Les États-Unis : Diversité, dynamisme et paradoxes

Le contexte du témoignage anabaptiste

Les États-Unis ont été créés en 1776 en tant que république moderne. Ses fondateurs pensaient s’engager dans une expérience politique pionnière qui accordait une liberté de conscience relativement généreuse à divers groupes chrétiens. C’est aussi une nation qui, jusqu’en 1865, avait réduit en esclavage au moins 12 personnes sur 100, hommes et femmes d’origine africaine. Les États-Unis sont aussi façonnés par l’immigration, de sorte qu’aujourd’hui, des personnes originaires du monde entier considèrent ce pays comme le leur. Son économie est très complexe, la recherche scientifique est renommée, il a une tradition de liberté civique et une armée extraordinairement importante et active au niveau mondial. C’est le contexte dans lequel vivent les chrétiens américains (dont les mennonites et les autres anabaptistes).

Comme d’autres pays, les États-Unis ont leurs mythes. Il y a, par exemple, le mythe du ‘melting pot’, qui fait croire à de nombreux Américains que l’assimilation est inévitable ou bénigne, ou les deux. Le plus important est peut-être le mythe de la ‘transcendance individuelle’, une promesse qu’il est possible de laisser toutes les traditions derrière soi et de recommencer, que l’avenir est meilleur que le passé et que tout ce qui est nouveau est meilleur. Les Américains des États-Unis sont beaucoup plus aptes à abandonner un produit, un groupe ou une situation quand ils sont insatisfaits, plutôt que de travailler à améliorer ou adapter ce qui existe. Cette façon de faire influence même les églises. Les États-Unis ont donné naissance à un nombre inégalé de dénominations et d’’églises indépendantes’ de toutes tendances théologiques.

Deux grands groupes

Globalement, les anabaptistes des États-Unis sont constitués de deux groupes : les anabaptistes bien intégrés dans les modèles économiques et d’éducation américains, et ceux que la vie quotidienne distingue de leurs voisins. On trouve dans le premier groupe la plupart des membres de la Mennonite Church USA, la U.S. Conference of Mennonite Brethren, les Frères en Christ (BIC) des États-Unis, la Conservative Mennonite Conference (toutes membres de la CMM) et d’autres. Bien que ces frères et sœurs s’efforcent généralement de vivre leur foi d’une manière qui fasse une différence dans leur contexte local, ils ont très souvent des professions bien rémunérées, appartiennent à la classe moyenne et vivent en ville. Ils suivent les informations sur les médias classiques, possèdent leurs propres voitures, pensent que la réussite scolaire est fondamentale pour l’avenir économique de leurs enfants et que les soins médicaux sont meilleurs qu’ils ne l’étaient du temps de leurs grands-parents.

En revanche, les amish Old Order (le plus grand groupe d’assemblées anabaptistes des États-Unis), ainsi que les mennonites Old Order et de nombreux groupes apparentés ne partagent généralement pas ces hypothèses et ces valeurs. De la manière dont ils s’habillent et vont travailler jusqu’à ce qu’ils espèrent pour leurs enfants, ces anabaptistes sont délibérément décalés par rapport à ce que la grande majorité des citoyens américains considèrent être ‘la bonne vie’. Des dizaines de milliers se déplacent en voiture à cheval (buggy), rejettent l’enseignement supérieur et refusent de s’affilier à des compagnies d’assurance.

Bien sûr, il y a des exceptions. Des membres de groupes acculturés diront peut-être qu’ils vont à contre-courant en étant pacifistes et en défendant des normes morales élevées. Et certains anabaptistes Old Order s’intègrent de plus en plus dans l’économie nationale. Pourtant, la première chose que remarqueront les nouveaux venus est la différence entre ceux qui se sont adaptés à la société américaine (ou, pour les nouveaux immigrants et les communautés de couleur, cherchent à y avoir un meilleur accès) et les groupes dits ‘plain’ (ordinaires) qui résistent de manière impressionnante aux mythes nationaux de l’assimilation et de la transcendance individuelle.

