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  • Être indépendant tout en vivant ensemble ?

    Au début, l’homme était seul. Bien que Dieu ait créé tous les animaux et qu’il ait demandé à l’homme de les nommer, l’homme était seul. Et cela ne lui convenait pas du tout. Dieu le vit. Il souffla sur l’homme un profond, profond sommeil. Pendant qu’il dormait, Dieu prit une de ses côtes, et créa l’autre partie de l’homme : la femme.

    Depuis ce premier jour, l’humanité est une communauté.

    Depuis le jour de notre naissance, nous faisons partie d’une communauté. Que ce soit une famille, une tribu, un orphelinat ou une école, nous ne sommes jamais seuls. La communauté nous nourrit, nous lave, nous enseigne à reconnaître le bien du mal et nous élève.

    Elle nous rend plus forts, parce que nous sommes plus qu’une personne. Nous sommes plusieurs. Elle nous rend plus faibles, parce que nous devons plier notre volonté aux règles de la communauté et renoncer à notre autonomie.

    Dans la communauté, nous ne pouvons être seul. L’intérêt du groupe entre en conflit avec celui de l’individu. Et cela provoque des frictions, des souffrances et des frustrations. Mais il n’y a pas d’autre voie. Être humain, c’est faire partie d’une communauté. Nous ne pouvons pas survivre par nous-mêmes.

    Pourtant, chacun de nous désire l’autonomie. En grandissant, nous testons les règles et les limites de nos communautés. On le voit bien chez les bambins, qui disent « non ! » pour savoir jusqu’où ils peuvent aller. On le voit chez les jeunes qui se rebellent et qui décident de leur propre chemin dans la vie, faisant leurs propres choix. Et oui, ‘être autonome’ signifie littéralement ‘définir ses propres règles’. Mais l’interprétation moderne a davantage le sens de tailler son propre chemin dans la vie et d’être indépendant.

    Nous voulons désespérément avoir notre mot à dire dans tout ce qui nous concerne, nous voulons prendre nos décisions, faire de notre mieux. Aujourd’hui, nous sommes fiers d’être indépendant, d’être en mesure de nous débrouiller seuls, de vivre selon nos règles et de les défendre.

    La lutte contre la communauté

    Mais être autonome n’est pas une partie de plaisir. En fait, c’est une lutte constante. Et cela a toujours été le cas, même dans l’Ancien Testament, par exemple dans l’histoire bien connue de Jacob, fils d’Isaac, fils d’Abraham.

    Même avant sa naissance, Jacob vit en communauté. Et déjà, dans le ventre de sa mère, il ne prend pas trop bien/cela se passe mal. Lui et son frère jumeau se battent si farouchement à l’intérieur de l’utérus que leur mère Rebecca se demande comment elle est toujours vivante ! Ê sa naissance, Jacob tient le talon de son frère aîné.

    Pour Jacob, Jacob vient en premier. Toujours. Il n’y a pas d’autres règles que les siennes. Et il plie la communauté à ses règles.

    Facilement, sans rien d’autre qu’un repas chaud, il ravit son droit d’aînesse à son frère Esaü. Ensuite, Jacob trompe son père. Isaac, rendu aveugle par la vieillesse, est sur son lit de mort, et attend Esaü pour lui donner sa bénédiction. Jacob arrive, prétendant être son frère aîné. Il vole sans scrupule la bénédiction patriarcale.

    Jacob possède maintenant tout ce qui devrait revenir de droit à Esaü. Il a tout gagné, et en même temps, il a tout perdu. Car il ne peut pas rester dans la communauté qu’il a tant méprisée. Il doit fuir pour avoir la vie sauve.

    Vivre par ses propres règles et vivre dans une communauté ne s’accordent pas bien.

    Être son propre chef

    En fuyant la scène du crime, Jacob quitte tout. C’est en tout cas ce qu’il pense. Mais juste avant qu’il ne pénètre dans une terre inconnue, il a un rêve. Et dans ce rêve, Dieu promet d’aller avec lui partout où il ira. Dieu le protègera, Dieu le ramènera, Dieu ne laissera pas Jacob jusqu’à ce sa promesse soit accomplie.

    Mais, fidèle à lui-même, Jacob n’en est pas sûr. Il appelle l’endroit Beth-el, ‘la Maison de Dieu’, mais il commence immédiatement à négocier. Si Dieu est vraiment avec moi, si Dieu me protège vraiment, si Dieu s’occupe vraiment de moi, alors, oui, dans ce cas, Dieu sera mon Dieu.

    Jacob ne se rend pas facilement. Oh non ! Si Dieu veut rester avec lui, très bien. Mais c’est Jacob qui fait la loi. C’est cela l’autonomie, n’est-ce pas ?

    Et l’histoire continue. L’amour de Jacob pour sa Rachel est célèbre. En essayant de l’épouser avant que sa sœur aînée Léa ne soit mariée, Jacob essaie de nouveau de faire plier la communauté. Mais il n’est pas de taille devant la duplicité de Laban, et il finira par avoir quatre femmes !

    Après quelques 20 années de travaux forcés, Dieu rappelle Jacob à Canaan. Jacob prend ses femmes, ses enfants (11 garçons et une fille à ce moment) et ses troupeaux et il file en douce pendant que Laban est occupé à tondre ses moutons.

    Encore une fois, Jacob prend une décision sans tenir compte des conséquences pour les autres. En vivant selon ses règles, ses peurs, ses a-priori. Et en s’en allant de cette manière, avec femmes et enfants, il néglige le fait qu’elles et leurs enfants font aussi partie de la vie de Laban : ce sont ses filles, ses petits-enfants, son avenir.

    Bien sûr, c’est son droit en tant que personne autonome. Il est son propre chef. Il n’a de considération pour aucune communauté.

    Renoncer à tout

    Sur le point de rentrer chez lui, un changement étonnant se produit chez Jacob. Il se rend compte qu’Esaü pourrait ne pas être très heureux de l’accueillir, compte tenu de la façon dont il l’a trompé. Jacob essaie de faire la paix, en envoyant des messagers. Mais ils reviennent en disant qu’Esaü est en chemin avec au moins 400 hommes. Jacob –impressionné, inquiet, effrayé – est maintenant confronté aux conséquences de ses choix antérieurs : et si Esaü lui prenait tout : femmes, enfants, troupeaux, richesses ? Et s’il voulait se dédommager et se venger ?

    Et si la communauté lui faisait payer son autonomie ?

    Jacob prend donc une décision audacieuse : il offre tout ce qu’il a à Esaü, volontairement. Ce faisant, il tente de faire amende honorable pour ce qu’il a fait. Il reconnaît sa faute, et les conséquences de ses choix sur la vie d’Esaü.

