« Il faut que justice soit faite. Ils doivent payer pour le mal terrible qu’ils ont fait ». Ces phrases et d’autres du même genre ont été souvent répétées dans l’actualité ces derniers mois.
Dans mon pays, la Colombie, je n’ai entendu que trop souvent les mêmes phrases sur les lèvres de chrétiens qui prétendent suivre Jésus, le Dieu qui a choisi la compassion plutôt que la vengeance, celui qui nous a enseigné à donner à nos ennemis et même à nos oppresseurs, non pas ce qu’ils méritent, mais ce dont ils ont besoin.
Alors que je réfléchis devant les images des atrocités causées par la guerre dans d’innombrables endroits du monde, je me souviens des paroles d’un sage rabbin juif, Jonathan Sacks, qui a été le grand rabbin des Congrégations hébraïques unies du Commonwealth de 1991 à 2013. Permettez-moi de citer quelques-uns de ses écrits :
« Il est de la responsabilité [de la foi abrahamique] d’être une bénédiction pour le monde…. Invoquer Dieu pour justifier la violence contre les innocents n’est pas un acte de sainteté mais de sacrilège. C’est une sorte de blasphème. C’est prendre le nom de Dieu en vain » [1].
« Rien n’est plus décourageant que le cycle de vengeance qui hante les zones de conflit et enferme leurs populations dans un passé qui ne relâche jamais son emprise. Tel a été le sort des Balkans, de l’Irlande du Nord, de l’Inde et du Cachemire, du Moyen-Orient…. Les représailles sont la réponse instinctive à ce qui est perçu comme une injustice…. Les griefs historiques sont rarement oubliés. Ils font partie de la mémoire collective d’un peuple…. C’est ce qui fait du pardon une idée si contre-intuitive. C’est plus qu’une technique de résolution des conflits. C’est une stratégie étonnamment originale. Dans un monde sans pardon, le mal engendre le mal, la souffrance engendre la souffrance, et il n’y a pas d’autre moyen que l’épuisement ou l’oubli pour briser ce cycle. Le pardon seul peut le rompre » [2].
Le rabbin Sacks observe — comme toute personne qui s’est penchée sur le conflit israélo-palestinien — que les questions sont complexes. Une solution acceptable pour les principales parties aurait déjà été mise en œuvre s’il avait été simple de la trouver.
Une longue mémoire : les Israéliens pensent à « 2 000 ans de souffrance juive et à la nécessité existentielle pour les juifs d’avoir, quelque part sur terre, un espace défendable », écrit le rabbin Sacks, et les Palestiniens se souviennent « des déplacements et des pertes, de l’impuissance politique et des difficultés économiques, de la défaite humiliante et de la colère » [3].
Alors que chaque groupe tente de protéger son propre espace, leurs tentatives de préservation se traduisent parfois par des destructions qui affectent l’autre et se retournent contre eux-mêmes. « Le pardon semble absurdement inadapté aux conflits d’intérêts importants et à la dynamique même de la suspicion, de la méfiance et des griefs cumulés », écrit le rabbin Sacks.
« Pourtant, en fin de compte, la paix est établie, si tant est qu’elle le soit, par des personnes qui reconnaissent le statut de personne de leurs adversaires. Tant que les Israéliens et les Palestiniens ne seront pas capables de s’écouter les uns les autres, d’entendre l’angoisse et la colère de chacun et de laisser un espace cognitif aux espoirs de l’autre, il n’y aura pas d’issue [… En tant que juif], j’honore le passé non pas en le répétant mais en en tirant les leçons — en refusant d’ajouter de la souffrance à la souffrance, de la douleur à la douleur. C’est pourquoi nous devons répondre à la haine par l’amour, à la violence par la paix, au ressentiment par la générosité d’esprit et au conflit par la réconciliation » [4].
Au moment où j’écris ces mots, le cycle de la violence et des représailles continue de s’approfondir. Il est presque impossible de dire quoi que ce soit sur cette situation sans fâcher quelqu’un quelque part, comme ce fut le cas avec la réponse conciliatrice à la guerre au Moyen-Orient que nous avons rédigée en octobre 2023. Et pourtant, nous sommes appelés à répondre, en tant que Communion mondiale, à ce scénario de guerre et à beaucoup d’autres scénarios terribles que nous voyons aujourd’hui. C’est pourquoi nous vous invitons, dans ce numéro du Courrier, à réfléchir à la compréhension des messages bibliques en fonction des réalités d’aujourd’hui.
Oui, face à de terribles atrocités, les gens, quels qu’ils soient, ont le droit d’exiger que les auteurs obtiennent ce qu’ils méritent pour ce qu’ils ont fait. Mais, grâce à Dieu, il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Grâce à Dieu, Jésus nous montre une autre voie.
—César García est secrétaire général de la Conférence Mennonite Mondiale. Originaire de Colombie, il vit à Kitchener, Ontario (Canada).
[1] Jonathan Sacks, Dieu n’a jamais voulu ça: La violence religieuse décryptée, 5.
[2] La dignité de la différence : Pour éviter le choc des civilisations, 178-79.
[3] Ibid, 189-190.
[4] Ibid, 189-90.
Bibliographie
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Sacks, Jonathan. The Dignity of Difference: How to Avoid the Clash of Civilizations. London: Bloomsbury, 2003. (traduit chez Bayard, 2004 : La Dignité de la différence : Pour éviter le choc des civilisations)
- ———. Not in God’s Name: Confronting Religious Violence. First American edition. ed. New York: Schocken Books, 2015. (Traduit chez Albin Michel, 2018) : Dieu n’a jamais voulu ça: La violence religieuse décryptée )