Pratiquer la paix avant la tempête

Mercredi soir

Êl’âge de 17 ans, mon grandpère a été obligé de se battre pendant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque j’ai commencé à parler de mon projet d’étudier la paix et la théologie de la paix, il s’est un peu énervé. Il m’a dit : « Vous voulez parler de paix et de guerre, mais vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Quand la guerre arrive, personne n’a le choix. Il n’y a rien à faire ! » Ê cette époque, je pensais que ce qui manquait à l’Europe occidentale pendant la Seconde Guerre mondiale, c’était une bonne théologie de la paix. Ce que nous avons maintenant, donc tout ira bien. C’est du moins ce que je pensais.

Il y a quelques mois (et environ 80 ans après la Seconde Guerre mondiale), la guerre a éclaté en Ukraine. Et tandis que nos frères et sœurs en Ukraine font face aux horreurs de la guerre, de nombreux mennonites d’Europe occidentale sont choqués par la proximité et la réalité de la guerre. Nos nombreuses années de bonne théologie de la paix sont oubliées. Nous ressentons à nouveau ce que mon grandpère ressentait : « Il n’y a rien à faire ». Soudain, pour de nombreux chrétiens pacifistes, la seule option possible est l’engagement violent. Nous affirmions la non-violence lorsque notre contexte était pacifique, mais face à la guerre, nous considérons la résistance non-violente comme naïve et irréaliste. Nous avons beaucoup de bons théologiens de la paix, mais ce qu’ils disaient est devenu caduc. Aujourd’hui, nous avons peur que la guerre n’envahisse l’Europe. Alors tout à coup, notre théologie et nos croyances semblent obsolètes. Une tempête s’est abattue sur l’Europe, et nos convictions se sont effondrées. Les tempêtes ont tendance à faire cela : elles brisent ce que nous pensions être solide et fort.

Le passage biblique que nous avons lu est la conclusion du Sermon sur la Montagne. Ce sermon est un recueil d’enseignements de Jésus, adressés à des personnes vivant dans des temps difficiles. Ê l’époque, la Palestine était sous occupation romaine et les Juifs luttaient sous l’oppression d’un régime violent. Les lourds impôts, le travail forcé et les abus sexuels faisaient partie de leur quotidien. Pourtant, Jésus les appelle, eux, le peuple opprimé par la Rome impériale, à aimer collectivement leurs ennemis et à ne pas résister à celui qui fait le mal. Et il les prévient que cela sera très difficile, et qu’ils risquent de le payer de leur vie.
Curieusement, les foules semblent apprécier ce qu’elles entendent. « Oh la la, Jésus a vraiment beaucoup de charisme, voyez comment il enseigne ! Quelle autorité ! » Jésus sait probablement que beaucoup de ses auditeurs sont simplement curieux. Ils sont là pour voir de quoi il retourne, pour écouter, discuter, commenter… et ils ne vont pas agir en fonction de ses enseignements ou les mettre en pratique. Mais une tempête se prépare et elle va mettre à l’épreuve toutes leurs idées et leurs croyances. Pour les gens assis sur la montagne et qui écoutent Jésus, la guerre avec Rome est sur le point de s’aggraver. Pour les lecteurs de Matthieu, la persécution va frapper ceux qui décident de suivre la voie du Christ. Et ces tempêtes vont briser certaines opinions et croyances qui semblaient si solides.

Cependant, il existe un moyen pour les croyances de survivre à la tempête. Jésus parle de deux maisons, l’une construite sur le roc, l’autre sur le sable. La tempête est venue pour les deux. « La pluie est tombée, les torrents ont débordé, la tempête s’est abattue sur cette maison », mais une maison s’est écroulée et pas l’autre. La différence entre les deux maisons est leurs fondations. Les fondations de la maison ne sont pas la foi en Jésus ou non. Jésus nous dit que les fondations sur le roc sont la mise en pratique de ses paroles.

Dans l’histoire qu’il raconte, les deux hommes ont entendu les paroles de Jésus, mais seul le sage les a mises en pratique. C’est le fait de mettre en pratique les paroles de Jésus, encore et encore, jour après jour, qui nous prépare à la tempête. Car la tempête viendra de toute façon. Il n’y a qu’un seul moyen pour tenir bon dans la tempête : la pratique ! S’entraîner à aimer ses ennemis, s’entraîner à la résistance non violente, s’entraîner à désarmer l’oppresseur sans le blesser. C’est quelque chose que nous pouvons pratiquer tous ensemble.