    En offrant tout ce qu’il a acquis grâce à son indépendance, c’est en fait son indépendance même que Jacob offre à Esaü.

    Nous assistons à cette scène épique, où Jacob emmène ses épouses et leurs enfants, et tout ce qu’il possède, de l’autre côté de la rivière, puis il revient. Maintenant, il est totalement et vraiment seul. Il ne lui reste plus rien. Pas même son autonomie.

    Et puis quelqu’un arrive et lutte avec lui. Toute la nuit. Quelqu’un. Sans nom. Sans identification, sinon le sinistre « Pourquoi me demandes-tu mon nom » (32:29). Est-ce Dieu lui-même ? Un de ses messagers ? Ou devons-nous comprendre cela de manière plus métaphorique : Jacob est en fait aux prises avec lui-même ?

    Peut-être. Après tout, la vie de Jacob est une longue lutte, avec ceux qui l’entourent et leurs règles et leurs attentes, avec lui-même et ses propres choix, son propre chemin dans la vie. Peut-être, finalement, se bat-il avec Dieu. Ou avec lui-même. Ou une autre personne métaphorique. Cela n’a pas d’importance.

    Ce qui importe, c’est qu’il en sort gagnant. Avec une nouvelle bénédiction. Avec un nouveau nom. Il ne s’appelle plus Jacob (talon/usurpateur), mais Israël (celui qui lutte avec Dieu).

    Jacob ne cherche plus à s’enrichir en ‘saisissant le talon des autres’, en les faisant tomber et échouer. Au lieu de cela, pour le restant de sa vie, il se bat avec ceux qui vivent autour de lui, avec Dieu, et surtout … avec lui-même.

    Et savez-vous ? La plupart du temps, il en sort gagnant. Boitant légèrement, mais gagnant quand même. Et quand il traverse la rivière, une nouvelle aube se lève. Un patriarche est né.

    Quelle histoire !

    Une leçon sur les conséquences de ses actes

    Mais la chose vraiment étonnante au sujet de l’histoire de Jacob est que ni lui-même, ni ses actes ne sont explicitement condamnés. Nulle part dans l’histoire, Dieu ne désapprouve explicitement ce que fait Jacob.

    On a le sentiment que dans cette histoire, tout n’est pas bon, mais elle n’en dit rien. Elle montre simplement les conséquences, les résultats, des actions de Jacob : il doit fuir et tout laisser derrière lui. Il vit dans une peur constante‚Ķ d’Esaü, de Laban, d’Esaü encore. Il doit tout recommencer, de nombreuses fois.

    L’histoire nous dit tout cela. Mais elle ne nous dit jamais que Jacob a eu tort.

    Nous pouvons le lire entre les lignes, mais c’est notre imagination, finalement. L’histoire elle-même ne le précise jamais.

    Et c’est ce qui rend cette histoire fascinante. Jacob n’est ni saint, ni parfait, ni pieux. C’est un excellent exemple parce qu’il n’est pas exemplaire du tout. Il est juste comme chacun d’entre nous. Si bien que dans nos têtes et nos cœurs, nous remplissons facilement les blancs. Nous sentons à quel point certaines de ses décisions sont mauvaises, comme si c’étaient les nôtres. Nous tremblons en pensant aux conséquences. Nous attendons avec inquiétude que l’histoire tourne mal.

    Mais elle ne tourne jamais mal ! Malgré le fait qu’il ait vécu selon ses propres règles et n’a jamais reconnu les droits des autres, Jacob n’est pas jugé, sauf par lui-même. c’est fondamentalement, le sujet de cette histoire. L’autonomie. Vivre selon ses règles. Être son propre chef.

    Car être autonome ne signifie pas seulement décider et vivre selon ses propres règles. Cela signifie aussi qu’il faut se juger soi-même. Il n’y a personne d’autre pour le faire. Pas même Dieu, selon cette histoire. Il faut comprendre par soi-même. Dieu marche simplement avec nous, quel que soit le résultat. C’est Jacob qui impose ses exigences et pose ses conditions, pas Dieu.

    Et c’est une leçon de l’Ancien Testament, pour nous tous, hommes et femmes modernes, avides d’indépendance.

    Être autonome, c’est aussi savoir que ceux qui vivent autour de nous (notre communauté) limitent notre liberté. Au sens moderne, l’autonomie, ce n’est pas vivre selon ses propres règles (quelles qu’elles soient), mais réaliser, reconnaître et accepter l’existence des autres dans sa vie. Il s’agit de choisir de les respecter sans arrière-pensée, parce que, ensemble, nous formons une communauté.

    La question est donc : sommes-nous capables, suis-je capable, de vivre ma vie dans le cadre de ces limites ? Puis-je vivre libre et indépendant-e (autonome) dans le cadre d’une communauté ?

    Suis-je assez mature pour reconnaître le fait que je ne peux pas totalement prendre ma vie en charge ? Puis-je accepter d’être lié-e par les gens que j’aime, par la communauté qui m’entoure, et par Dieu qui marche avec moi où que j’aille ?

    Et, dans un sens plus large, serait-il possible aux différentes églises de garder leur autonomie au sein de la communauté anabaptiste mondiale ? Sommes-nous prêts à nous battre pour cela ?

    L’histoire de Jacob nous enseigne qu’il n’est pas mauvais de suivre son propre chemin dans la vie. Il n’est pas mauvais d’essayer de tester ses forces et de lutter pour son autonomie. Il ne s’agit pas d’avoir tort ou d’avoir raison. Il s’agit de prendre ses propres décisions tout en reconnaissant l’existence de sa communauté. Il s’agit de reconnaître les blessures et les souffrances des deux côtés. Il s’agit d’assumer ses responsabilités. Pour ses propres actions, pour celles de la communauté. Pour soi. Et, si nécessaire, réparer les torts.

    Ce genre d’autonomie, l’autonomie adulte, moderne, ne va pas de soi. Grandir n’est pas facile. Garder une certaine autonomie au sein de sa communauté, c’est comme lutter constamment avec les autres, avec Dieu et surtout avec soi-même.

    Et même quand nous gagnons, nous restons un peu boiteux.

    Wieteke van der Molen (Pays-Bas) est intervenue vendredi soir, le 24 juillet 2015, lors du 16e Rassemblement. Wieteke est pasteur d’une petite paroisse mennonite rurale au nord d’Amsterdam, elle aime lire et raconter des histoires.

     

  • ‘Marcher avec Dieu’ est le thème de notre prochain Rassemblement mondial, qui se tiendra du 21 au 26 juillet 2015. Mais comment pouvons-nous marcher ensemble si nous ne croyons pas exactement la même chose ? C’est la question qu’un responsable m’a posée il y a quelques mois, alors que je visitais sa communauté. « Ê la CMM, nous aimons la diversité … » ai-je commencé à répondre. Mais il a mis fin brusquement à notre conversation en insistant sur le fait qu’il est impossible de marcher avec ceux qui pensent différemment que vous.