Des histoires d’immigration et de renouvellement

Les premiers mennonites sont arrivés dans ce qui allait devenir les États-Unis en petit nombre dans les années 1600. De grandes vagues de mennonites et d’amish ont émigré d’Europe occidentale dans les années 1700 et au début des années 1800. Les mennonites et les huttérites de l’Empire russe sont arrivés dans les années 1870. Lentement – parfois très lentement – ces groupes germaniques se sont ouverts à d’autres groupes, dont les Amérindiens, sur les terres desquels ils se sont installés. Au milieu des années 1900, des lois strictes ont restreint l’immigration mais depuis 1970, des millions de nouveaux immigrants arrivent chaque décennie, dont des mennonites d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Certains immigrants anabaptistes sont venus avec leur union d’églises. Par exemple, le Sinode Jemaat Kristen Indonesia compte maintenant huit paroisses sur la côte ouest des États-Unis et Amor Viviente (Honduras) a des assemblées locales dans plusieurs États du sud. Lorsque les membres mexicains des paroisses de l’Evangelical Mennonite Mission Church (EMMC), basée au Canada, ont immigré aux États-Unis, ils y ont fondé des églises EMMC (maintenant Active Mission Conference).

Il y a aussi des mouvements de renouveau spirituel qui ont engendré des dizaines de nouveaux groupes d’églises anabaptistes. Les Frères en Christ sont apparus dans les années 1780 en Pennsylvanie parmi les mennonites attirés par le piétisme et une compréhension wesleyenne de la sanctification. Au milieu des années 1800, le mouvement de renouveau Old Order a insisté sur l’humilité et le contentement, avec une approche communautaire de la foi, et la conviction que la pratique de la discipline dans l’église renforce (plus qu’elle ne nuit à) la relation de la personne avec Dieu. Au XXe siècle, la Conservative Mennonite Conference (CMC) a connu un renouveau quand l’activisme missionnaire des évangéliques américains a mis en valeur le patrimoine amish de la CMC. Le pentecôtisme a aussi été une source de puissance spirituelle pour quelques groupes anabaptistes.

Paradoxes de la croissance

Aujourd’hui, les anabaptistes des États-Unis sont de plus en plus urbanisés et diversifiés sur le plan ethnique et racial, et en même temps de plus en plus ruraux et blancs. D’une part, ce sont des assemblées comme la Casa del Dios Viviente BIC à Pompano Beach (Floride) ou celle des Hmong à St. Paul (Minnesota) qui grandissent le plus vite. La moitié des paroisses Frères mennonites a des caractéristiques latines, asiatiques, slaves ou afro-américaines. Calvary Community Church à Hampton (Virginie), compte plus de 2 200 membres, surtout afro-américains : c’est la plus grande assemblée locale de la Mennonite Church USA.

Dans le même temps, ce sont les groupes amish et mennonites Old Order qui connaissent la plus forte croissance. Les mennonites évangéliques et les BIC dédaignent souvent la croissance de ces groupes car elle est presque entièrement constituée par leur descendance. Néanmoins, les églises anabaptistes conservatrices font un travail remarquable pour attirer et retenir leurs jeunes. La taille et l’augmentation de ces églises (bien que généralement ignorée des principales églises mennonites et BIC) signifie que la population américaine anabaptiste, dans son ensemble, est légèrement plus blanche et plus rurale, en termes de pourcentage, qu’elle ne l’était il y a 30 ans.

Réalités contemporaines et témoignage

1. Les anabaptistes américains constituent une très petite partie d’un très grand pays. Les États-Unis se considèrent comme une superpuissance mondiale et ses choix économiques et militaires affectent la vie des peuples du monde entier. Les anabaptistes américains font partie de cette superpuissance. Mais ils n’attirent pas autant l’attention qu’au Canada. Ils n’ont pas non plus autant d’influence économique ou politique qu’au Paraguay. Être une infime minorité au cœur d’un empire a souvent mis les mennonites mal à l’aise quant à leur relation avec l’État.

Pour certains, dont les Old Order, la préoccupation majeure a été de résister à la puissance coercitive de l’État pour les assimiler. Ils résistent non seulement au patriotisme et à la participation militaire, mais aussi (dans la plupart des cas) à l’enseignement public et aux programmes de santé publique. D’autres mennonites sont très mal à l’aise à cause du rôle surdimensionné que jouent les États-Unis dans les affaires mondiales et de ses engagements militaires fréquents à l’étranger. Certains, protestent publiquement très régulièrement. La taille de la communauté anabaptiste par rapport au pays a souvent conduit à une position défensive ou prophétique concernant les affaires publiques plutôt qu’à rechercher à s’associer à des organisations gouvernementales pour faire progresser une vision anabaptiste du monde.

