Les conflits dans l’Église : leçons tirées d’Actes 15

J’ai grandi dans une paroisse mennonite en Argentine. Je me souviens de la prédication et de l’enseignement sur le pardon et la réconciliation, tant au sein de la famille ecclésiale que dans les relations avec ceux qui ne font pas partie de la communauté spirituelle. 

Je me souviens aussi de situations de tension, voire de menaces de division. Certains des problèmes venaient des points de vue divergents sur le ‘covering’ porté ou non par les femmes lors du culte, la participation à la politique et la situation des personnes divorcées souhaitant rejoindre ou rester dans la paroisse. 

Plus récemment, les questions les plus difficiles auxquels nous avons été confrontés, tant au niveau de la paroisse qu’au niveau de l’union d’églises, concernent la question de savoir qui peut devenir pasteur et dans quelle mesure nous devrions être inclusifs dans l’accueil de nouveaux membres et concernant les fonctions de responsabilité. 

Deux facteurs sont liés et toujours présents dans les situations de conflit comme celles mentionnées ci-dessus : d’une part, ce qui est juste ou vrai, ce qui reflète et favorise la fidélité, et d’autre part, la place de l’amour et de la grâce qui recherchent la paix et favorisent la réconciliation et la construction communautaire. 

Ces deux facteurs sont présents dans l’appel à « proclamer la vérité avec amour » (Éphésiens 4.15).  

Un autre élément constant des conflits dans l’Église est la place des Écritures. La fonction de l’interprétation biblique dans la recherche de résolution, de transformation des conflits et la guérison sont indispensables. Il y a des perspectives, des encouragements et des conseils dans les Écritures. 

Le reste de cet article consiste en une étude de cas tirée de la Bible. Elle est proposée comme modèle lors de réflexions sur les difficultés et les opportunités présentées par les situations de conflit dans nos assemblées aujourd’hui. 

Le concile de Jérusalem comme prototype (Actes 15.1-35) 

Depuis le début, l’Église a dû pratiquer le discernement moral et spirituel. Il s’agit d’un processus d’interprétation dans lequel l’expérience humaine est considérée et évaluée dans son contexte socioculturel et à la lumière des Écritures. 

On trouve dans le récit du concile de Jérusalem un témoignage clair – et précoce – d’une telle pratique (livre des Actes). Examinons-le en gardant à l’esprit la question des conflits au sein de l’église. 

Les non-juifs deviennent disciples du Christ. Une mission réussie ! Cependant, rapidement, parmi les responsables de la paroisse « des conflits et des discussions assez graves » éclatèrent (2) sur cette question précise. De nouvelles questions émergent quant aux conditions requises pour appartenir à l’Église en tant que peuple de Dieu, et donc concernant le salut lui-même. 

Les conflits aboutissent souvent à la séparation, voire au schisme et à l’aliénation. Cependant, ceux qui sont impliqués ici choisissent de considérer le don du conflit comme une opportunité pour remettre en question et enrichir leur imagination théologique et spirituelle. 

Les responsables convoquent une réunion. Paul, Barnabas et d’autres ont l’occasion de donner leur témoignage, tandis que certains pharisiens insistent sur la nécessité pour les hommes païens convertis d’être circoncis et d’observer la loi de Moïse (5). 

Il nous est dit que c’est la préoccupation et l’affaire de toute l’assemblée (4, 12, 22). 

Les responsables ont un rôle particulier à jouer : Pierre et Jacques parlent de manière convaincante, et les apôtres et les anciens font des choix importants avec le consentement de toute l’église (6, 22). 

Ceux qui prennent la parole associent leur témoignage personnel à l’œuvre du Saint-Esprit telle qu’ils la comprennent et aux paroles des prophètes (15-18). 

Le processus de discernement est en quelque sorte vécu comme dirigé par l’Esprit et aboutit à une décision unanime (25). Le concile réuni enverra deux responsables – Judas et Silas – comme représentants spéciaux « auprès des frères et sœurs d’origine non-juives à Antioche, en Syrie et en Cilicie » (23) avec une lettre donnant leur accord. 

La lettre clarifie la portée des attentes clés concernant les non-juifs conformément à la loi mosaïque (20, 29) et réaffirme le travail de Paul et Barnabas. Le récit de Luc nous dit aussi que les croyants d’Antioche se réjouirent de l’exhortation et furent encouragés et fortifiés par Judas et Silas (31-32). 

En résumé, ce texte présente une riche illustration de l’Église primitive faisant de la théologie pratique tout en faisant face à une situation difficile. Il peut être considéré comme un processus herméneutique à plusieurs niveaux en faveur d’un discernement pertinent et véridique et d’une action fidèle. Voici certaines des leçons que l’on peut en tirer. 

