Espagne : De nouvelles églises dans la vieille Europe

 

Le christianisme connaît un déclin rapide en Europe. En deux ou trois générations, nous sommes passés d’une culture d’apparence chrétienne, à une culture post-chrétienne. Les statistiques de la CMM indiquent que, globalement, l’évolution des vieilles églises mennonites d’Europe reflète cette tendance.

L’Espagne constitue une exception : en moins de quarante ans, une nouvelle réalité a vu le jour sous la forme d’une présence anabaptiste florissante. Pour nous, cette croissance est l’œuvre souveraine de l’Esprit, pas de nos propres efforts, bien insuffisants.

Nos frères et sœurs des vieilles églises mennonites européennes (celles qui sont originaires du XVIe siècle) trouvent notre existence encourageante et porteuse d’espoir. Nous, d’autre part, attachons de la valeur à leurs siècles de fidélité et nous sommes honorés quand ils nous intègrent dans les activités et les organisations à l’échelle continentale.

Histoire

Les mennonites ont été actifs en Espagne pour la première fois pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), quand le Mennonite Relief Committee a envoyé des volontaires nord-américains pour nourrir les enfants des réfugiés de guerre. À la fin de la guerre, la victoire de la faction fasciste et de l’idéologie nationale-catholique, a mis fin à l’engagement des mennonites dans ce pays.

Pendant les années 1970, il est devenu possible d’envoyer des missionnaires en Espagne. Après consultation avec les responsables des églises protestantes espagnoles, les missionnaires mennonites décidèrent initialement de coopérer avec eux plutôt que de créer une autre dénomination dans le pays. Les premiers missionnaires, John et Bonnie Driver, ont été appréciés pour la fraîcheur de leur message profondément biblique, aux accents anabaptistes que beaucoup de jeunes évangéliques ont trouvé particulièrement intéressants. John et Bonnie sont restés en Espagne de 10 à 15 ans, avant de retourner en Amérique du Sud, où leur longue carrière missionnaire a atteint son point culminant.

Pendant ce temps, la première église mennonite était née à Barcelone. Les personnes qui l’ont lancée étaient venues de Bruxelles (Belgique), où ils avaient émigré, et s’étaient joint à une assemblée mennonite issue d’une mission américaine. Au début, José Luis Suárez était à la tête de ce groupe, et en a été le pasteur pendant de nombreuses années jusqu’à sa retraite.

Pendant ces mêmes années, il s’est produit un mouvement de conversions chez les adolescents dans l’Église catholique à Burgos. Mettant l’accent sur la musique, les arts et la vie communautaire, ce mouvement a secoué toute la ville. John Driver a été l’une des nombreuses personnes invitées à parler à Burgos, et son approche de l’enseignement de Jésus a frappé l’imagination de ces jeunes chrétiens.

Quand trois ‘anciens’ du mouvement ont fait un voyage aux États-Unis pour visiter des communautés chrétiennes radicales, ils ont rencontré Dionisio et Connie Byler (Argentine). Dionisio étudiait au séminaire mennonite d’Elkhart (Indiana), et ils ont invité sa famille à venir à Burgos pour continuer le ministère d’enseignement des Driver. Les Byler vivent à Burgos depuis 1981, soutenus par le Mennonite Mission Network. Au milieu des années 1990, le groupe, à l’origine catholique, est devenu mennonite.

Plus tard, dans les années 1980, il y eut une brève mais intense activité missionnaire des Frères Mennonites (MB), dans la région de Madrid. Cet effort a porté quelques fruits, mais actuellement, il n’y a pas d’église MB en Espagne.

Des missionnaires Frères en Christ d’Amérique du Nord (BIC), Bruce et Merly Bundy, vinrent à Madrid dans les années 1990, inaugurant une nouvelle ère d’influence anabaptiste dans le pays. Grâce entre autres à leurs efforts, il y a maintenant deux églises BIC dans la région de Madrid. Plus récemment, Juan et Lucy Ferreira (Venezuela) ont commencé un groupe BIC à Tenerife (Îles Canaries), rattaché aux églises BIC de Madrid.