    Il semble que nous entendons ce message partout dans le monde, surtout lorsqu’il s’agit de différences religieuses. Même notre histoire anabaptiste comporte toute une série de fractionnements et de divisions en raison de profonds désaccords sur des questions de doctrine et d’éthique. Est-il possible – voire souhaitable – d’avoir une communion de dimension mondiale quand nous avons une telle diversité de cultures, de choix éthiques et de conceptions théologiques ?

    Ê la CMM, nous avons découvert que la diversité n’est pas seulement possible, mais encore bonne. Cette diversité se manifeste lorsque nous partageons le même fondement : Jésus-Christ.

    Quand je lis les Écritures, j’y trouve au moins trois raisons pour lesquelles nous avons besoin d’une communauté mondiale, multiculturelle et très diversifiée :

    D’abord, Jésus. Il y a quatre évangiles qui parlent de Jésus. Chacun reflète l’expérience de son auteur avec Jésus-Christ. Ces écrits théologiques ne montrent pas Jésus exactement de la même manière. Ils sont assez différents. Pourquoi n’avons-nous pas un seul évangile ? Pourquoi avons-nous besoin de quatre points de vue présentant des interprétations différentes concernant Jésus ? Depuis le début, l’Église considère cette diversité comme cruciale pour nous aider à comprendre qui est Jésus. L’Église primitive n’a pas cherché à harmoniser les quatre évangiles, pour avoir un récit unique et uniforme. Nous avons besoin de la diversité pour mieux connaître Jésus.

    Deuxièmement, l’éthique. Le texte sur l’amour que l’on trouve dans 1 Corinthiens 13 se situe dans un contexte de diversité et de profonds désaccords. Par exemple, les opinions des croyants sur ce qu’ils pouvaient manger ou ne pas manger différaient. Ces mêmes croyants prenaient des décisions différentes sur ce problème éthique, décisions possibles parce que l’Écriture elle-même n’apporte pas de réponse définitive. Dans ce contexte, l’apôtre Paul exhorte d’aimer. Il semble donc que la diversité et même les désaccords sont nécessaires dans le corps du Christ, si nous voulons connaître le sens de l’unité, de l’amour, du pardon, de la patience et de l’abnégation. Il est facile d’aimer ceux qui pensent la même chose que nous, mais sommes-nous capables d’aimer ceux qui pensent autrement ?

    Troisièmement, la vision. Sur la route d’Emmaüs, les disciples n’ont découvert la vérité sur la résurrection de Jésus que lorsqu’ils se sont assis et ont dîné ensemble – Jésus étant au milieu d’eux – en dépit de leurs différences. Pendant leur longue marche depuis Jérusalem, ils ont résisté à la tentation de s’éloigner les uns des autres en raison de leurs conceptions théologiques divergentes sur le Messie. Ce n’est pas en passant des heures à des discussions théologiques qu’il ont découvert Jésus. Leurs yeux ne se sont ouverts que lorsqu’ils ont partagé un repas. Notre manière de voir les autres disciples du Christ (et le Christ lui-même) change quand nous les considérons comme des membres de notre famille. Avec notre famille, il est possible de s’asseoir et de manger ensemble malgré les différences.

    Pourquoi avons-nous besoin d’une communauté mondiale ? C’est un des sujets que nous abordons dans ce numéro du Courrier / Correo / Courrier. Nous avons besoin d’une communauté mondiale et de la diversité qu’elle apporte afin de mieux connaître Jésus, d’avoir une meilleure expérience de l’unité, du pardon, de l’amour, de la patience et de l’abnégation, et pour nous ouvrir les yeux sur ce qui peut nous rapprocher.

    Que Dieu nous aide à marcher ensemble et à aimer notre Église mondiale si diverse. Marchons avec Dieu !

    César García, secrétaire général de la CMM, travaille au siège social de Bogotá (Colombie).

  • « Les Colombiens ne se battent pas pour l’argent. Vous vous battez pour le pouvoir ». C’est ce qu’a déclaré une missionnaire d’Amérique du Nord après plusieurs décennies en Colombie. Elle parlait des ruptures incessantes de relations entre les responsables d’églises à cause de conflits.

    Après 22 ans de ministère en Colombie, je dois reconnaître que c’est la triste réalité de nos églises. Pendant ces années, j’ai été témoin de trop de conflits malsains dans nos assemblées ; j’ai aussi vu trop de relations brisées, et trop de personnes blessées quittant les églises à cause de ces conflits.

    Toutefois, depuis que je travaille à la CMM, j’ai découvert que les problèmes d’abus de pouvoir et de conflits malsains entre responsables ne sont pas seulement une réalité colombienne. En fait, ils semblent être transculturels et présents chez tous les peuples et toutes les nations, et en quelque sorte un gène ‘trans-anabaptiste’ qui a touché toutes nos églises. Quelques soient nos différences culturelles et théologiques, ils sont présents depuis Caïn et Abel.

    Quelles caractéristiques ai-je pu observer chez les responsables d’églises impliqués dans des conflits malsains et des abus de pouvoir à travers le monde ? Ê ce jour, j’ai noté :

    Des besoins personnels non satisfaits. Lorsque des responsables sont confrontés à des conflits, ils manifestent parfois de réelles faiblesses émotionnelles. Certains responsables par exemple, semblent avoir soif de reconnaissance. Ils s’attendent à recevoir un traitement spécial ou de la gratitude pour leur travail. Lorsque ce n’est pas le cas, ils réagissent avec agressivité envers les autres, ou sont entraînés dans une spirale descendante vers la passivité et l’apitoiement sur soi. Comme nos églises seraient différentes si nous apprenions à prier comme Mère Teresa : « Seigneur, fais que je cherche à aimer plutôt qu’à être aimé » !

    Un autre exemple a trait aux responsables qui ont appris à lutter contre leur sentiment de vide en profitant des privilèges liés à certains postes ecclésiaux. Craignant de les perdre, ils font tout pour les garder et ne s’inquiètent pas de blesser quelqu’un pour cela. La satisfaction de leurs besoins affectifs est plus importante que les personnes pour lesquelles ils ont été appelés à consacrer leur vie.

    Un extrême perfectionnisme. Il se manifeste quand des responsables ne sont pas prêts à reconnaître leurs erreurs ou à demander pardon quand ils ont blessé quelqu’un. Il n’est pas facile de se montrer vulnérable lorsque l’on occupe des postes de direction. Ces personnes croient que si elles ouvrent leur cœur et reconnaissent leurs erreurs, elles perdront leur autorité. C’est peut-être l’influence de la sécularisation. La vision d’un responsable fort et solitaire n’exprimant pas ses sentiments est le résultat des concepts culturels, mais n’a pas de place dans le service qui, dans la vision chrétienne, s’accomplit en étant blessé et vulnérable, et non en dominant les autres.