Quelques lignes directrices importantes 

Le discernement est comme une conversation ayant plusieurs directions : allant des histoires personnels au contexte socioculturel, aux Écritures et au Saint-Esprit en passant par les traditions et les pratiques de l’église. Ces facteurs interagissent, à la fois apportant et renvoyant des perspectives. Réalisé comme une pratique spirituelle nécessaire et continue, c’est un processus sans fin ! 

Un discernement fidèle face à un conflit demande toujours beaucoup de temps et d’énergie. En outre, toutes les résolutions prises après un discernement attentif ne sont pas définitives ; certaines peuvent être revisitées et même inversées (par exemple la question de la consommation de certaines viandes évoquée dans la lettre). 

Ceux qui dirigent le processus doivent ‘cultiver des fruits spirituels’ tels que l’humilité, la patience, la générosité, l’espoir, la sagesse et la grâce. Ils doivent démontrer leur connaissance (nécessaire) de la culture, des enseignements de l’Église et des Écritures. Et ils doivent également disposer des compétences nécessaires pour bien suivre les personnes impliquées et le processus lui-même. 

Conflit entre les responsables (Actes 15.36-41) 

Suite au récit de la résolution réussie concernant la manière d’accueillir les non-juifs dans l’église, un autre conflit se produit. Paul et Barnabas se séparent à cause de Jean surnommé Marc2. Examinons le contexte de cette situation afin de mieux comprendre la nature du conflit. 

L’église d’Antioche composée en majorité de non-juifs envoie Paul et Barnabas, accompagnés de Marc, dans ce qui sera appelé le premier voyage missionnaire de Paul (vers 46-48 après JC). 

À leur arrivée à Chypre, le proconsul romain Sergius Paulus devient le premier haut fonctionnaire du gouvernement romain connu à devenir chrétien (Actes 13.4-12). Le peu de détails permet de spéculer sur ses motivations et ses sentiments. En explorant l’histoire ci-dessous, nous prendrons des libertés pour chercher à en tirer des perspectives. 

De Chypre, ils naviguent vers Perga en Pamphylie (sud de la Turquie) où Marc (Jean) « les quitta à cet endroit et retourna à Jérusalem ». Cette référence (Actes 13.13) est probablement devenue un événement important dans la vie de Paul, Barnabas et Marc. 

Apparemment, Marc était le jeune cousin de Barnabas, le fils de sa tante Marie, qui était à la tête d’une église de maison à Jérusalem (Actes 12.12). 

On ne nous le dit pas directement, mais on peut en déduire que Marie avait suggéré à Marc d’accompagner son cousin aîné Barnabas et Paul dans le voyage missionnaire. Barnabas (‘celui qui console’ [Actes 4.36]), ou ‘qui encourage les autres’) a peut-être persuadé Paul de permettre au jeune homme de les accompagner afin de renforcer la foi de Marc et de lui donner une expérience de témoin et de missionnaire. 

On ne nous dit pas pourquoi Marc décide de rentrer chez lui. Peut-être avait-il le mal du pays ou trouvait-il ce ministère rigoureux trop exigeant. Mais on nous raconte la vive dispute entre Paul et Barnabas, causée par le départ de Marc dans la ville portuaire de Perga, capitale de la Pamphylie : 

Après un certain temps, Paul dit à Barnabas : « Retournons donc visiter les frères dans chacune des villes où nous avons annoncé la parole du Seigneur [premier voyage missionnaire]. Nous verrons où ils en sont. » Barnabas voulait emmener aussi avec eux Jean appelé Marc. Mais Paul n’était pas d’avis de reprendre comme compagnon un homme qui les avait quittés en Pamphylie et n’avait donc pas partagé leur travail. Leur désaccord s’aggrava tellement qu’ils partirent chacun de leur côté. Barnabas prit Marc avec lui et s’embarqua pour Chypre, tandis que Paul s’adjoignait Silas et s’en allait, remis par les frères à la grâce du Seigneur [second voyage missionnaire - autour 50-52 après JC]. Parcourant la Syrie et la Cilicie, Paul affermissait les églises. (Actes 15.36-41)  

Leçons à tirer sur le développement du leadership 

“San Barnaba”, a depiction of Barnabas, “Son of Encouragement” (anonymous Lombard painter).
« San Barnaba », une représentation de Barnabas (Fils d’Encouragement), d’un peintre lombardi anonyme. Domaine public

L’espoir que Barnabas avait dans le potentiel du jeune Marc et les encouragements qu’il a donnés à son cousin témoignent d’un esprit de discernement. 

Au moment de la dispute, Paul n’aurait jamais pu imaginer que ce jeune homme apparemment faible écrirait un jour l’un des quatre Évangiles. De plus, selon la tradition copte, Marc a finalement traversé la Méditerranée et a fondé l’Église copte en Égypte – la plus ancienne église chrétienne du monde. 

