné le privilège d’avoir le monde sur votre continent et une grande diversité internationale dans vos églises. Mon souhait est que PA 2015 rende les églises nord-américaines encore plus désireuses de travailler ensemble.

    En venant ensemble en tant que peuple du Christ, je devrais être capable d’implanter ma vie dans votre vie. C’est ce que signifie être vulnérable, de voir le monde différemment, d’appartenir à Dieu et à l’autre comme une famille de foi. »

    Article par Phyllis Pellman Good de Lancaster (PA), auteur et rédactrice pour la Conférence Mennonite Mondiale. Photos : Merle Good

    Danisa Ndlovu
  • Le pouvoir dans l’Église : Réflexions sur notre engagement commun à être Église

    Notre communion mondiale d’Églises anabaptistes est engagée à être Église ensemble. Nous reconnaissons aussi que l’Église a besoin de personnes assumant la responsabilité de guider le troupeau. Ceci posé, nous sommes conscients que le pouvoir s’exerce de différentes manières dans nos divers contextes. Dans ce numéro de Courrier/Correo/Courrier, des responsables de notre communion réfléchissent aux façons diverses dont les anabaptistes abordent la question du pouvoir en Église : luttes et difficultés, bénédictions et avantages.

    Il ne doit pas en être ainsi parmi vous

    L’anabaptisme est apparu sur la scène chrétienne en Corée du Sud il y a moins de 20 ans. En 1996, un groupe d’amis chrétiens – ayant une vision émergente de l’anabaptisme – ont mis fin à un lien de longue date avec leurs églises mères, pour la plupart protestantes. Après avoir passé de longues heures dans l’étude de la Bible et des recherches historiques et théologiques, ils ont réalisé que ce qu’ils voulaient, c’était de commencer une nouvelle Église fondée sur le Nouveau Testament.

    Rompre avec les grandes Églises était une chose ; en commencer une nouvelle est tout autre chose. L’anabaptisme avait encore mauvaise réputation à cette époque, si bien qu’adopter cette vision c’était aller à contre-courant de la tradition dominante. Une provocation de plus était que l’objectif était de revenir aux débuts de l’Église du premier siècle !

    Depuis, le réseau anabaptiste de Corée du Sud s’est développé peu à peu, au fur et à mesure de l’intérêt manifesté pour cette nouvelle conception de l’Église.

    On peut se poser la question : pourquoi ont-ils quitté leurs paroisses et ont-ils commencé un nouveau mouvement ? Parmi les facteurs ayant amené la séparation, l’un des principaux était leur conception de la nature de l’Église. Pour ces chrétiens, l’Église n’était pas une dénomination institutionnalisée qui crée inévitablement une structure de pouvoir inégale. Ils voyaient l’Église comme le corps du Christ, dans lequel le pouvoir est équitablement réparti entre frères et sœurs.

    Par nature, les êtres humains désirent le pouvoir. Tout au long de l’histoire, personne n’a échappé complètement à l’attrait du pouvoir ; même Jésus a été tenté par Satan dans ce domaine. L’Église n’en a pas été exempte. En fait, de nombreux responsables d’églises sont tentés d’exercer leur autorité pour dominer les autres.

    C’est exactement ce qui est arrivé aux disciples de Jésus il y a 2 000 ans : ils se sont querellés pour savoir qui était le plus grand parmi eux. Et deux d’entre eux, Jacques et Jean, ont demandé des places particulières, l’un à gauche et l’autre à la droite de Jésus glorifié (Mc 10/37). Même leur mère voulait que Jésus leur donne le pouvoir : « Promets-moi de faire siéger l’un à ta droite, l’autre à ta gauche, dans ton royaume » (Mt 20/21). Ces requêtes ont fâché les autres disciples et ils ont été indignés. Il n’est pas étonnant que cela ait été un sujet de désaccord !

    Finalement, Jésus les a appelé et leur a dit : « Vous savez ce qui se passe dans les nations : ceux que l’on considère comme les chefs politiques dominent sur leurs peuples, et les grands personnages font peser leur autorité sur eux. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous ! Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur, et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour se faire servir, mais pour servir lui-même et donner sa vie en rançon de beaucoup. » (Mc 10/42-45).

