Être Mennonite, en France, aujourd’hui ?

Observateur du monde mennonite français depuis 35 ans, Didier Bellefleur a accepté de partager son regard personnel sur cette identité mennonite en 2020.


La syntaxe de ce titre est volontairement bancale. Ce qui commence comme une affirmation simple, objective, se termine par un questionnement, tant il est vrai que l’identité mennonite française me paraît problématique. Mais ce que je vais écrire ici n’engage que moi : il ne s’agit que d’un ressenti, sans rechercher l’exactitude historique, sociétale et encore moins théologique.

Cela fait maintenant 35 ans que j’ai rejoint les mennonites. Mon père et mon grand-père, à Nancy, étaient déjà des amis de la famille Muller de Toul, si bien que je les ai connus dès mon adolescence (et j’y ai rencontré celle qui est devenue ma femme, il y a de cela plus de quarante ans). Mais c’est en arrivant à Strasbourg en 1984 que je m’y suis vraiment intéressé, que j’ai recherché le sens de ce mot bizarre, mennonite. Ma première déception fut de ne pas trouver, parmi les responsables de l’Église, un Français répondant clairement et simplement à cette question. Ce n’est que petit à petit, au hasard des rencontres, des lectures, des conférences, que j’ai compris ce que je vais écrire ici.

Le poids de l’histoire

Très tôt, j’ai entendu parler des « papes », souvent avec crainte et respect. J’ai finalement compris qu’il s’agissait d’hommes sincèrement convertis et profondément consacrés, qui se sont dévoués à une (re ?)naissance des Églises mennonites de France aux alentours de la fin de la 2e Guerre mondiale. Ils n’avaient, pour la plupart, pas de formation théologique et tiraient leurs enseignements d’une lecture assidue de la Bible, qu’ils connaissaient très bien. Si bien qu’ils se sont rapprochés naturellement des autres évangéliques, entraînant leurs Églises dans ce mouvement.

Ils ont aussi décidé, ayant peut-être conscience de leurs lacunes en théologie mennonite, d’accepter l’aide des mennonites nord-américains. Cela s’est traduit par la création, dans les années 1950, du Bienenberg en matière de formation, et de plusieurs œuvres sociales, pour mettre en pratique la « suivance de Christ ».

Mais c’étaient aussi des hommes autoritaires, imposant leur vision des choses quitte à chasser les contradicteurs. Lors de leur disparition, les références manquaient encore en matière de corpus de théologie anabaptiste en français, si bien que les Églises se sont inscrites davantage dans la mouvance évangélique que dans la doctrine mennonite.

Un autre élément fort est la notion de famille mennonite. Lors des réunions de délégués (et je n’en ai manqué que deux ou trois depuis 1989 !), l’ordre du jour prévoit toujours un mot d’histoire de l’Église qui accueille. Au début, les exposés citaient les noms trouvés dans les registres d’état civil, remontant dans les siècles passés, et s’il s’agissait de Klopfenstein, de Peterschmitt, ou autre Nussbaumer, cela suffisait pour affirmer la présence d’une Église mennonite. J’ai aussi été témoin de la déclaration d’un délégué, disant : « Il est un bon mennonite car c’est le fils d’un mennonite », sans que personne n’y trouve à redire. Lors de l’enterrement d’un homme qui avait quitté les Églises mennonites pour une autre dénomination, j’ai entendu : « Quand on est mennonite, on le reste toute sa vie ! » On était loin de l’Église de professants que les mennonites prétendaient être !

Un congrégationalisme fort

Une des caractéristiques de nos Églises est leur indépendance, défendue jalousement à chaque occasion et inscrite clairement dans les statuts de l’Association des Églises Évangéliques Mennonites de France. Pourquoi ce choix ? Je l’ignore… Certes, le Règlement Intérieur de l’AEEMF institutionnalise la réunion des Anciens, Prédicateurs et Diacres. Selon l’article 7, ils « réfléchissent, échangent et délibèrent en matière de doctrine, […] Ces délibérations entérinées par la réunion des délégués constituent une référence pour les Églises et pour l’AEEMF ».

Mais force est de constater que l’usage de cette réunion annuelle est plus de l’ordre de la formation ou de l’information, que de la construction d’une doctrine commune. Il en a résulté une évolution doctrinale des Églises au gré des responsables qui s’y engagent et des influences locales, sans un « arbitre » au niveau national pour définir ce qui relève vraiment d’un mouvement mennonite.

Aujourd’hui, j’ai l’impression que nos Églises se situent, chacune à des distances variables, entre deux pôles que l’on pourrait caractériser ainsi :

  1. Une Église (au mieux) historiquement mennonite, et à théologie évangélique, ou autre ;
  2. Une Église à théologie mennonite, ou cherchant à y tendre, s’appuyant sur l’enseignement issu des formations du Bienenberg (EFraTA) ou des publications des Cahiers ou Dossiers de Christ Seul, ainsi que celles de la collection Perspectives Anabaptistes.

Mennonite aujourd’hui

Depuis 35 ans, la réalité des Églises a beaucoup évolué. La persécution religieuse n’a plus cours chez nous ; la société qui nous entoure n’a plus de culture chrétienne, et les croyants sont devenus minoritaires. Les tensions entre dénominations chrétiennes se sont largement apaisées, allant jusqu’à la demande mutuelle de pardon. En parallèle, l’islam monte en puissance ; et l’athéisme devient la philosophie dominante, parfois intolérante à l’expression d’une foi sous couvert d’une laïcité dévoyée.

Dans ce contexte, il est clair que la multiplicité des dénominations chrétiennes donne une impression de division qui nuit à un témoignage crédible de l’Évangile. Si donc une dénomination existe, elle doit avoir un sens clair et assumé par tous ceux qui la portent, permettant d’identifier une sensibilité particulière dans un ensemble plus vaste.

Mon vœu est que nous travaillions à donner un sens au mot mennonite qui nous soit commun, et pas seulement en surface. Cela signifie la construction de références doctrinales élaborées ensemble, par la discussion, l’écoute mutuelle et la négociation, où chacun accepte de faire un pas vers l’autre.

Didier Bellefleur

Église de Strasbourg-Illkirch, ancien,

président du bureau de l’AEEMF