Paseduluran : les églises indonésiennes vivent l’évangile de la paix

La présence des anabaptistes-mennonites indonésiens revêt une grande importance dans l’histoire des anabaptistes du monde entier, car elle apporte une nouvelle lumière, non seulement à la question « Qui sont les anabaptistes ? », mais aussi à la question annexe « Qui sont les voisins des anabaptistes ? »

Depuis ses débuts il y a près de 500 ans, la famille anabaptiste était principalement composée d’Européens. Mais cela a radicalement changé dans les années 1850 lorsque des anabaptistes ont quitté l’Europe et sont arrivés à Java.

Cette mission a non seulement cassé l’image séculaire des anabaptistes, ‘les silencieux dans le pays’, mais elle a aussi été la première mission internationale, car elle était formée d’anabaptistes des Pays-Bas et de Russie.

Depuis, les anabaptistes ne sont plus majoritairement européens. Dans un pays comme l’Indonésie, avec le plus grand groupe musulman du monde, on peut dire maintenant que les voisins des anabaptistes ne sont pas seulement catholiques, luthériens et calvinistes, mais aussi musulmans, hindous et bouddhistes.

Trois unions d’églises

Aujourd’hui, il y a trois groupes anabaptistes-mennonites en Indonésie : Gereja Injili di Tanah Jawa (GITJ - Église évangélique de Java), Gereja Kristen Muria Indonesia (GKMI - Église chrétienne de Muria d’Indonésie) et Jemaat Kristen Indonesia (JKI - Assemblée chrétienne indonésienne).

La GITJ est une église à prédominance javanaise, située dans la région du centre-nord de Java où se trouvent la plupart des mennonites, bien qu’elle compte quelques membres chinois, batak, de Sumatra et de Nusa Tengarah Timur.

La GKMI, l’un des trois groupes anabaptistes-mennonites d’Indonésie, a été officiellement enregistrée en tant qu’union d’églises dès 1927, ce qui en a fait la première union d’églises anabaptistes-mennonites non occidentale organisée au monde.

Son fondateur, Tee Siem Tat, un Indonésien chinois, a refusé de suivre le système de zonage colonial néerlandais (chaque dénomination n’était autorisée à répandre l’évangile qu’à un groupe ethnique spécifique dans une zone déterminée), si bien qu’aujourd’hui cette Église est diversifiée. En 1960, la GKMI Kudus a ordonné comme pasteur principal Sudarsohadi Notodihardjo (un pasteur javanais). Cela revient à ordonner un pasteur afro-américain dans une église à dominante blanche, dans le Mississippi profond à l’époque de l’esclavage !

Les anabaptistes de la JKI représentent la diversité de l’Indonésie, avec des membres originaires de Batak, de Chine, les îles de la Sonde, de Dayak, de Banjar, de Menado, de Bali, d’Ambon, de Kupang, de Papouasie et de Java.

Identité anabaptiste-mennonite

Les anabaptistes-mennonites indonésiens font partie à la grande famille anabaptiste à tous les niveaux de la Conférence Mennonite Mondiale.

Cependant, en Indonésie, les églises sont simplement appelées chrétiennes. Il n’y a pas de distinction explicite entre leurs origines confessionnelles, qu’elles soient anabaptistes, calvinistes, luthériennes, méthodistes, pentecôtistes, etc. Vivant dans le plus grand pays à majorité musulmane au monde, avec six groupes religieux officiels, les églises indonésiennes n’ont pas d’intérêt à exposer leurs origines. Elles sont actives dans la mission et l’évangélisation et mettent de côté leurs différences confessionnelles.

Pourtant, au cours des deux dernières décennies, il y a eu un intérêt croissant parmi les anabaptistes-mennonites, en particulier les jeunes, pour mieux connaître et comprendre l’anabaptisme. Certains livres de théologie et d’histoire anabaptistes ont été traduits en indonésien afin que les responsables d’églises et les laïcs puissent les étudier. Des livres sur la théologie anabaptiste ont été utilisés comme manuels dans les séminaires et les universités interconfessionnelles appartenant aux églises anabaptistes-mennonites, et où enseignent des théologiens anabaptistes-mennonites. Cette évolution les a rendu plus audacieux pour s’identifier en tant que tels.

La relation entre le Mennonite Diakonia Service de la GKMI et le groupe du Hezbollah à Solo est un exemple de la manière dont les anabaptistes-mennonites indonésiens deviennent plus ouverts quant à leurs convictions pacifistes.