    Il est gênant de voir que, parfois, les chrétiens cherchent le pouvoir et la célébrité pour maintenir le statu quo. Je ne dis pas cela parce que je suis meilleur que les autres, mais parce que, moi aussi, je suis tenté de rechercher le pouvoir comme dans le monde, si je n’agis pas poussé par l’Esprit de Dieu. Malheureusement, trop peu de gens reconnaissent l’influence corruptrice du pouvoir, et trop peu se rendent compte que le pouvoir peut être utilisé à mauvais escient par des soi-disant ‘responsables’ d’églises.

    On aime être appelé ‘responsable’ ou ‘directeur’. Nous avons tous tendance à demander ce titre, avec le pouvoir et la popularité qui l’accompagnent. Pourtant ce que nous désirons, ce n’est pas le type de pouvoir recherché par le monde. C’est plutôt le pouvoir que nous recevons de Dieu lorsque nous sommes faibles et pourtant rendus forts par l’Esprit de Dieu. C’est le pouvoir du serviteur, pas du chef. C’est le pouvoir de l’humilité, du renoncement au contrôle. C’est le pouvoir de ne pas tuer nos ennemis, mais de les aimer, et de donner sa vie comme notre Seigneur est venu pour donner sa vie en rançon de beaucoup.

    Ne tombons pas dans le piège du diable : penser que c’est une récompense de Dieu d’être ‘au dessus des autres’. Le discipulat ne comporte pas une telle récompense. Au lieu de cela, c’est la coupe et la croix : « Vous boirez en effet la coupe que je vais boire, et vous subirez le baptême par lequel je vais passer, mais quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous l’accorder : ces places reviendront à ceux pour qui elles ont été préparées. » (Mc 10/40).

    Que Dieu nous accorde le pouvoir de nous libérer des attentes du monde, et de nous appuyer sur Sa puissance, même dans notre faiblesse.

    Kyong-Jung Kim est le représentant régional de la CMM pour l’Asie du Nord-Est. Depuis 2004, il est directeur du Centre Anabaptiste de Corée, un ministère des églises anabaptistes de la Corée du Sud.

  • Le pouvoir dans l’Église : Réflexions sur notre engagement commun à être Église

    Notre communion mondiale d’Églises anabaptistes est engagée à être Église ensemble. Nous reconnaissons aussi que l’Église a besoin de personnes assumant la responsabilité de guider le troupeau. Ceci posé, nous sommes conscients que le pouvoir s’exerce de différentes manières dans nos divers contextes. Dans ce numéro de Courrier/Correo/Courrier, des responsables de notre communion réfléchissent aux façons diverses dont les anabaptistes abordent la question du pouvoir en Église : luttes et difficultés, bénédictions et avantages.

    Au-delà de la domination et du contrôle

    Périodiquement, des responsables d’assemblées et d’organisations chrétiennes me tapent sur l’épaule pour que j’explique ce que signifie être fidèle en devenant un corps diversifié et réconcilié selon Dieu. Il y a quelques années, j’aurais répondu en réaffirmant la vision biblique de la communauté chrétienne du Nouveau Testament, dans laquelle toutes les barrières sont brisées, d’abord entre juifs et gentils, et ensuite entre chaque groupe social, y compris les groupes raciaux. J’aurais peut-être commencé par souligner les implications radicales de l’Église en tant que nouvelle société multiethnique, dans laquelle les anciennes identités et les réseaux relationnels sont reconfigurés à cause de l’œuvre de Jésus ; et enfin par la mention de la destruction en et par Dieu en Jésus-Christ du mur qui nous séparait.

    Théologiquement, j’y crois toujours. Pourtant, cette interprétation ne prend pas en compte certaines forces historiques à l’œuvre dans la plupart des églises nord-américaines, et dont on parle rarement.

    Serait-il possible que notre principal problème ne concerne pas seulement la division et les différences culturelles et ethniques en Amérique du Nord ? Serait-il possible que la véritable question soit celle de la façon dont le pouvoir a été utilisé historiquement parmi les chrétiens dans l’Église et dans la société en général ?

    En Amérique du Nord, l’Église ne s’est jamais vraiment repentie (ou détournée) de la domination raciale qui a imprégnée ses pratiques et sa théologie depuis le XVIIe siècle. Certes, l’esclavage a été officiellement aboli ; il est stigmatisé, et la société en général réagit négativement à la mention même du mot. Il n’est pas nécessaire d’avoir du courage pour regarder l’histoire (chrétienne) de l’esclavage aux États-Unis de 1619 à 1865, et de le dénoncer comme étant incompatible avec le chemin de Jésus.