Si nous mettons en pratique ensemble, nous apprenons ensemble. Avant d’être pasteure, j’étais ergothérapeute. L’idée centrale de l’ergothérapie est que le cerveau et le corps apprennent en faisant. Lorsque nous faisons quelque chose de nouveau, les neurones de notre corps se connectent de manière nouvelle. Lorsque nous répétons et pratiquons, les connexions se renforcent. Après un certain temps, nous pouvons faire cette nouvelle chose dans différentes situations, sans avoir à y penser.

Lorsque nous pratiquons quelque chose, nous l’apprenons. Cela veut aussi dire que si nous voulons apprendre quelque chose, nous devons le mettre en pratique. En théorie, je crois que je pourrais courir un marathon. Mais je ne pourrai le faire que si je m’entraîne à courir. C’est pareil si nous voulons être des vrais témoins de paix, ou si nous voulons résister sans violence. En Europe occidentale, lorsque nous, mennonites, parlons de la paix, nous passons beaucoup de temps à parler de la façon dont on devrait agir dans différentes situations. Et la plupart du temps, c’est tout ce que nous faisons. Et quand la guerre arrive, tout à coup nous devons commencer à mettre en pratique ce dont nous avons discuté. Sauf que le milieu de la tempête n’est pas le bon moment pour apprendre comment agir.

N’attendez pas la tempête pour savoir si vos fondations sont solides. Assurezvous qu’elles le soient. Comment ? Avec la pratique ! Les mennonites ont l’habitude d’entendre des appels à la résistance non-violente lors des Assemblées.

Lors de l’Assemblée de la CMM à Amsterdam en 1967, Vincent Harding a appelé les mennonites à se joindre à nos sœurs et frères noirs dans la lutte pour la liberté, à se joindre aux nombreux mouvements révolutionnaires dans le monde.

Lors de l’Assemblée de 1984 à Strasbourg, Ron Sider a exhorté l’Église à monter et former une équipe hautement qualifiée pour le travail de paix – ce qui a donné lieu à la création des Community Peacemaker Teams.

Mais la plupart d’entre nous sont restés sur la touche, là où la vie est plus confortable. Dans une jolie petite maison sur la plage.

Ê quoi ça ressemble de pratiquer l’amour de l’ennemi au niveau collectif, à notre époque et dans nos pays ? Cela peut très bien ressembler à la résistance non-violente à la guerre. Peut-être que les mennonites pourraient se préparer à la résistance à la guerre avec un ‘contre-service militaire’, comme un camp d’entraînement à la résistance non-violente. Les nations se préparent à la guerre par le service militaire. Il existe des formations de secourisme pour les soins de santé d’urgence. Il est peut-être temps pour nous de créer une formation généralisée pour que les gens d’église ordinaires apprennent et pratiquent les bases de la résistance civile.

Certaines personnes s’engagent et s’engageront toute leur vie dans la construction non-violente de la paix, et nous avons énormément besoin de ce genre de personnes. Mais nous avons également besoin d’une base de pratique pour l’ensemble de l’église.

Dans la majeure partie de l’Europe, nous avons plus d’expérience en matière de discussion et de débat que d’activisme, de résistance à la guerre, de révolution ou de changement social. Nous avons besoin de l’aide de l’église mondiale si nous voulons mettre le pied dans le domaine de la pratique. Nous savons que nous avons des frères et des sœurs qui ont de l’expérience dans la résistance non violente. S’il vous plaît, formez-nous. Pratiquez avec nous. Pour que nous puissions apprendre ensemble. C’est ainsi que nous tiendrons bon lorsque les tempêtes arriveront.

—Salomé Haldemann a une formation d’ergothérapeute et une maîtrise en théologie et paix à Anabaptist Mennonite Biblical Seminary, Elkhart, Indiana, USA. Elle fait son stage comme pasteure de l’Eglise Evangélique Mennonite de Béthel, Neuf-Brisach, France.


Cet article est paru pour la première fois dans le numéro d’Octobre 2022 de Courier/Correo/Courrier.