Il est intéressant de relier l’histoire du conflit avec Barnabas au récit de Paul et Silas venus à Lystre, en Turquie : « … Il y avait là un disciple nommé Timothée, fils d’une Juive devenue croyante … Paul désirait l’emmener avec lui ; il le prit donc et le circoncit. (Actes 16.1-3) 

Se pourrait-il que Paul ait réalisé l’importance d’encourager la foi chez les jeunes hommes et de leur donner l’expérience de communiquer l’Évangile ? Le jeune Timothée, encadré par Paul – tout comme le jeune Marc, encadré par Barnabas – se révélerait être l’un des disciples les plus aimés et les plus fidèles de Paul. 

Autour de 60 après JC, alors que Paul était en prison à Césarée, il a terminé ainsi sa lettre à l’église de Colosses, près d’Éphèse : « Aristarque, mon compagnon de captivité, te salue, ainsi que Marc, le cousin de Barnabas » (Colossiens 4.10). Il semble qu’au cours des années précédentes, Paul s’était réconcilié avec Marc (on se demande si c’était à l’instigation de Barnabas ?). 

Il semblerait que plus de dix ans après que Paul et Barnabas aient eu un grave conflit impliquant Marc, Paul peut désormais écrire à son propre disciple Timothée : « Luc seul est avec moi. Emmène Marc avec toi, car il pourra me rendre service dans ma tâche. » (2 Timothée 4.11)  

Marc pourra me rendre service dans ma tâche. Pouvons-nous supposer que Barnabas, le ‘fils d’encouragement’, ait vécu assez longtemps pour voir le fruit de son ministère avec son jeune cousin Marc ? La confiance de Barnabas en son cousin Marc et l’encouragement qu’il a apporté à Marc et à l’apôtre Paul ont peut-être modifié le cours de l’histoire. 

Peut-être que ces trois disciples de Jésus représentent la réalisation de la promesse de la seconde chance, de la rédemption, du pardon et de la réconciliation. Cela étant, l’histoire de ces séparations nous invite à en souligner certaines conséquences. 

  • Parfois, la séparation est inévitable, voire conseillée afin d’éviter de nouveaux conflits. Néanmoins, le choix de la séparation, bien qu’amère sur le moment, peut être altéré à l’avenir. 
  • La séparation et la division ne doivent pas nécessairement être permanentes. L’espoir de mieux se comprendre et de se réconcilier à l’avenir peut subsister. 
  • Il est possible que Barnabas soit devenu le mentor de Marc. Quoi qu’il en soit, cela nous rappelle qu’il est nécessaire de s’occuper des jeunes et des futurs responsables d’églises dans ce domaine. Et cela demande toujours un engagement, de la patience, la volonté de prendre des risques et un investissement généreux en temps et en énergie. 
  • L’histoire suggère aussi qu’il existe une place particulière pour le ministère de la médiation. Et bien entendu, un tel ministère dépend de la confiance et de la bonne volonté des parties concernées. Barnabas a pu jouer un rôle de médiateur entre Paul et Marc. (Il est intéressant de noter que la lettre de Paul à Philémon peut également être lue comme documentant le travail de médiation de Paul entre Philémon et Onésime). 
  • Enfin, dans notre lecture imaginative, est-il juste de projeter que la ‘réunion’ de Paul et de Marc ait été possible, non pas parce que l’un d’entre eux a prévalu ayant eu raison, mais parce que tous deux ont continué à mûrir et à tirer des leçons de leurs expériences passées ? 

Au début de cet article, je souligne que deux facteurs sont liés et toujours présents dans les situations de conflit comme celles évoquées dans notre étude de cas d’Actes 15 : ce qui est juste ou vrai, qui reflète et favorise la fidélité ; et l’amour et la grâce qui recherchent la paix et favorisent la réconciliation et la construction de la communauté. Le Psaume 85.10-11 fait allusion à ce lien indissociable et résume magnifiquement la vision du shalom pour la transformation et la guérison des conflits : « Fidélité et Vérité se sont rencontrées, elles ont embrassé Paix et Justice. La Vérité germe de la terre et la Justice se penche du ciel ». Qu’il en soit ainsi ! 

—Daniel Schipani est pasteur de Mennonite Church USA et membre de l’assemblée locale mennonite de Belmont à Elkhart, Indiana (États-Unis). Lui et sa femme Margaret ont deux enfants adultes et trois petits-enfants. Titulaire d’un doctorat en psychologie et d’un doctorat en théologie pratique, il est professeur émérite à AMBS (séminaire biblique anabaptiste mennonite) et professeur affilié au séminaire théologique McCormick et au séminaire théologique de San Francisco. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’éducation, la pastorale, l’accompagnement et la théologie pratique. 


Courrier 38.4

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