    L’insistance sur l’uniformité. La conséquence naturelle de l’abus de pouvoir, c’est la tentation de supprimer la diversité. Ce genre de responsables ne tolère pas ceux qui pensent différemment qu’eux. Différences théologiques ou de style de leadership sont critiquées et étiquetées comme péchés par ceux qui fonctionnent de manière autoritaire. La diversité étant perçue comme une menace, ces responsables utilisent un credo pour vérifier l’orthodoxie sans reconnaître que la diversité a fait partie intégrante de la foi chrétienne depuis ses débuts.

    Ces caractéristiques se retrouvent chez de nombreux leaders qui ne connaissent pas d’autre moyen d’exercer leurs responsabilités. Il nous faut vraiment un nouveau modèle de leadership. Comment nos églises peuvent-elles répondre à ce besoin ? Dieu nous appelle à un modèle de leadership inspiré de la vie de Jésus et renforcé par nos valeurs anabaptistes. Ce modèle ne cherche pas ses propres intérêts, mais le bien-être des autres, reconnaît ses erreurs et s’exerce à partir d’une position de vulnérabilité, qui célèbre la diversité au lieu de la réduire ou de la supprimer. Je prie pour que le numéro d’octobre 2014 de Courier / Correo / Courrier puisse nous aider à aller dans cette direction.

    César García, secrétaire général de la CMM, travaille à partir de son siège à Bogotá, en Colombie.

  • Quels mots utilisez-vous quand on vous demande de vous décrire? Utilisez-vous les mêmes mots avec votre famille ? Au travail ? En voyage ?

    J’ai découvert que je n’utilise pas les mêmes mots pour me décrire selon le contexte où je me trouve. Lorsque nous vivions à Toronto, les deux mots que j’utilisais le plus souvent étaient ‘chrétienne’ et ‘femme’. Ces deux aspects faisaient le plus de différence dans ma vie. Ainsi, imaginez ma surprise lorsque nous avons déménagé en Afrique australe : ces mots n’avaient plus beaucoup d’importance ! Tous ceux avec qui nous étions en contact se définissaient comme chrétiens, c’était donc un acquis ; et il était beaucoup plus important que je sois une mère plutôt qu’une femme. En outre, en Afrique australe, ce qui était vraiment important, c’était que j’étais blanche – un aspect de mon identité qui allait de soi au Canada.

    Une femme chrétienne : l’essentiel au Canada. Une mère blanche : c’est l’essentiel au Lesotho. La perception de mon identité avait changé alors que je n’avais pas changé.

    Ce changement illustre mon premier point : la culture compte parce qu’elle définit qui nous sommes.

    Mon deuxième point est que la langue compte. Je parle un peu plusieurs langues, et je suis fascinée par les mots qui existent dans une langue mais qui n’ont pas de traduction exacte dans une autre langue. En sesotho, j’ai appris qu’il y a un mot pour désigner une partie du corps qui guérit mal après une fracture ou une blessure ; nous n’en avons pas en anglais. En français et en espagnol, il y a ce joli mot ‘animateur’, ‘animador’ : une personne responsable qui joue un rôle de facilitateur dans un groupe, un concept qui n’existe pas en anglais. Et en allemand, il y a ‘Gemeinschaft’, un mot que l’on traduit par ‘fraternité’ ou ‘communauté’, bien que ces traductions ne parviennent pas à saisir la profondeur du mot en allemand. Ces exemples soulignent le fait que la langue compte, parce qu’elle fournit les concepts importants de notre culture.

    Il y a de grandes différences entre nos langues et nos cultures dans le monde, et elles vont beaucoup plus loin que nous ne le pensons. La culture, façonnée par la langue, impacte notre vision du monde, notre perception de nous-mêmes et notre identité. C’est une difficulté particulière pour les chrétiens, dont les convictions et les pratiques sont façonnées par la culture et la langue, alors que notre foi transcende ces catégories.

    Exemples bibliques de la différence

    Il y a dans la Bible des images et des histoires pour expliquer et comprendre nos différences linguistiques et culturelles, et pour nous montrer comment ces différences peuvent faire partie du plan de Dieu pour la construction de l’Église.

    Le premier livre de la Bible, la Genèse, raconte l’histoire de la Tour de Babel. Elle propose deux explications pour l’existence de différents groupes linguistiques. L’une est que l’unité basée sur la similitude conduit à l’orgueil, et l’autre est qu’elle est une réaction de peur. Dans Gn 11/4-6, nous lisons que le peuple voulait être renommé et qu’il avait peur d’être dispersé. Ces deux réactions sont enracinées dans la dépendance de soi plutôt que dans celle de Dieu : « Regardez, ils forment un seul peuple et ils ont tous une même langue… et ce n’est que le début ! ».

    Le théologien Walter Brueggeman dit que c’est l’histoire de personnes qui voulaient être importants en raison de leurs similitudes : même langue, même nourriture, mêmes vêtements, même culture – on peut beaucoup accomplir dans une culture homogène. Il suggère que Dieu les disperse pour leur montrer mieux. L’unité désirée par Dieu pour la race humaine est constituée de personnes liées par une foi et des valeurs communes, et non par une similitude de langue et de culture. Il pense que les nombreuses langues et la dispersion ne sont pas une punition, mais donnent en fait aux peuples l’occasion d’aller vers un potentiel beaucoup plus grand pour toute la terre. Dieu a donné aux habitants de la tour de Babel l’occasion de découvrir la différence afin d’apprendre à dépendre de Dieu et d’être réunis par la foi plutôt que par la culture. Il faut tout un village mondial pour être ce que Dieu nous appelle à être.

    Une autre image biblique de la différence se trouve à l’autre bout de la Bible, dans le dernier livre, l’Apocalypse. Dans Ap 7/ 9-14, nous lisons qu’un nombre incalculable de personnes, de toutes nations, tribus et langues, chantent et louent Dieu toutes ensemble. C’est l’image opposée de la Tour de Babel. C’est un petit aperçu du ciel !

    Cette image se trouve dans le chapitre de l’ouverture des sept sceaux : sept événements aux terribles conséquences. Elle se situe précisément entre l’ouverture du sixième et du septième sceau, comme une pause dans l’histoire. C’est l’image du peuple de Dieu, de toutes cultures et de toutes langues, qui adore Dieu, quelles que soient ses épreuves, ses persécutions et ses tribulations.

    Au chapitre 6, verset 17, une question est posée : « Car il est venu le grand jour de la colère, et qui peut subsister ? » La réponse est dans cette image : c’est le peuple multiculturel de Dieu qui le loue, qui est capable de tenir bon lors des persécutions et des tribulations. Il faut tout un village mondial pour être le peuple que Dieu nous appelle à être et pour résister aux persécutions.