    Cependant, dans la plupart des communautés chrétiennes des États-Unis, il faut des convictions solides à ceux qui se rassemblent sous la seigneurie de Jésus pour parler des pratiques de la domination blanche avec sincérité et patience tout en se montrant vulnérable. Ê ce jour ces pratiques ont continué à être utilisées dans et par l’Église, constituant un contre-témoignage dans le monde. L’esclavage a disparu, mais la logique du raisonnement racial qui a produit la domination et le contrôle des blancs dans la communauté chrétienne (et au-delà de ses murs) est restée intacte.

    Nous devons nous demander pourquoi l’Église nord-américaine (dont les anabaptistes) n’a pas su comprendre que le racisme est une question théologique et concerne le discipulat. L’Église est troublée par le déploiement du pouvoir en son sein et le justifie inconsciemment par un regard raciste.

    De nombreux chrétiens aimeraient vivre dans une communauté ‘diverse’, signe de la réconciliation de Dieu en Jésus-Christ. Cependant, très peu d’assemblées sont prêtes à renoncer au pouvoir et au contrôle exercés dans leurs communautés. En général, quand des personnes ‘diverses’ entrent dans ces communautés ‘accueillantes’, elles doivent se convertir théologiquement, culturellement et socialement aux normes établies. Ainsi que le dit le dicton : « The White way is the right way » (la bonne manière de faire est celle des blancs). Ces normes ne sont pas de valeurs chrétiennes ‘pures’ et indemnes des normes sociales et culturelles. Néanmoins, c’est ainsi qu’elles sont souvent utilisées et justifiées.

    Au lieu de pratiquer la ‘kénose’ (Phm 2/5-11) – l’abaissement et le renoncement au pouvoir – et de développer des relations avec des chrétiens opprimés et victimes du racisme dans une attitude de vulnérabilité réciproque, ce qui peut conduire à la transformation, les groupes qui ont le pouvoir dominent les autres. La tentation a toujours été de se tromper en gardant le pouvoir et le contrôle sur les minorités raciales, ce qui empêche toute possibilité de réconciliation authentique, pourtant si souvent souhaitée. La réconciliation ce n’est pas seulement des groupes différents partageant le même espace tous les dimanches matins. Tant que la domination et la supériorité subsistent, il n‘y a pas de réconciliation. Quand des minorités raciales qui ont toujours été écrasées et exclues par l’exercice du pouvoir dans l’Église ne sont pas incluses, et quand la prise de décision n’est pas le fait de tous, dans la vulnérabilité, il ne peut se produire de réconciliation authentique. Quand on ne donne pas la priorité aux plus faibles et que les membres de l’assemblée locale ne sont pas à leur écoute pour privilégier leur voix, le Royaume de Dieu ne règne pas entièrement parmi nous.

    Ne pas tenir compte de la dynamique du pouvoir à l’œuvre dans la racialisation de nos communautés anabaptistes nord-américaines conduit à un diagnostic erroné de ce qui nous empêche d’aller au-delà du modèle figé de conformité raciale dans notre société. Nous ne témoignons pas de notre soumission à la manifestation de la puissance de Dieu dans notre faiblesse humaine. Dans nos communautés anabaptistes nord-américaines, il nous faut aller au-delà de la domination et du contrôle vers une solidarité et une réciprocité pratiquée dans l’humilité.

    Le temps est venu de reformuler notre théologie et ses pratiques afin de pouvoir suivre plus fidèlement le chemin de Jésus dans une société raciste. Nos paroisses anabaptistes sont probablement plus enclines que les autres à comprendre que nous ne devrions pas dominer ou écraser les autres. Pourtant, nous avons besoin d’actualiser cette théologie dans nos églises et dénominations dominées et contrôlées par des blancs.

    Que se passerait-il si les chaires et les rayons de bibliothèques anabaptistes n’étaient pas dominés par les auteurs et les orateurs blancs ? S’ils cherchaient vraiment à utiliser tous les dons de l’Église, en particulier de ceux qui ont été dominés et exclus dans le passé ? Nos paroisses ne pourraient-elles rendre visible le règne de Dieu devant le monde en suivant l’exemple créatif des mouvements chrétiens prophétiques ‘non-blancs’ qui incluent des personnes vulnérables et sans défense ?

