Le doute raffermit nos convictions

Les organisateurs de cette conférence sont tellement gentils qu’ils ne m’ont pas imposé de sujet, mais m’ont donné le choix parmi différents thèmes. Choisir parmi des choix est difficile ! Mais pas cette fois.

J’ai choisi sans hésiter ‘En marche avec des doutes et des convictions’. Choisir les ‘doutes’ sans avoir de doutes, semble ironique, mais c’est ce qui s’est passé. Vous vous demandez peut-être pourquoi ce sujet m’intéresse. C’est en partie parce qu’il est proche de mon cœur, car c’est l’histoire de ma vie. D’une certaine manière, il y a apparemment dans ma vie des contradictions : des doutes et des convictions.

Soyez patients avec moi : je vais vous expliquer.

Bien sûr, le poids des doutes et des convictions ne s’équilibre pas toujours. Ê certains moments, je ressens les deux à la fois, et à d’autres moments, l’un des deux est plus fort que l’autre : il me semble que je grimpe une montagne faite de fortes convictions ou que je me retrouve dans les profondeurs de la fosse des doutes.

Je suppose que mon parcours n’est pas unique. Dans ma ville natale, Addis-Abeba (Éthiopie), ainsi que dans le reste du monde (Afrique, Asie, Amérique latine, Amérique du Nord et Europe), beaucoup de jeunes connaissent les mêmes luttes. C’est notre vie. Et c’est particulièrement vrai quand on vit dans une époque post-moderne, où on peut ‘tout mettre sur la table’, où tout est bien, et où chacun croit pouvoir ‘enlever les épines’. Il est courant de trouver dans ma paroisse, dans ta paroisse, dans sa paroisse, des jeunes qui vivent entre doutes et convictions.

Je vais répondre par une métaphore qui représente les jeunes de notre communauté mondiale spirituelle.

La foi, c’est comme marcher avec des doutes et des convictions. J’aime profondément la tradition africaine [dont nous a parlé Rebecca]. Nous, les jeunes, dans notre cheminement avec Dieu, nous sommes confrontés à ces animaux sauvages et ces reptiles venimeux que sont les doutes. En effet, malgré tout leur courage et leurs efforts, il est impossible aux voyageurs de réussir à échapper aux épines.

Poursuivant la métaphore des épines le long du voyage, je voudrais ajouter une dimension positive. Je partage ce qu’a écrit Timothy Keller dans son livre The Reason for God : ‘Une foi qui ne connait aucun doute est comme un corps humain sans anticorps’. Même si nous ne cherchons pas à avoir des doutes, ils permettent d’approfondir nos convictions dans notre marche avec Dieu. Mais cela ne signifie pas que les doutes ne pourraient pas nous pousser au bord d’un précipice où l’incrédulité, antithèse de la foi, remplacent les convictions.

Bien sûr, la limite entre incrédulité et doute n’est pas toujours claire. Dans ce qui suit, je vais essayer de présenter brièvement l’origine de mes doutes.

« D’où viennent mes doutes ? » Ainsi que vous le savez, certaines personnes sont importantes dans notre cheminement spirituel, nous avons des ancêtres, mères et pères spirituels. Quelquefois, il semble que la foi ne vaut pas la peine d’être poursuivie avec passion, elle est assimilée à la religion. Il me semble que ce n’est pas moi qui l’ai choisie, mais que j’en ai héritée. La constante diminution de membres [d’églises] dans le Nord et leur augmentation dans le Sud (dont la qualité de vie en Christ est médiocre) sèment le doute dans mon cœur. Un tel doute est négatif car il m’entraîne loin de mes convictions au lieu de les aiguiser.

Outre le fait que la foi est devenue une religion, il y a aussi des facteurs contextuels. Malheureusement, il semble que personne ne se soucie de protéger et d’entretenir la semence de la foi dans mon cœur. Le contexte dans lequel je vis n’est pas facile ; il est même antagoniste. Cette époque est différente à la fois qualitativement et quantitativement de celle qu’ont connue mes pères et mères. Notre vision du monde est en train de changer de façon spectaculaire. Nous sommes à l’époque postmoderne. Les valeurs dominantes m’intimident chaque jour. Prêcher l’évangile, par exemple, est de plus en plus perçu comme imposer ses vues. Le pluralisme religieux se répand de plus en plus : une vision du monde qui enseigne que tous les chemins sont valables même si, parfois, ils se contredisent. Donc, mon être intérieur est continuellement bombardé par ces voix porteuses de doutes.

Permettez-moi de partager brièvement mon histoire concernant le rôle de l’église dans mon cheminement spirituel.