La plus ancienne église, la GITJ, a le don de la contextualisation. Utilisant l’art et les traditions de la culture javanaise, elle montre la pertinence de l’Évangile pour le peuple indonésien. L’Évangile de paix est une expression de ‘paseduluran’, un mot javanais signifiant ‘fraternité’.

Activités

Les anabaptistes-mennonites indonésiens sont très engagés dans le travail interreligieux pour la paix, par exemple le secours lors de catastrophes ou la formation, les ateliers de médiation et de consolidation de la paix.

Avec l’aide du Comité Central Mennonite, les anabaptistes-mennonites ont pris l’initiative de mettre en place une maîtrise d’Études sur la Paix et les Conflits à l’Universitas Kristen Duta Wacana. Il s’agit du premier programme d’études (universitaires) reconnu par le gouvernement indonésien. Cette initiative, et quelques autres, ont encouragé certaines universités chrétiennes d’Indonésie à créer un Centre pour la Paix dans leurs institutions. Maintenant, des cours de formation à la paix sont offerts à tous les niveaux dans de nombreuses universités chrétiennes indonésiennes.

De nombreuses paroisses anabaptistes-mennonites ont conçu une forme d’éducation alternative et des communautés orientées vers la paix. Elles ont créé des programmes scolaires et diverses ressources pour l’école du dimanche afin de sensibiliser les enfants à la paix. Il existe aussi un ‘Village de la Paix’ où les gens travaillent ensemble pour développer le bien-être économique et des valeurs pacifistes. Leur collaboration avec les internats islamiques a permis de mettre en place une ‘Bibliothèque de la Paix’ et de développer des réseaux entre des institutions et des individus de diverses origines religieuses pour agir pour la paix.

La mission de l’Église n’est pas comprise et pratiquée comme une forme de prosélytisme, mais comme une mission de réconciliation.

La JKI est exemplaire en matière de sensibilisation, en particulier auprès des jeunes. Elle a fondé et continue de soutenir le plus grand groupe interconfessionnel de jeunes d’Indonésie, la Unlimited Fire Youth Conference, qui rassemble des centaines de paroisses et des milliers de jeunes, en vue de former des jeunes responsables.

Les assemblées locales utilisent les médias sociaux pour interagir avec les jeunes, offrant des cours en ligne, un accompagnement créatif et des activités ludiques. La plupart des bénévoles engagés dans les paroisses sont encore au lycée ou sont en apprentissage.

Par exemple, la paroisse Jakarta Praise Community forme des disciples enthousiastes qui servent Dieu par la musique, le multimédia, l’enseignement, la technologie et les arts. La musique écrite et composée par des membres de l’Église JKI a un impact non seulement sur les chrétiens indonésiens, mais ailleurs dans le monde. Les paroles de leurs albums ont été traduites en anglais, thaï, japonais, mandarin et coréen.

La JKI soutient une station missionnaire à Sumba. Les enfants sont parrainés pour pouvoir fréquenter l’école et les habitants apprennent à tisser des étoffes traditionnelles tenun qui sont ensuite vendues dans le pays et à l’étranger. La JKI est en train de construire un système d’irrigation et de développer des méthodes agricoles alternatives pour aider la communauté à améliorer son niveau de vie.

Près de Batam, la JKI s’est tournée vers les Suku Laut (Peuple de la Mer) qui vivent sur la myriade d’îles entourant l’Indonésie et sur des bateaux. Ils ont très peu accès à l’électricité et aux connexions internet, et vivent souvent loin des magasins et des restaurants. Auparavant, ils devaient voyager 8 à 10 heures en bateau pour entendre l’Évangile lors des services religieux à Batam, mais maintenant, il y a plusieurs assemblées locales parmi le Peuple de la Mer. Les missionnaires JKI s’occupent des enfants dans une école maternelle.

Les paroisses essentiellement rurales de GITJ travaillent à la paix dans leurs communautés. Elles sont engagées dans des projets sociaux comme les soins médicaux pour tous indépendamment de la religion. La paroisse de Magorejo a lancé un projet de reboisement des forêts de mangrove.

Difficultés et opportunités

Être chrétiens dans un pays à majorité musulmane est difficile pour les communautés mennonites. Ils sont parfois confrontés à des restrictions quant au moment et à l’endroit où se réunir pour célébrer le culte ou pour avoir des rencontres fraternelles. Ils font aussi face à des obstacles pour obtenir les autorisations nécessaires pour construire un lieu de réunion, pour se rassembler et prêcher la Bonne Nouvelle.

Une des paroisses de la GITJ de la région de Jepara a adressé régulièrement pendant 12 ans une pétition aux responsables municipaux pour obtenir l’autorisation d’utiliser un bâtiment d’église. Avec persévérance et bienveillance, ils ont développé des relations avec divers membres du gouvernement et avec des personnes d’autres religions. Leur demande a finalement été entendue.