    Devenir le peuple multiculturel de Dieu

    Pour le peuple juif d’Israël qui pensait être le seul peuple élu de Dieu, cette image d’un peuple de Dieu multiculturel implique un changement radical de pensée. Dans Éphésiens 3, Paul dit très clairement que dans le passé, les non-juifs, qui n’étaient pas seulement des étrangers, mais aussi des incirconcis, et donc exclus d’Israël, ne faisaient pas partie du peuple de Dieu. Mais maintenant, conclut-il, ils en font intégralement partie par le Christ. C’était un immense changement de direction dans la pensée des chrétiens juifs. Seulement alors pouvaient-ils commencer à comprendre qu’il pourrait y avoir différentes manières d’adorer Dieu, au-delà de leurs propres traditions juives, en particulier concernant les pratiques qui leur avaient donné une identité, comme les lois sur la circoncision et l’alimentation.

    Pour ceux d’entre nous qui pensent que notre manière de concevoir et de louer Dieu est la bonne, la meilleure ou même la seule, l’image du peuple multiculturel de Dieu dans Ap 7 présente aussi un grand défi. Il faut tout un village mondial pour être le peuple que Dieu nous appelle à être.

    Nous avons tous une culture, et nous concevons et louons Dieu au travers de cette culture. Ces conceptions et ces louanges sont un sujet de joie et de reconnaissance, où que nous vivions. Mais notre façon de faire n’est pas la seule ! Notre manière habituelle de faire nous est familière, et nos responsables peuvent souvent même donner des explications bibliques détaillées pour les justifier. Comme le peuple de la tour de Babel, nous avons trop souvent peur que les différences créent la discorde et nous dispersent. Trop souvent aussi, nous dépendons de notre langue, de notre culture et de notre tradition pour nous unir en dépit de nos différences, plutôt que de dépendre de Dieu. Nous devons devenir comme ce peuple de l’Apocalypse, un groupe multiculturel louant Dieu, capable de résister à toutes les persécutions. Il faut tout un village mondial pour être le peuple que Dieu nous appelle à être.

    Un coin de ciel sur la terre

    Ayant étudié la sociologie, je sais que chaque groupe travaille beaucoup pour créer sa propre identité et sa propre façon de faire les choses, et que ces modes d’appartenance sont importants. Nous voulons tous appartenir à un groupe ; c’est la nature humaine et c’est une bonne chose ! Cependant, les textes de la Genèse, de l’Apocalypse et de l’épitre aux Éphésiens nous aident à comprendre que Dieu désire que nous appartenions d’abord à un groupe de disciples de Jésus, plutôt qu’à un groupe linguistique, culturel ou national. Nous faisons partie d’un peuple dont la vision du monde est façonnée par Dieu, par la Bible, et par notre communauté spirituelle. √ätre chrétien est notre identité première. Nous faisons partie d’une église locale et d’une Église mondiale. Cette identité et cette appartenance devraient influencer nos vies en premier.

    Nos paroisses sont des endroits où nous nous connaissons, où nous nous sentons chez nous et où nous avons les mêmes conceptions du discipulat. L’appartenance à une assemblée locale où l’on aime chanter les mêmes chants et prier de la même manière est une bonne chose. Beaucoup d’entre elles sont aussi rattachés à des unions d’églises – un autre cadre dans lequel nous retrouvons les mêmes coutumes et traditions. Et pourtant, même au sein des paroisses et des unions d’églises, il y a toujours juste assez de différences pour avoir des tensions et des conflits. Ces différences sont amplifiées quand un grand nombre d’assemblées locales et d’unions d’églises se retrouvent dans un pays, puis dans d’autres cultures avec d’autres langues.

    Faire partie de la CMM est encore différent. La CMM est notre communauté (d’églises) anabaptiste mondiale, où nous nous retrouvons parce que nous partageons les mêmes convictions concernant Dieu, Jésus, le Saint-Esprit et l’Église. C’est un lieu où entrapercevoir le paradis sur terre – un aperçu de ce qu’adorer Dieu avec une multitude de personnes de différents pays, cultures et langues peut être. On peut avoir ainsi une idée de ce qu’est le peuple que Dieu nous appelle à être – un peuple lié par bien davantage qu’une langue, une culture ou des coutumes locales.

    La CMM est un lieu où notre diversité culturelle nous enseigne ce que signifie suivre Jésus. C’est le lieu où nous pouvons le mieux répondre à la question : « Que signifie être un chrétien anabaptiste dans mon contexte culturel aujourd’hui ? », en découvrant comment on répond à cette question dans d’autres contextes culturels. Nous faisons ce voyage spirituel avec des personnes différentes de nous (cultures, pays, types d’anabaptistes etc.). La CMM est le lieu où nous sommes liés par nos convictions communes de chrétiens anabaptistes. Ensemble, nous sommes un petit peu de ciel sur la terre. Ensemble, nous sommes assez forts pour résister à la persécution et à la tentation.

    Ensemble, avec tous les saints

    Revenons au passage écrit par Paul aux chrétiens d’Éphèse, pas aux chrétiens juifs, mais aux chrétiens d’autres origines. Dans les chapitres 2 et 3, il leur rappelle qu’ils sont concitoyens du peuple de Dieu, membres à part entière de la famille de Dieu, et participants à la promesse en Jésus-Christ. C’était une idée nouvelle, extraordinaire, et controversée à l’époque, et elle continue à transformer notre compréhension de l’action de Dieu dans le monde d’aujourd’hui. Nous sommes tous membres à part entière de la famille de Dieu et participants à la promesse en Jésus-Christ, au-delà de toutes les différences qui nous divisent si facilement.

    Dans Ép 3/14-21, Paul prie pour cette église. Il prie pour qu’elle comprenne l’immensité de l’amour de Dieu – la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour de Dieu. Et il prie pour que ses membres puissent la conna√Ætre « avec tous les saints ». J’aime cette petite phrase. Elle nous dit que nous ne pouvons pas vraiment conna√Ætre l’immensité de l’amour de Dieu sans tous les saints. C’est seulement dans le désordre de la différence (culturelle, linguistique, politique, théologique et économique) avec tous les saints, que nous pouvons commencer à saisir l’amour de Dieu. Il faut tout un village mondial pour commencer à comprendre l’immensité de l’amour de Dieu et pour être le peuple que Dieu nous appelle à être.

    Arli Klassen est responsable du développement de la CMM.