    Nos cultes en commun ne seraient-ils pas enrichis par la solidarité et la vie quotidienne avec des personnes qui ont été systématiquement exclues sur la base du racisme ? Comment l’anabaptisme contemporain – qui a commencé au XVIe siècle avec surtout des groupes opprimés économiquement formant un rassemblement visible de disciples engagés à suivre Jésus concrètement – pourrait-il se renouveler par le renoncement à la domination et au contrôle des blancs, sur les autres ? Comment pourrait-il choisir de devenir vulnérable et solidaire de ceux qui sont opprimés à cause de leur race ? Comment pourrait-il chercher le shalom et le bien de tous, à l’intérieur et au-delà de nos communautés chrétiennes ?

    Drew G. I. Hart (drewgihart.com/) se présente comme anabaptiste noir, ‘MennoNerds blogger’ et ancien pasteur de l’église Frères en Christ d’Harrisburg (États-Unis). Il est aussi étudiant en doctorat qui fait des recherches sur la théologie noire et l’anabaptisme.

  • Réflexions sur notre engagement commun à être Église

    Notre communion mondiale d’Églises anabaptistes est engagée à être Église ensemble. Nous reconnaissons aussi que l’Église a besoin de personnes assumant la responsabilité de guider le troupeau. Ceci posé, nous sommes conscients que le pouvoir s’exerce de différentes manières dans nos divers contextes. 

     

    Il ne doit pas en être ainsi parmi vous (Kyong-Jung Kim, Corée du Sud)

    On peut se poser la question : pourquoi ont-ils quitté leurs paroisses et ont-ils commencé un nouveau mouvement ? Parmi les facteurs ayant amené la séparation, l’un des principaux était leur conception de la nature de l’Église. Pour ces chrétiens, l’Église n’était pas une dénomination institutionnalisée qui crée inévitablement une structure de pouvoir inégale. Ils voyaient l’Église comme le corps du Christ, dans lequel le pouvoir est équitablement réparti entre frères et sœurs.

     

    Malédiction ou bénédiction ? (Doris Dube, Zimbabwe)

    Moi laïque, j’ai connu autant de styles de leadership que de responsables ! Ils ont tous le pouvoir, et ce pouvoir peut être bon ou mauvais. Tous, êtres humains faillibles, donnent le ton dans l’assemblée par la manière dont ils l’exercent.

     

    Au-delà de la domination et du contrôle (Drew G. I. Hart, États-Unis)

    Nous devons nous demander pourquoi l’Église nord-américaine (dont les anabaptistes) n’a pas su comprendre que le racisme est une question théologique et concerne le discipulat. L’Église est troublée par le déploiement du pouvoir en son sein et le justifie inconsciemment par un regard raciste.

     

  • Aujourd’hui, notre communauté d’églises anabaptistes s’étend au monde entier et est formée de groupes d’origines culturelles, ethniques et politiques différentes. Nous sommes, sans aucun doute, une communauté diversifiée. Chaque fois que nous nous réunissons, nous apprécions cette diversité et nous nous en sentons enrichis.

    Pourtant, parfois des questions se posent. Certaines choses nous irritent. La diversité est aussi un défi ! Y a t-il des limites à cette diversité ?

    Afin d’y réfléchir, il est nécessaire de commencer par clarifier notre identité. C’est déjà un défi en soi ! Quand nous voulons expliquer qui nous sommes, nous mentionnons habituellement de notre histoire. Quelles sont nos racines ? Même les communautés mennonites dont la généalogie ne remonte pas aux anabaptistes européens du XVIe siècle se réfèrent à cette histoire, parce qu’ils l’ont intégrée dans leur propre identité. Et même lorsque l’on veut aborder cette histoire de manière critique, on l’utilise toujours comme référence pour expliquer qui nous sommes aujourd’hui.

    Les débuts de l’anabaptisme : né dans la diversité

    L’anabaptisme n’a jamais été totalement homogène. Depuis ses débuts, au temps de la Réforme, la diversité a été un défi pour le mouvement anabaptiste. Il n’a pas commencé avec la conception unique d’un nouveau visage de l’Église, mais a plutôt développé des idées différentes dans ses nombreuses luttes dans les contextes variés en Europe. Lentement, des principes communs ont émergé et lui ont permis de s’affirmer face à l’Église dominante du Moyen Age.