La montée de la politique identitaire – en particulier l’identité religieuse et ethnique – en Indonésie a rendu difficiles les progrès de la coexistence pacifique entre les différentes communautés ethniques et religieuses. La politique identitaire n’est pas mauvaise en soi, mais elle devient un obstacle à la cohésion sociale lorsque le groupe le plus respecté se sent supérieur, tout en manquant de respect aux autres groupes, voire en se les aliénant ou les détruisant. La violence sous forme de discours haineux, de discrimination et d’exclusion s’ensuit facilement. Ce phénomène se produit non seulement entre groupes mais aussi au sein des groupes. Les anabaptistes-mennonites indonésiens n’en sont pas exempts, ce qui crée de grands problèmes externes et internes.

Dans certaines régions, la pauvreté, le chômage et le faible niveau d’éducation sont des problèmes persistants pour les communautés chrétiennes. Pour les assemblées locales de la GITJ, annoncer la Bonne Nouvelle signifie apporter une aide concrète et des possibilités d’apprentissage outre la nourriture spirituelle.

D’autres problèmes concernent la laïcité et la modernisation qui ont conduit les jeunes à s’éloigner des églises. Pour y répondre, les églises ont utilisé le multimédia, les médias sociaux et des activités créatives.

Pendant l’année écoulée la pandémie mondiale n’a pas facilité la progression de l’Église, mais la technologie a permis de se connecter avec les membres des paroisses. Celles-ci ont découvert les services en ligne, en utilisant Zoom, GoogleMeet, Instagram live, YouTube live et les appels vidéo WhatsApp afin d’assister au cultes, aux petits groupes, aux réunions, aux ateliers et à des sessions de relation d’aide.

Les églises mennonites d’Indonésie aiment leurs voisins de manière holistique. Par exemple, du 5 au 7 février 2021, certaines régions de Semarang ont été inondées après de fortes pluies. L’eau a submergé les voitures et les maisons. Les membres des assemblées de Semarang se sont déplacés en radeau vers ces régions pour aider les familles à quitter leur maison. Les magasins et les restaurants étaient déjà fermés pendant les week-ends en raison du COVID-19, les paroisses ont alors distribué de la nourriture aux familles dans le besoin. Elles ont fourni un abri aux personnes qui avaient dû quitter leur maison inondée.

Trois synodes

Dans le passé, les relations entre les trois synodes n’ont pas été très étroites. Le séminaire mennonite de Pati est le résultat d’un partenariat entre la GITJ et a GKMI.

Mais au cours de la dernière décennie, une nouvelle manière de collaborer s’est développée sous la forme d’Indomenno. Cette nouvelle entité est destinée à aider les trois synodes à travailler ensemble et se soutenir mutuellement, notamment en s’associant au Comité Central Mennonite et en accueillant l’Assemblée de la Conférence Mennonite Mondiale en 2022. D’autres initiatives communes sont envisagées. Cependant, le COVID-19 a limité la liberté de se rencontrer. Plusieurs fois, les responsables ont dû refaire et reporter leur ordre du jour concernant la préparation de l’Assemblée.

« Nous espérons rester solides et unis dans le soutien de cette prochaine Assemblée. Nous sommes très heureux et honorés que nos frères et sœurs du monde entier puissent venir et voir ce que Dieu fait en Indonésie » dit Eddy Suyanto.

Contributeurs : Paulus Widjaja (GKMI), Eddy Suyanto (JKI), Lydia Adi (JKI), Teguh Sagoya (GITJ), Edi Cahuyono (GITJ), Tri Gunanto (GITJ)


En savoir davantage :

  • The Radical Muslim and Mennonite: A Muslim-Christian Encounter for Peace in Indonesia, de Agus Suyanto y Paulus Hartono, trans. Agnes Chen (Semarang: Pustaka Muria, 2015)
  • A Cloud of Witnesses: Celebrating Indonesian Mennonites, de John D. Roth (à venir)
  • “Indonesia: struggling, learning, serving,” Courier/ Correo / Courrier, de Adhi Dharma

Gereja Injili di Tanah Jawa

 
Membres baptisés 45 000
Paroisses (2019) 117
   

Persatuan Gereja-Gereja Kristen Muria Indonesia

 
Membres baptisés 15 789
Paroisses (2020) 64
   

Sinode Jemaat Kristen Indonesia

 
Membres baptisés 47 087
Paroisses (2020) 400

Source: Statistiques mondiales – annuaire 2018

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