    Des anabaptistes du monde entier participent à la cène pendant la réunion du Conseil Général de la CMM en 2012, à B√¢le (Suisse). Photo : Merle Good

    Deux mennonites (Indonésie et Amérique du Nord). Pour les anabaptistes, la CMM est le lieu où un tel contact interculturel est possible. Photo : Merle Good

  • La Communion mondiale : pourquoi est-elle importante ? Explorer notre engagement commun à être une famille à l’échelle du monde

    Les membres de la Conférence Mennonite Mondiale se sont engagés à être une communion de foi et de vie à l’échelle du monde (koinonia). Nous cherchons à être une communion transcendant les frontières de nationalité, de race, de classe, de sexe et de langue. Pourtant, en raison de leur diversité, les églises membres ont une compréhension différente de l’importance de la communion mondiale.

    L’édition d’avril 2015 de Courier / Correo / Courrier explore les raisons pour lesquelles les communautés anabaptistes du monde entier se réunissent pour former la CMM. Dans les articles qui suivent, les auteurs réfléchissent à la question : Pourquoi mon assemblée locale ou régionale a t-elle besoin d’une communion mondiale ?

    Jésus en chair et en os

    Tard, un soir d’orage, une petite voix se fait entendre de la chambre de l’autre côté du couloir. « Maman, j’ai peur !» Maman répond gentiment : « Chéri, n’aie pas peur, je suis juste à côté ». Après un court moment, le tonnerre gronde au loin et la petite voix redit : « J’ai quand même peur ! » Maman répond : « Tu n’as pas de raison d’avoir peur. Ferme les yeux et prie. Et rappelle-toi que Jésus est toujours avec toi ». Une pause plus longue, et la voix de l’enfant est là, debout à côté du lit : « Maman, est-ce que je peux venir dans le lit avec toi et papa ? » Comme la mère est sur le point de perdre patience, son petit garçon la regarde et lui dit : « Maman, je sais que Jésus est toujours avec moi, mais juste maintenant, j’ai besoin d’un Jésus en chair et en os. »

    Chaque fois que j’entends cette petite histoire, je souris de la manière humoristique dont cette simple vérité est transmise. Il y a des moments critiques dans la vie où nous avons besoin de la présence d’une autre personne pour incarner la présence physique de Jésus, quelqu’un qui soit ‘Jésus en chair et en os’, pour nous réconforter, nous donner du courage ou ce dont nous avons besoin à ce moment. J’imagine que nous sommes nombreux à pouvoir nous identifier à cet enfant !

    De même, il y a d’autres vérités spirituelles qui ont besoin de ‘chair et d’os’ pour devenir réelles. La CMM permet aux Frères en Christ (BIC) du Canada de comprendre cette vérité importante : nous appartenons à une famille d’Église répartie dans le monde entier. Certes, nous savons que partout, les disciples sont un par la foi en Jésus ; Cependant, nous pouvons expérimenter cette vérité précieuse d’une manière concrète depuis que la CMM est devenue ‘chair et os’ pour nous. Cette ‘incarnation’ de notre fraternité mondiale en Christ, renforce nos paroisses BIC du Canada de façon significative.

    D’abord, notre témoignage pour le Christ est renforcé. Le Canada est un des pays les plus multiculturels du monde. Si vous visitez nos villes, marchez dans nos rues, allez dans nos centres commerciaux ou nos écoles, vous découvrirez une riche mosaïque de groupes, de langues, de religions et de cultures. Cette diversité ne fait qu’augmenter avec l’arrivée de centaines de milliers d’immigrants de tous les pays du monde chaque année. Quand le message de Jésus touche nos voisins et nos collègues de travail, nos assemblées BIC reflètent de plus en plus cette diversité. L’Évangile comble le fossé des divisions ethniques et culturelles et devient réel et visible dans les paroisses qui reflètent ainsi la réalité démographique de leur environnement.

    De même avec la CMM, nous devenons une famille mondiale en Christ. Elle offre à nos assemblées une manière concrète de comprendre cette vérité. Et notre témoignage de paix, possible en Christ, est renforcé. Ceux qui viennent peuvent constater que le message de réconciliation de Jésus est plus que des paroles.

    Ensuite, alors que nous participons aux activités de la CMM, notre processus de discipulat est renforcé. La BIC Canada est convaincue que pour ressembler davantage à Jésus, il faut cultiver des relations mutuelles de compassion, localement et globalement. La CMM nous permet de nous sentir proches de personnes qui, autrement, pourraient sembler lointaines. La CMM contribue à notre formation spirituelle par le fait d’être en communion avec d’autres : les écouter, découvrir leurs joies et leurs souffrances et voir la vérité de leur point de vue. La famille mondiale connaît souvent mieux la vérité du Royaume que ceux qui n’ont vécu qu’au Canada.

    Une de nos assemblées se souvient de la visite d’amis anabaptistes d’Afrique australe : ils l’ont aidée à discerner des aspects du combat spirituel qu’elle vivait, puis ils l’ont encouragée par la prière l’intercession et l’adoration. Nos sœurs et frères qui doivent lutter beaucoup plus devant la souffrance, la pauvreté et la persécution ont beaucoup à nous apprendre quand nous partageons leur vie. Cette interaction permet de corriger notre trajectoire, sur le plan personnel tout autant que paroissial, grâce aux réalités découvertes au sein de notre famille mondiale.

    La façon dont nous vivons nos vies, passons notre temps, dépensons notre argent, investissons nos énergies et accueillons nos souffrances, change en devenant membres de notre famille mondiale. Plus nous nous engageons dans la communion mondiale, plus il nous paraîtra naturel de vivre les changements profonds qui doivent se produire dans nos vies et dans nos églises, pour ressembler davantage au Christ.

    C’est une bénédiction de faire partie de la CMM ‘Jésus en chair et en os’ pour les assemblées BIC Canada.

    Darrell Winger a été évêque et directeur exécutif de Frères en Christ Canada de 1997 à 2004 et de 2009 à 2013, ainsi que secrétaire général des Frères en Christ d’Amérique du Nord de 2004 à 2006. Il a aussi été un des responsables de International Brethren in Christ Association. Darrell travaille sur un doctorat en théologie politique à Toronto School of Theology.

  • L’inégalité économique : Explorer notre engagement commun pour le shalom

    Un des engagements de notre communion mondiale d’églises anabaptistes consiste à travailler au shalom. Nous croyons à l’engagement pour la justice et au partage de nos ressources, qu’elles soient matérielles, financières ou spirituelles. Pourtant, à cause de notre immense diversité, notre engagement prend différentes formes. Dans le numéro d’avril 2014, les responsables de notre communion analysent la manière dont les anabaptistes abordent la question de l’inégalité économique, et comment nous, en tant que disciples du Christ en quête du shalom, essayons de réduire les écarts de richesse dans nos communautés.