    Tout en partageant la conviction principale de réformateurs Luther, Calvin et Zwingli (le salut par grâce, par la foi seule), les anabaptistes ont adopté une compréhension plus radicale de l’Église comme une communauté non-conformiste de croyants engagés. Son expression la plus forte était le baptême des croyants – un acte radical et librement choisi, basé sur une confession de foi individuelle. Cette nouvelle communauté a rejeté l’autorité de l’État et de l’Église dans l’interprétation de la foi. Elle a opté pour un modèle non hiérarchique et sans credo : ‘le sacerdoce universel’.

    Le mouvement grandissant, il est devenu évident que seule une structure d’assemblée locale était appropriée. Rejetant la structure hiérarchique des prêtres et des évêques, ses membres lisent ensemble la Bible et partagent leurs connaissances pour discerner la volonté de Dieu. La suivance du Christ, exprimée le plus clairement dans le Sermon sur la Montagne, est de première importance.

    De toute évidence, la revendication de cette liberté de conscience et de foi a représenté une menace pour l’Église et l’État. Beaucoup des anabaptistes de première et de deuxième génération l’ont payé de leur vie.

    Une histoire de discorde et de schisme

    Cette histoire commune façonne notre identité en tant qu’individus et en tant qu’assemblées locales, ainsi que notre manière de vivre ensemble l’Église.

    Pourtant, alors même que le mouvement anabaptiste des débuts unissait des individus et des groupes ayant des idées variées mais complémentaires sur la manière de vivre la foi chrétienne, des désaccords se sont produits. Notre histoire est aussi marquée par la discorde et le schisme – qui sont des aspects douloureux de notre passé. On peut remarquer que ces discordes sont tout à fait en contradiction avec les déclarations spirituelles de nos premiers frères et sœurs.

    Par exemple, des disputes sur la quantité d’eau à utiliser pour le baptême ou sur le genre de musique joué lors des cultes sont devenues des raisons suffisantes pour se séparer et se condamner mutuellement. Un comportement patriarcal, le mauvais usage du pouvoir (sans contrôle), la victimisation des personnes et l’anathème jeté sur des groupes entiers qualifiés de ‘hérétiques’, font tout autant partie de notre histoire que de celle des autres églises.

    L’incapacité à vivre selon les convictions théologiques précieuses des premiers anabaptistes peut être très décevante. Alors que nous continuons d’affirmer, comme l’ont fait les fondateurs, que le modèle d’assemblée reposant sur le baptême de croyants entraîne la plus grande diversité possible dans l’Église – car il fait confiance à la personne et la respecte – il semble que nous n’ayons jamais réussi à prouver sa légitimité et sa faisabilité.

    Diversité dans l’anabaptisme contemporain

    Pourtant, un autre point commun à toutes les églises de la Réforme est la conviction que l’église est semper
    reformanda
    : elle doit toujours être réformée. Nous revendiquons la liberté et la responsabilité de renouveler l’Église à chaque génération, si cela semble nécessaire et approprié.

    Aujourd’hui, nous formons une communauté mondiale d’églises anabaptistes, la Conférence Mennonite Mondiale. C’est en son sein que nous avons appris à respecter et à apprécier la diversité. Les différentes expressions culturelles, les identités ethniques multiples, la lecture biblique et la théologie contextuelles ainsi que les manières diverses et authentiques de célébrer l’amour de Dieu constituent toute la richesse de cette communauté. Nous avons appris à voir cette diversité comme un don de Dieu, car nous comprenons maintenant mieux que jamais que la diversité et l’unité ne sont pas des dimensions contradictoires mais complémentaires du mouvement créateur de Dieu. La CMM est d’abord un espace de gratitude et de réjouissance pour cette richesse commune.

    Cependant, cette célébration de la diversité peut devenir très superficielle si nous adoptons une approche ‘touristique’, une unité à bon marché. Tant que la diversité de la famille mondiale ne remet pas en cause le pouvoir dans les assemblées locales, il sera assez facile d’accepter toutes sortes d’opinions.

