Plus unis que jamais

Réflexions d’Alfred Neufeld, président de la Commission Foi et Vie de la CMM, sur l’état de la communauté mennonite mondiale

Alfred Neufeld, théologien, historien et philosophe généralement perspicace, a deux lectures ces jours-ci : les comptes-rendus des rassemblements mennonites mondiaux passés et les réseaux sociaux.

Alfred, d’Asuncion (Paraguay) passe son année sabbatique (il est président de l’Universidad Evangélica del Paraguay) à Regensburg (Allemagne).

Il lit les ‘gros livres des Délibérations’, publiés après les 10 premiers rassemblements de la Conférence Mennonite Mondiale (entre 1925 et 1978) pour découvrir quelles grandes questions ont été débattues lors de chacun d’eux.

Et il lit attentivement aussi ce qui est posté sur les réseaux sociaux, en particulier les exposés théologiques des ‘prédicateurs néo-calvinistes’, comme il les appelle, qui influencent beaucoup de jeunes mennonites actuellement.

Lors du Conseil Général de la CMM à Harrisburg, Alfred, qui préside la Commission Foi et Vie, a traité du sujet ‘Comment avons-nous géré les conflits dans le passé ?’. Selon lui, cette question présente un grand intérêt pour les mennonites, qui se demandent si la division et la fragmentation continueront à faire partie de leur avenir.

« J’étudie l’histoire de notre fraternité anabaptiste et j’admire la vie des mères et pères fondateurs de la CMM. Je découvre beaucoup de sagesse dans leur façon d’aborder les conflits et de maintenir la famille unie » dit Alfred.

« Même si aucun des conflits majeurs ou des tensions historiques n’a disparu complètement, je suis encouragé. La famille mondiale d’aujourd’hui est probablement plus unie que jamais, même si c’est un défi beaucoup plus grand (avec une centaine de cultures mennonites) qu’il ne l’était avec un groupe assez homogène, il y a 90 ans.»

Difficultés actuelles de la famille mondiale

Et pourtant, Alfred remarque que les membres de la famille mondiale ont des raisons de rester vigilants et de ne pas relâcher leur soutien mutuel. « Voici ce qui semble nécessiter notre attention :

Les actes barbares récents du terrorisme islamique constituent un test crucial pour la qualité des convictions pacifistes mennonites fondées sur l’évangile.

Qui doivent être nos responsables et qui va formuler notre théologie ?

Au Paraguay, en Allemagne et dans certaines régions du Canada (les endroits du monde que je connais le mieux), 60 % de nos jeunes élaborent leur théologie d’après des nord-américains néo-calvinistes, très présents dans les réseaux sociaux.

Ces jeunes gens motivés ne cherchent pas une théologie à bon marché ou de droite. Ils cherchent une sagesse biblique honnête et sans compromis. Mais ceux qu’ils écoutent sont fortement opposés au ministère féminin et pensent que l’éthique spirituelle de la non-résistance est un compromis.

Non seulement cela entraîne une sérieuse confusion pour nos jeunes, mais cela peut également saper le ministère de nos femmes pasteures dans les pays où elles ont peu de soutien institutionnel.

Cette théologie menace nos caractéristiques identitaires anabaptistes et il faut y prêter attention avec sagesse et adopter une bonne stratégie. »

Quelles priorités déterminent l’utilisation de notre argent?

« Certains veulent que tous nos dons aillent aux missions et à l’implantation d’églises.

Les paroisses devraient-elles accepter de l’argent du gouvernement pour faire leur travail ? Si oui, combien, ou quel pourcentage du prix de revient d’un projet particulier ?

Ceux qui sont intéressés par la mission demandent parfois s’il est bon que nos organisations et réseaux humanitaires ou nos écoles, acceptent cet argent ‘facile’ alors que les missions ne reçoivent pas ce genre de financement.

En tant qu’Église, nous avons renoncé au soutien de l’État il y a 500 ans. C’était le cœur de l’anabaptisme. Comment gérons-nous cela aujourd’hui ?

En lisant les comptes-rendus de la CMM depuis le début de ses réunions, j’ai vu qu’une question semblable s’est posée au cours de la période nazie, quand les nazis ont offert d’aider à faire sortir les mennonites de Russie.

De toute évidence, pendant ces premiers rassemblements ‘mondiaux’ les mennonites abordaient leurs questions avec une certaine honnêteté. »

Le passé nous donne des raisons d’espérer

Alors, pourquoi Alfred pense t-il que la famille mennonite mondiale a grandi en nombre, en force et en solidarité ?

« Certainement [par] la grâce de Dieu, la seigneurie de Jésus et le ‘lien miraculeux’ de l’Esprit Saint présent dans toutes nos paroisses. »

« Et il y a peut-être au moins trois autres secrets :

  • Tout au long, Dieu nous a donné des responsables clairvoyants et compétents.
  • Les missions et la croissance des jeunes églises dans le Sud.
  • La communion centrée sur le Christ nous a aidés à porter notre attention sur nos points communs, à renforcer nos convictions communes et à être tolérants et patients avec les autres. »

Quelques conseils pour les églises du Sud

Ce théologien / historien / philosophe de l’hémisphère Sud a quelques suggestions pour ses frères et sœurs du Sud concernant leur fonction et leur place dans la famille mondiale spirituelle :

  1. « Les églises du Nord ont besoin de notre soutien et de notre compréhension. Pas de notre arrogance.
  2. Ce n’est pas le moment pour les églises du Sud de chercher à marquer des points contre les églises du Nord.
  3. Les missions sont ‘une route à deux voies’, avec nos vieilles églises se trouvant maintenant en position de recevoir – position dans laquelle nos églises du Sud ont été pendant une centaine d’années. Soyons attentifs et humbles.

Observations d’Alfred sur les structures et les comportements mennonites

  1. C’est peut-être l’un des miracles de la grâce de Dieu aujourd’hui que notre communauté mondiale, mais pluraliste, ait été en mesure de trouver les moyens de rester unie pendant si longtemps. Notre théologie et notre structure ne nous aident pas. Nous n’avons pas de centre mondial de décision, puisque chaque union d’églises est autonome. Nous n’avons pas de confession de foi historique ou actuelle unifiée.
  2. Il y a eu des moments dans le passé où les personnes âgées et les ‘anciens’ détenaient une grande autorité et étaient considérés comme porteurs d’identité. Aujourd’hui, nous sommes tous conscients que si nous ne sommes pas en mesure d’articuler notre théologie et notre identité d’une manière pertinente pour la nouvelle génération ‘numérisée’, il n’y aura pas d’avenir pour la CMM. Ni pour ses églises membres.
  3. Chaque fois que la persécution et la marginalisation ont pris fin, les mennonites se sont identifiés assez fortement à la culture nationale environnante. La séparation du monde est immédiatement devenue un sujet compliqué. »

Dissection des conflits du passé

Il discerne quatre problèmes de fond, qui auraient chacun pu faire échouer la communion anabaptiste plusieurs fois au cours des 90 dernières années (depuis le premier rassemblement en 1925) :

  1. La lutte pour être soit une église ethnique, soit une église missionnaire.
  2. La guerre et la paix.
  3. La transition entre la nouvelle et l’ancienne génération.
  4. Le revivalisme piétiste opposé au libéralisme des Lumières.

Phyllis Pellman Good est écrivaine et rédactrice pour la CMM.