J’ai grandi dans une église et je fais partie de la troisième génération. Ma vie est un peu différente de celle de mes frères africains : je ne connaissais rien de la colonisation, car nous, en Éthiopie, nous n’avons jamais été colonisés. Pendant ma deuxième année d’études universitaires, cependant, j’ai lu un livre citant Jomo Kenyatta au sujet de la prière et de la Bible : ‘Quand les blancs sont venus, ils avaient la Bible, et nous nous avions notre terre … Mais ils nous ont enseignés à prier en fermant les yeux, et quand nous les avons ouverts, ils avaient notre terre et nous avions leur Bible’. J’ai été profondément choquée. Personne ne m’avait ‘vaccinée’: j’ai ressenti le doute comme un virus envahissant progressivement mes cellules.

J’ai commencé à examiner ma foi. La plupart de mes amis, qui sont des chrétiens orthodoxes, m’ont tout de suite jugée et m’ont dit que ma foi était ‘importée’ et même que c’était un produit astucieux des colonisateurs. J’étais en plein désarroi ; j’ai couru vers ma mère et lui ai posé des questions. Même si nous n’avions pas connu la colonisation, ce doute m’est longtemps resté.

Mon identité n’était pas non plus très claire. Différentes organisations missionnaires et une contextualisation sans critique du christianisme m’ont donné une identité bizarre. De temps en temps, je me pose ces questions : « Suis-je une chrétienne éthiopienne ? Puis-je me définir ainsi ? Si c’est le cas, ai-je perdu une bonne partie de ma tradition ? » Beaucoup d’autres questions me hantent. Dans ma tradition chrétienne, je ne peux pas exprimer ma culture parce que je suis chrétienne, je ne peux pas m’amuser et sortir avec des amis, parce qu’on me dit que je suis chrétienne… Alors, qu’est la vie sans mon identité ? L’église, bien sûr… OK… mais de toute façon je vais à l’église… J’ai été élevée avec des pratiques religieuses : mon baptême, ma conversion etc. Je ne suis pas vraiment sûre que tout cela a un sens.

Malgré toutes ces questions, je vais toujours à l’église – avec tous mes doutes. Une chose est claire : je ne veux pas que mes doutes me rendent folle et me détournent de ma marche avec le Seigneur. Bien sûr, je suis jeune et beaucoup de choses me passent par la tête… Ê certains moments, mes doutes sont si forts que j’ai l’impression d’être sur le point de couler, ou que j’ai déjà coulé. Je me sens complètement impuissante.

Cependant, dans toutes ces expériences, il y a une lueur d’espoir : Jésus. Jésus-Christ qui est le commencement et la fin de notre foi. (Hé 12:2). Je veux le connaître, lui, jakol kudho – celui qui enlève les épines. Aussi je supplie le corps du Christ de montrer son œuvre dans vos vies, afin que je puisse vraiment en faire l’expérience.

Jésus est Emmanuel, Dieu avec nous, il marche avec nous dans les hauts et les bas. Comment pourrais-je transformer ces propositions cognitives en convictions vivantes surmontant mes doutes ? Je le demande au Seigneur. Il est là pour m’aider et lutter avec moi. En grandissant en lui, « Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité » est devenu, plus que jamais, ma prière fervente.

Bien sûr, les doutes sont les doutes, mais leur influence peut être positive ou négative. Nous les jeunes, nous avons souvent des doutes sur le contenu de notre foi. Comme cela a été dit, nous devons faire appel à notre jakol kudho. Nous pouvons obtenir une réponse à nos doutes ou nous pouvons apprendre à vivre avec eux dans notre marche avec Dieu. L’important c’est que le Christ est au-delà de notre culture, de la religion dont on a hérité et de la compréhension de notre foi. Les doutes, lorsqu’ils sont bien gérés avec l’aide de la communauté spirituelle et de notre engagement pour le Christ, nous aident à mieux comprendre et approfondir notre foi.

Pourtant, il nous faut discerner ceux qui sont destructeurs, ceux qui émanent de notre désir charnel d’être indulgent envers notre nature déchue. Parfois, les doutes sont une excuse à la désobéissance, un moyen de rejeter les exigences de la Parole de Dieu. Alors, il faut se réveiller ! La Parole de Dieu est toujours le moyen de discerner la nature des doutes : ceux qui approfondissent les convictions ou ceux qui entraînent vers l’incrédulité.

Que cette semaine nous permette de partager nos doutes, que nous venions du Nord, où l’abondance nous pousse à douter, ou du Sud, où c’est le besoin et l’instabilité qui nous y conduisent. Partageons nos convictions les uns avec les autres devant le Seigneur Jésus qui nous permet de dépasser nos doutes. En renforçant notre relation avec lui avec l’aide de la communauté de foi, le doute approfondira nos convictions.

Marcher avec des doutes et des convictions, c’est comme rouler en bicyclette : une pédale pour le doute et l’autre pour la conviction. Sans les deux, le parcours spirituel n’est pas possible.

Que Dieu vous bénisse et bénisse cette semaine.

‚ÄîTigist Tesfaye Gelagle est engagée dans son église à Addis-Abeba (Éthiopie) ; elle a été stagiaire au bureau de la CMM/MCC aux Nations Unies à New York et a travaillé en Éthiopie avec Mennonite Economic Development Associates et Compassion International.