    Une mission modelée sur le Christ

    L’encyclopédie définit ‘l’inégalité économique’ comme la différence entre individus et populations dans la distribution de leurs possessions, leur richesse ou leur revenu. Le terme se réfère généralement à l’inégalité entre individus et groupes au sein d’une société. Cependant, on peut affirmer que l’inégalité économique n’est pas un hasard. En fait, elle est le résultat de la cupidité et de l’égoïsme humains.

    Quelles que soient ses origines, l’inégalité économique est réelle. En Inde, cette inégalité est fortement enracinée dans la société, et une grande partie de la population en souffre profondément.

    Il n’y a pas de réponse facile à la question de savoir pourquoi la majorité souffre de l’inégalité économique. Nous n’avons que quelques théories. Bien sûr, les facteurs varient selon le lieu, l’époque et le pays. Un facteur peut être déterminant à un endroit et pas ailleurs.

    Néanmoins, la réalité est qu’aujourd’hui, à cause de l’inégalité économique, beaucoup de personnes sont dans une situation désespérée : pas de logement, faim et pauvreté, pas d’accès à l’éducation et aux soins médicaux. Ceux qui sont dans ces situations n’ont pas les mêmes privilèges que les plus aisés, mais souvent les plus riches ne les remarquent même pas. Les riches deviennent plus riches, les pauvres deviennent plus pauvres. L’écart se creuse à un rythme alarmant.

    La Bible mentionne très souvent l’inégalité économique et l’écart entre les riches et les pauvres. Dans l’Ancien Testament, Dieu crée un monde parfait et dit aux êtres humains de maintenir une société équilibrée et juste dans ce monde (Gn 1/10, 12, 18, 21, 25). Pourtant, ils se rebellent contre Dieu et sa volonté, et le péché est entré dans le monde (Gn 3/13-19). Le meurtre de Caïn dans Genèse 4 montre comment le péché introduit misère et injustice dans l’histoire humaine, misère et injustice qui se transmettent de génération en génération jusqu’à ce jour.

    La pauvreté dresse son hideuse tête dans l’Ancien Testament. Comme il y aura toujours des pauvres (Dt 5/11), Dieu ordonne à son peuple d’être généreux. L’A.T. nous rappelle que Dieu se préoccupe du sort des pauvres. Ne pas suivre ses commandements concernant les pauvres, déclenche sa colère sur nous (Ez 16/48-50 ; Es 1/16-25).

    Le Nouveau Testament souligne que Dieu se soucie des inégalités et commande de prendre soin des pauvres et des opprimés. Jésus lui-même s’est identifié à eux quand il a dit : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête » (Mt 8/20). Il a choisi d’exercer son ministère envers les gens ordinaires, pauvres, opprimés, malades (Lc 4/18-19). Il a dit au jeune homme [riche] de le suivre en renonçant à ses biens en faveur des pauvres (Mt 19/21 ). Il a chassé les changeurs du temple et a condamné leur cupidité et leur hypocrisie (Mc 11/15-17). Les exemples abondent. De toute évidence, le ministère terrestre de Christ a consisté en partie à contester les normes de la société et à souligner ses injustices.

    L’Église primitive fournit peut-être le meilleur exemple de ce genre de pratique : une vie dévouée à la justice et à l’égalité entre les personnes. Dans Actes 2/42-47, l’Église primitive est décrite comme un lieu où les biens et les ressources sont partagés équitablement, où les repas sont des occasions de communion fraternelle et de compassion, et où la croissance spirituelle n’avait d’égale que la satisfaction des besoins matériels.

    Notre patrimoine anabaptiste nous conduit (Frères en Christ ou mennonites) à nous sentir responsables d’aider les pauvres et les démunis. Au début du mouvement anabaptiste, les croyants pratiquaient l’obéissance dans le domaine financier. Au XIXe siècle, H.B. Musser, responsable Frères en Christ a déclaré : « Je pense qu’il est de notre (l’Église) devoir de nous soutenir mutuellement lorsque nous subissons des pertes […] Je pense que c’est notre devoir, car l’Écriture dit : ‘Portez le fardeau les uns des autres’ ». Notre héritage anabaptiste nous enseigne clairement – en accord avec l’Écriture – que l’Église a un rôle vital à jouer pour réduire l’écart entre les riches et les pauvres et qu’elle doit travailler à la justice et à l’égalité dans la société.

    Quel est ce rôle ? La Bible nous dit que l’Église devrait être le sel de la terre et la lumière du monde (Mt 5/13-16). Elle doit prendre soin des veuves et des orphelins (Jq 1/27). Elle devrait chercher la transformation, non seulement des personnes, mais des structures injustes et oppressives de la société elle-même. En fait, comme l’Église nourrit la foi des croyants, les croyants à leur tour travaillent à la justice dans leurs propres vies, leurs familles et la société en général. Bien qu’elle rencontre des difficultés, l’Église doit toujours être cette voix qui rappelle à la société que Dieu se préoccupe de la justice et de l’honnêteté.

    Les Frères en Christ d’Odisha (Inde), tentent de contribuer à la justice et à l’égalité de deux manières. D’abord, nous enseignons la Parole de Dieu. Ensuite, nous entreprenons des projets dans des domaines tels que l’éducation, la création de revenus, la santé et l’hygiène, l’amélioration de l’agriculture, l’aide d’urgence et la réhabilitation. Notre objectif à long terme est d’améliorer les conditions socio- économiques dans notre région.

    Nous avons un projet spécifique parmi les castes et tribus répertoriées (intouchables et tribus aborigènes) dans les huit districts de l’État d’Odisha. Ces deux groupes sont les plus pauvres de la société indienne, et l’ont toujours été. Beaucoup d’entre eux vivent au jour le jour. Ils ont de faibles revenus, ils ne peuvent souvent prendre qu’un repas par jour. Nous encourageons les membres de notre communauté à partager le fardeau de ces personnes. Bien sûr, ce n’est pas facile de contribuer à l’équilibre, à l’égalité et à la justice ; c’est un long processus. Pourtant, nous persévérons, nous confiant en l’Esprit pour nous donner force et puissance.

    Notre mission est de refléter celle de notre Seigneur Jésus-Christ : les pauvres ont très peu de biens, mais ils sont riches en esprit, en foi, en œuvres et en actes (Jq 2/5). Le Christ lui-même a donné l’exemple de servir les autres et de rechercher la justice, lui qui, malgré ses richesses est devenu pauvre pour nous faire riches. (2 Co 8/09).

    Bijoy K. Roul est coordinateur de l’Asie du Sud pour les Frères en Christ d’Odisha (Inde).

  • Il y a quelques années, une femme à l’accent étranger – une amie – a frappé à la porte de l’une de nos églises de Bogotá. Le pasteur de cette église – un ami aussi – a ouvert. La femme évangélisait le quartier et a commencé à parler à mon ami sans savoir qu’il était chrétien. Il l’a laissée parler, pensant témoigner à cette missionnaire étrangère qui avait peut-être une religion bizarre.