    Sommes-nous prêts à permettre à d’autres membres de la famille mondiale de questionner notre manière traditionnelle de croire ? Sommes-nous prêts à vraiment tolérer (c’est-à-dire à être patients avec) les autres ? Serions-nous vraiment prêts à changer une opinion ou un comportement, s’il offensait quelqu’un ?

    Je conçois aussi la CMM comme un espace de discernement commun des limites de notre diversité, et d’exercice de la responsabilité mutuelle. Ceci peut être difficile, frustrant, parfois même douloureux. Pourtant, si nous ne sommes pas prêts à relever ce défi, nous passerons à côté de l’essentiel : une ‘unité coûteuse’.

    Pratiquer la diversité

    Bien sûr, ceci doit aussi se concrétiser. Comment, aujourd’hui, gérer la complexité de la diversité ? En d’autres termes, comment mettre en pratique ce processus de discernement mutuel concernant les limites de notre diversité ? Comment pouvons-nous nous tenir mutuellement responsables?

    Pour y répondre, il peut être utile de mentionner deux questions étroitement liées.

    Quels sont lespoints présentant un danger pour l’unité ?

    Comment discerner les points fondamentaux pour garder l’unité ? Pour les prophètes de l’Ancien Testament, la limite de la diversité était atteinte quand une conviction ou un comportement conduisait au blasphème. Quand quelqu’un mettait en doute l’unicité et l’unité de Dieu – le Dieu qui avait libéré Israël de l’esclavage – les prophètes demandaient une confession claire et sans ambiguïté. Cela est aussi vrai dans le Nouveau Testament : chaque fois que la Seigneurie du Christ était mise en question, la tolérance ne semblait plus être une option.

    En termes théologiques, cette approche est appelée status confessionis, une situation où la confession de Christ elle-même est en danger. Ce fut le cas lorsque les chrétiens allemands du début du XXe siècle se sont soumis à l’autorité absolue du régime nazi, même en ce qui concerne l’Église. Dans l’opposition, l’Église Confessante émergente a publié la Déclaration Théologique de Barmen (1934), dans laquelle elle condamne l’acceptation de l’idéologie nazie par les chrétiens allemands et confesse la seigneurie inaliénable du Christ comme unique chef de l’Église.

    Comment abordons-nous ces questions ?

    Aujourd’hui, les mennonites sont connus (et respectés) comme étant l’une des églises historiquement pacifistes. Face aux défis de la diversité au sein de l’Église, l’approche non-violente à la résolution des conflits a été un principe fondamental depuis les débuts du mouvement anabaptiste. Pourtant, nous ne pouvons certainement pas prétendre être des experts en médiation quand il s’agit de conflits internes. Cependant, je veux croire en la sagesse et au potentiel de cette caractéristique identitaire. Si nous sommes convaincus que Jésus appelle tous ses disciples à être des artisans de paix et à rechercher d’abord la justice du Royaume, cela doit influencer notre méthodologie pour aborder nos propres différences.

    Les principales questions à poser lors d’un conflit devraient être :

    • La question en jeu est-elle vraiment une question de status confessionis, ou peut-on tolérer (supporter) que l’autre prétende également suivre l’Écriture ?
    • Quel est le point de vue des personnes vulnérables ou discriminées dans cette affaire ?
    • Victimisons-nous quelqu’un dans le conflit et, si oui, comment cesser ?
    • Nous présentons-nous à tort comme une victime et, si c’est le cas, comment adopter une position plus appropriée ?
    • Restons-nous conscients que toutes les personnes impliquées sont et demeurent éternellement créées à l’image de Dieu, même si nos opinions ou nos comportements diffèrent ?

    Je veux croire qu’être Église ‘de paix juste’ exige une approche profondément humble : différencier toujours la vérité absolue, qui est en Dieu seul, de nos approximations de la vérité. Si nous y ajoutons l’humilité à l’ambition d’être une église ‘de paix juste’, non seulement la crédibilité de notre témoignage pour la paix grandira, mais nous redécouvrirons aussi la capacité du Christ de tolérer (supporter) nos diversités.

    La communauté qui prie, réunie au nom de Dieu, reste l’espace ultime de responsabilité mutuelle. La CMM a le potentiel pour devenir une telle communauté.

    Fernando Enns est directeur de l’Institute for Peace Church Theology à l’Université de Hambourg (Allemagne), et professeur de Paix (théologie et éthique) à l’Université Libre d’Amsterdam (Pays-Bas).