Au début de ce siècle, l’Organización Cristiana Amor Viviente (une union d’églises mennonites du Honduras) a envoyé Antonio et Irma Montes en mission en Espagne. De leur travail sont nées deux églises en Catalogne et un petit groupe à Madrid.

Rencontres mennonites et Association fraternelle

Depuis les années 1980, ces différents groupes – dispersés dans des villes éloignées les unes des autres – ont décidé de se connaître mieux et de cultiver leur identité anabaptiste mennonite. Depuis 1992, cette relation s’est approfondie lors des Encuentros mennonitas Españoles (EME), qui ont lieu tous les deux ans.

Après quelques années, nous avons constitué une association fraternelle, appelée Anabautistas, mennonitas y Hermanos en Cristo - España (AMyHCE). Nous participons à la FEREDE, l’association des églises protestantes d’Espagne (où nous sommes reconnus comme l’une des « familles confessionnelles » du protestantisme espagnol) et à la CMM. Nous sommes uniques car toutes nos églises, avec leurs diverses connexions aux confessions anabaptistes historiques, participent à la CMM ensemble avec une représentation unique.

Trois autres églises se sont jointes à nous. Bien qu’elles n’aient jamais eu de lien formel avec une dénomination anabaptiste à l’extérieur du pays, elles se retrouvent dans l’enseignement et la pratique de cette branche du christianisme.

Enfin, notre identité anabaptiste/mennonite a été renforcée par les relations avec les vieilles églises mennonites européenne. En 2006, par exemple, le Congrès Mennonite Européen (CME) s’est tenu à Barcelone, réunissant les mennonites de tout le continent européen pour se soutenir mutuellement et dialoguer.

Des caractéristiques exceptionnelles

Comme cet aperçu historique le montre, en dépit de sa petite taille, l’une des caractéristiques de l’AMyHCE est sa grande diversité, diversité dans les liens avec les dénominations anabaptistes du monde, mais aussi diversité d’accent et de pratique. Par exemple, dans nos communautés, il est possible de trouver des pratiques pentecôtistes, mais également des doutes concernant l’émotivité. Théologiquement, il y a parmi nous des tendances fondamentalistes tout autant que libérales, mais aussi une ‘troisième voie anabaptiste’, qui explore d’autres façons de comprendre la foi chrétienne.

Bien que peu nombreuses, nos églises n’ont pas négligé le service et les missions. Pendant des années, l’assemblée de Burgos a été connue pour son centre de réhabilitation des toxicomanes, tandis que celle de Barcelone gère des foyers pour personnes âgées et handicapés mentaux. La paroisse de Burgos a créé un foyer pour enfants au Bénin, et s’occupe des ex enfants-soldats en Côte-d’Ivoire. Ce ministère en Afrique est béni par le soutien d’autres personnes et églises.

Depuis nos débuts dans les années 1970, nous mettons l’accent sur l’exploration biblique et théologique dans le courant mennonite ou anabaptiste. Cela s’exprime dans les ministères d’enseignement et de littérature, imprimée et sur internet. Et depuis 2010, Antonio González, pasteur de l’une des paroisses BIC, dirige avec d’autres anabaptistes un petit centre d’études théologiques, Centro Teologico Koinonia (CTK), qui cherche à former une nouvelle génération de responsables.

Il y a d’autres accents clairement anabaptistes dans nos communautés :

  • L’assemblée locale est une famille étroitement unie qui pratique l’aide mutuelle.
  • Jésus est Enseignant et Exemple, ainsi que Sauveur et Seigneur.
  • La non-violence et l’objection au service militaire.
  • Une théologie pragmatique, plutôt que dogmatique, intéressée davantage à suivre personnellement Jésus qu’à faire des déclarations théoriques doctrinales.

Avenir

Cette nouvelle croissance du christianisme anabaptiste/mennonite en Espagne comporte d’importants défis. Dans les 10-15 prochaines années, la plupart des paroisses devront faire face à un relais générationnel important en matière de leadership. De nouveaux responsables se lèveront, ou viendront d’autres églises. Ces responsables de deuxième génération auront-ils une identité claire au-delà de l’identité chrétienne évangélique ? Le centre d’études CTK espère contribuer à répondre à cette question.