2. Les anabaptistes des États-Unis vivent dans l’abondance matérielle. Indépendamment de la manière dont ils ressentent l’étiquette de citoyens américains, de nombreux mennonites et BIC sont, généralement, à l’aise financièrement. L’opulence qui caractérise leur vie s’exprime positivement par des dons à l’Église et à des causes sociales, mennonites et autres. En effet, des études philanthropiques ont tendance à classer les mennonites comme de généreux donateurs comparés à beaucoup d’autres chrétiens américains. Outre leurs dons à des causes mondiales, les mennonites et BIC acculturés dépensent plus d’argent pour eux-mêmes, à la construction ou à la rénovation de bâtiments d’église (souvent un million de dollars ou plus pour un seul projet).

3. Les systèmes juridiques et financiers fiables ont permis aux anabaptistes de créer une foule d’institutions, de sociétés missionnaires, de lieux de retraite, de fonds d’investissement et de maisons de retraite. L’œuvre de ces grandes institutions, où travaillent des professionnels est bien médiatisée dans la presse mennonite, mais cela ne doit pas occulter les nombreux, nombreux ministères exercés par des bénévoles et avec des ressources limitées, et qui font une énorme différence dans la vie des gens avec qui ils sont en contact. Par exemple, des centaines d’assemblées mennonites et BIC ont des écoles maternelles, des garderies et des œuvres dirigées par des femmes, qui profitent à des milliers de familles chaque année, mais ne reçoivent pas du tout la même attention que les universités mennonites.

4. Les anabaptistes des États-Unis vivent dans une société pluraliste qui façonne leur vie d’église. Beaucoup de paroisses anabaptistes chantent des hymnes et des chants contemporains écrits par des musiciens protestants et catholiques. Le style et la spiritualité du mouvement charismatique a influencé un nombre considérable d’assemblées. D’autres ont adopté le Ecumenical Revised Common Lectionary (lectionnaire œcuménique révisé) et le calendrier de l’année liturgique pour harmoniser les cultes. Des mennonites et des BIC artisans de paix travaillent avec les catholiques et les évangéliques pour mettre fin à la peine de mort ou soutenir les mères célibataires. D’autres encore se sont joints à des groupes interconfessionnels pour militer pour l’environnement.

5. Les anabaptistes des États-Unis sont connectés au monde de bien des manières, que ce soit par des entreprises, le travail du Comité Central Mennonite, du ministère des Mennonite Economic Development Associates ou de Christian Aid ; et aussi par les voyages, l’adoption, le mariage ou l’accueil d’étudiants internationaux. Des assemblées ont noué des relations d’églises-sœurs avec des assemblées mennonites ou BIC dans d’autres parties du monde. Les anabaptistes des États-Unis ont beaucoup à apprendre de la famille mondiale spirituelle. Que le prochain Rassemblement, Pennsylvania 2015, permette que davantage de liens se forment et se développent !

Steven M. Nolt est professeur d’histoire à Goshen College (Goshen, Indiana), et co-auteur (avec le canadien Royden Loewen) de ‘Seeking Places of Peace’ — North America, le cinquième et dernier volume de la série d’Histoire Mennonite Mondiale.

 

 

 

 

Une ‘tente/abri de branchages’ construite pour les réunions d’évangélisation des Frères en Christ à Leedy (Oklahoma) en 1919. Les BIC sont une communauté anabaptiste formée par de nombreux mouvements de renouveau spirituel. Photo : aimable autorisation de la Bibliothèque historique et des Archives des Frères en Christ

 

 

Le collaborateur du Comité Central Mennonite (MCC) Michael Sharp rend visite à Elizabeth Namavu et ses enfants, dans le cadre de son travail en République démocratique du Congo. Beaucoup de mennonites et de BIC des États-Unis ont développé des liens internationaux en travaillant avec le MCC. Photo : Jana Asenbrennerova

 

 

 

 

 

 

 

Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreux mennonites et BIC ont été emprisonnés pour avoir refusé d’être enrôlés dans l’armée en raison de leur engagement en faveur de l’Évangile de la paix. Ici, des mennonites chantent des cantiques en prison. Photo : aimable autorisation des Archives de Mennonite Church USA

 

 

 

 

 

Au début des années 1950, les femmes de la First Mennonite Church de Bluffton (Ohio) mettent de la viande en conserve qui sera distribuée dans le monde entier par le MCC. Photo : aimable autorisation des Archives de l’Université de Bluffton

 

 

 

Overflow’, un groupe musical de jeunes latino-américains Frères en Christ de Miami, (Floride), se produisent lors d’une conférence de l’église en 2014. Un tiers de tous les BIC des États-Unis parlent espagnol. Photo : Will Teodori/BIC U.S. Communications

 

 

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