Doit-on bénir ou maudire le travail ?
Cet article est né d’une réflexion relative à l’article 16 « Le travail, le repos et le jour du Seigneur » de la confession de foi de la Conférence canadienne des Églises des Frères mennonites.
Notre vécu au travail se situe généralement entre deux pôles : une grande satisfaction et un sentiment d’accomplissement, ou un rejet avec le désir de tout laisser tomber et de s’en échapper. Le travail devient alors une source de stress qui nuit à notre bien-être. Et cette situation peut être aggravée par les contraintes engendrées par la pandémie alors que nous devons assurer notre existence.
Le constat
Dans la société humaine, le travail revêt une importance capitale. Il nous garde de l’oisiveté, de l’isolement et il nous met à l’abri de la pauvreté grâce au revenu qu’il procure. Il nous donne un sens de réalisation personnelle et communautaire. Il n’est donc pas étonnant que travailler soit devenu la norme de notre société.
Cependant, le travail ne se borne pas, comme l’affirme Voltaire, à éloigner de nous l’ennui, le vice et le besoin. Il peut dans certains cas générer des aspects négatifs comme la course aux salaires élevés ou l’exploitation des uns par d’autres. De plus, on ne choisit pas toujours son travail, et il n’est pas rare qu’on en ressente un total désintérêt qui peut être aggravé par le caractère pénible ou simplement répétitif de ce dernier. Et que dire des comportements inadéquats au travail : harcèlement, manipulation, relations exécrables, querelles ou jalousie ! Enfin, les notions d’efficacité, de productivité et de rentabilité sont si prisées aujourd’hui que le travail peut conduire à l’épuisement professionnel ou burn out, et même au suicide. Bref, le travail qui devrait être une source de satisfaction semble ne pas toujours tenir ses promesses. Dans ces conditions, comment comme chrétiens, pouvons-nous contrer les désagréments ? Existe-t-il une spiritualité du travail ? Quelle est l’intention de Dieu pour le travail afin que nous puissions nous y conformer ?
Travail et spiritualité
Il est de coutume dans les milieux chrétiens de séparer travail et spiritualité, et de voir les moments de travail comme des moments d’activité séculière de bien moindre importance que le temps passé dans les pratiques spirituelles. Cette dichotomie n’a pas lieu d’être. Les Écritures enseignent qu’il y a une imbrication entre le travail et le spirituel. Dans Genèse 1, Dieu transforme un monde désordonné, vide et informe en une terre où émerge la lumière, les eaux et une multitude de créatures vivantes. Ainsi, le travail relève de la nature même de Dieu, et va de pair avec la révélation de ce que Dieu est. Du récit de la création, nous apprenons que le travail se fait par étapes, qu’il doit être évalué à chaque stade, que son produit final doit être entretenu et qu’il nécessite du repos.
Dieu a créé l’humain à son image et lui confie un monde à maîtriser et un jardin à entretenir. L’humain peut à son tour « créer » ce qui n’existait pas auparavant. Le travail s’inscrit dans sa nature humaine et à ce titre, il en tire joie et intimité avec son Créateur quand il travaille en relation avec lui. La relation avec Dieu est en fait la clé de voûte de l’existence humaine. Ê travers elle, l’humain réalise pleinement que sa valeur procède de son Créateur de qui il détient son existence. Il est aimé de Dieu et destiné à manifester sa gloire (Es 43.6-7).
Après que les relations entre Dieu et l’humain se sont brouillées, la situation a nettement changé. Le travail a dévié de son but originel. Il reste jusqu’à un certain degré une source d’accomplissement, mais il devient plus pénible et surtout indispensable à la survie de l’humain comme nous le rappelle Pr 6.10- 11. Mais plus encore, l’homme séparé de Dieu se tourne vers d’autres expédients pour se valoriser, et le travail en est un… avec parfois les travers que nous avons évoqués plus haut !
Que faire donc ?
Ce n’est qu’en Dieu que le travail reprend son vrai sens. En même temps qu’il s’inscrit dans le fonctionnement humain défini dès les origines par Dieu, il sert aussi à manifester son règne et à l’étendre à l’endroit où Il nous place. Bien faire son travail, dans une attitude de respect et de bienveillance envers les autres, permet de refléter le caractère divin. Il est possible de se retrouver dans un contexte de travail difficile, et qui ne s’améliore guère malgré nos bonnes dispositions et notre bonne volonté. Il devient alors crucial pour recevoir réconfort et instructions, de se tourner vers Dieu qui nous donnera sa paix dans la situation, ou nous conduira vers un autre emploi. Quoi qu’il en soit, c’est sur lui que nous devons avant tout compter pour toute chose. Le livre de l’Ecclésiaste nous rappelle la vanité de nos titres, de nos talents ou de nos réalisations. Dieu demeure celui qui pourvoit à nos besoins et de qui nous tirons la vie, le mouvement et l’être. Et notre ultime objectif est d’œuvrer non pour ce qui périt, mais pour ce qui est éternel (Jean 6.27).
—JEAN BIERI, professeur associé de l’Université Laval et chargé de cours à l’École de Théologie Évangélique du Québec (ETEQ)