En outre, le christianisme protestant en général, et anabaptiste/mennonite en particulier, en tant que christianisme non-catholique, est relativement nouveau en Espagne. Ce n’est pas un hasard s’il est arrivé précisément au moment où le peuple espagnol a commencé à reconsidérer l’ancien lien entre identité espagnole et religion catholique romaine. Mais l’affaiblissement du catholicisme ne signifie pas nécessairement l’ouverture à d’autres formes de christianisme. Il est plutôt le signe de la tendance européenne post-chrétienne à considérer l’existence humaine sous un angle profondément athée. La superstition et la crédulité sont en hausse.

La culture dominante n’est pas nécessairement hostile au christianisme, mais elle le considère comme totalement inintéressant ou même d’un niveau primaire embarrassant. Le défi pour nos églises (et pour nos églises sœurs) est de trouver un moyen de faire jaillir l’étincelle de l’intérêt, de la curiosité et de l’engagement. C’est essentiellement un appel à une église qui déborde de vie et de la présence de l’Esprit de Dieu.

Nous n’avons pas l’illusion de pouvoir allumer la flamme de l’intérêt, de la conviction et la passion pour le Christ avec notre propre témoignage ou nos ressources humaines. Mais bien sûr, nous mettons notre énergie et nos ressources dans cette direction. Nous ne vivons pas dans l’illusion que prier génère une réponse automatique de Dieu. Pourtant, nous redoublons notre engagement à prier, implorant Dieu à genoux de répandre son Esprit sur ce pays.

En dernière analyse, cette jeune pousse de christianisme anabaptiste/mennonite en Europe partage avec les anciennes églises-sœurs d’origine anabaptiste la réalité que notre survie même – pour ne pas mentionner notre croissance – dépend absolument de la grâce de Dieu. Elle seule peut nous garantir un avenir. 

Paradoxalement, c’est précisément la raison de notre espérance, de notre confiance et de notre foi en un avenir pour nos églises.

Dionisio Byler écrit et enseigne à la Faculté de Théologie Protestante d’El Escorial, près de Madrid. Il est secrétaire de l’AMyHCE depuis sa création.


Être anabaptiste ou mennonite en Espagne

Agustín Melguizo
Pasteur, Communautés Anabaptistes Unies (Burgos)

Certaines des exigences anabaptistes ont été acceptées par la plupart des églises évangéliques auxquelles je suis lié : p. ex. la séparation de l’Église et de l’État et le baptême des adultes. Cela implique de collaborer avec différentes églises chrétiennes, avec lesquelles nous avons des différences, mais aussi beaucoup en commun.

Cela signifie aussi de regarder autour de nous pour apporter la lumière de Jésus à ceux qui sont ouverts, et  par le témoignage personnel et communautaire, et présenter une conversion qui concerne tous les domaines de la vie, dont le discipulat.

David Becerra
Pasteur, Église mennonite de Barcelone

Je suis mennonite parce qu’un jour, j’ai découvert que le message et la vie de Jésus demandent une non-violence radicale. Cette lecture de l’Évangile m’a amené à être objecteur de conscience [au service militaire].

Je suis mennonite parce qu’un jour, le pasteur de la paroisse mennonite de Barcelone m’a surpris en s’agenouillant devant moi et en me lavant les pieds. Cela m’a montré ce qu’est la vraie autorité : servir les autres (comme un esclave).

Dans le contexte espagnol, être mennonite, c’est comprendre et vivre l’Évangile différemment, en mettant l’accent sur le Christ et son message de réconciliation.

Antonio González
pasteur et théologien, BIC

Pour moi, être anabaptiste en Espagne n’est pas un hasard biographique, mais un choix. Pendant un temps, le Seigneur m’a conduit à rechercher un modèle vrai et radical de christianisme.Ce n’était pas d’abord le choix d’une église locale ou d’une dénomination. Mon chemin avec le Seigneur (et sans lui) et ma recherche théologique m’ont amené vers la vie communautaire de Jésus et des apôtres. Beaucoup de chrétiens sans doute, aujourd’hui, cherchent à retourner à leurs origines. Toutefois, ils ont tendance à oublier certains aspects du message de Jésus, comme le pacifisme et la dimension communautaire de la foi, qui sont pour moi essentiels, même s’ils ont été oubliés par les principaux courants du christianisme occidental.

 

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