    Ils ont parlé quelques minutes avant de découvrir leur foi commune. La surprise a été encore plus grande quand ils ont réalisé qu’ils appartenaient tous deux à la même tradition (l’anabaptisme) et qu’ils étaient membres de la même dénomination mennonite ! C’était pour elle un choc d’apprendre qu’il y a environ 12 églises anabaptistes à Bogotá. Cette femme, européenne, avait été placée dans cette ville par son église mennonite depuis plusieurs années, pour y être missionnaire, sans avoir de contact avec les mennonites colombiens.

    J’aimerais écrire que l’histoire de mon ami pasteur et de sa visiteuse européenne n’est qu’un cas isolé. Mais de telles histoires se reproduisent très souvent à travers le monde là où des églises et des organisations anabaptistes travaillent sans savoir ce que les autres membres de notre communion mondiale font au même endroit. La présence anabaptiste manque de puissance et d’impact lorsque la communication ne passe pas entre ses membres et institutions à travers le monde. C’est l’une des raisons pour lesquelles la CMM a revu et modifié sa stratégie de communication. Ce numéro de Courier/Correo/Courrier décrit cette nouvelle stratégie, qui utilise les nouveaux médias et investit prudemment nos ressources là où elles sont les plus nécessaires. Nous espérons qu’il en résultera une meilleure communication entre nos membres.

    Le mot ‘communication’ a la même racine que d’autres mots importants pour la mission et la vision de la CMM : la communion et la communauté. Il n’est pas possible d’avoir une réelle communion avec des personnes avec qui on ne communique pas. Il est impossible de construire une communauté mondiale si nous ne nous parlons pas régulièrement. Il n’est pas possible de se réjouir avec ceux qui se réjouissent et de pleurer avec ceux qui pleurent (Ro 12/15), si nous ne connaissons pas leurs joies et leurs souffrances.

    Une bonne communication permet le partage des ressources, des expériences, des dons et des faiblesses d’une manière qui fortifie notre service et notre témoignage. Une bonne communication permet de former des réseaux de travail en équipe plus efficaces dans l’implantation d’églises, le travail pour la paix, le développement social et l’éducation. Que se passerait-il si ce travail était fait de manière multiculturelle comme l’expression de l’Église du Christ ? Que se passerait-il si nous considérions notre famille mondiale comme un corps interconnecté, plutôt qu’un réseau d’institutions ? Que se passerait-il si nous évitions la répétition du travail, tout en célébrant les différences et la diversité ?

    Il y a quelques semaines je suis allé à une réunion de pasteurs mennonites à Bogotá. Mes deux amis y étaient : le pasteur et la missionnaire européenne. Ces deux responsables avaient appris à communiquer et à travailler ensemble. En conséquence, l’Église a grandi sous divers aspects. Pourrait-on imiter leur exemple ? Pouvons-nous continuer à construire notre communauté mondiale grâce à une meilleure communication ? Soyons unis, afin que le monde croie que Jésus a été envoyé par notre Père (Jn 17/21).

    César García, secrétaire général, travaille au bureau central de la CMM à Bogotá (Colombie).

  • Explorer nos engagements communs

    Un des engagements de notre communion mondiale d’églises anabaptistes est de se retrouver régulièrement pour le culte. Cependant, de par notre immense diversité, cet engagement se manifeste de manières très différentes. Dans le numéro d’octobre 2013, des responsables de notre communion décrivent différentes formes de culte anabaptistes : aspects visuel et sonore, difficultés et bénédictions.

    Intégrer tous les domaines de la vie

    Implanter une nouvelle église ? Oui, mais… quel style de culte allons-nous adopter ? C’était la question posée par plusieurs personnes il y a douze ans, lorsque nous avons démarré l’assemblée mennonite de Quito. Ces personnes venaient de différentes traditions, aussi la question exigeait une véritable réflexion.

    Y répondre était difficile pour plusieurs raisons. La première est que, en Équateur, comme dans le reste de l’Amérique latine, le culte typique des églises évangéliques reflète l’influence du ‘mouvement du culte de louange’ introduit par les Nord-Américains durant les années 1980. Certains aspects de ce culte comprennent des musiciens professionnels, des instruments classiques, des chants qui commencent sur la note qui finissait le précédent, et des chants ‘guerriers’, entre autres. Nous ne voulions pas reproduire complètement ce genre de culte, car certains de ses aspects ne sont pas compatibles avec nos principes anabaptistes.

    Une deuxième difficulté, c’est que les églises historiques (catholique, luthérienne, anglicane et presbytérienne) suivent une liturgie peu flexible.

    Les personnes venues à la nouvelle paroisse de Quito appréciaient la tradition anabaptiste et, bien que de différentes origines, souhaitaient que l’identité latino-américaine soit reflétée dans le culte.

    Pour toutes ces raisons, l’église de Quito a préservé les rythmes latino-américains, y compris les son cubano (Cuba), chamame et tango (Argentine), sanjuanitos et pasillos (Équateur) et guabinas et cumbias (Colombie). Ces rythmes sont accompagnés par des instruments locaux : guitare acoustique, charango, bombo (gros tambour), maracas et bâtons de pluie. Bien sûr, la musique n’est pas tout, il est important que les paroles des chants ne contredisent pas l’évangile.

    Les symboles ont une place importante dans le culte, et nous y avons pensé en démarrant notre église. Pour les peuples d’Amérique latine, la croix vide est à la fois l’identification a ceux qui souffrent et un symbole d’espoir. Dans notre église, la croix est placée dans un endroit bien visible. Elle est un rappel de la confrontation de Jésus avec les puissances, et aussi un rappel que Christ est au centre de notre vie.

    Les couleurs liturgiques sont aussi symboliques ; elles proviennent de tissus indigènes équatoriens. Ces étoffes sont placées sur une table, afin de méditer sur la valeur et la beauté de la diversité dans un monde dominé par l’homogénéisation des modèles impérialistes. La bougie de la paix nous rappelle que nous sommes la lumière et que nous nous engageons à vivre la paix du Christ. Les chaises sont placées en demi-cercle et il n’y a pas d’estrade ; cela reflète l’intention délibérée d’aller à contrecourant d’un contexte religieux qui place la sainteté le plus près possible de la chaire.

    Un autre aspect du culte est l’examen de la vie des personnes présentes, en d’autres termes, la confession. Ê Quito, la confession est inspirée de textes bibliques qui correspondent au calendrier liturgique. La confession nous permet de savoir que nous marchons sur les traces de notre Maître. La confession n’est pas la récitation d’une prière ou un mea culpa, c’est une confrontation avec l’Évangile de paix. Cette partie du culte se termine par un cantique de paix et un moment pendant lequel les participants se saluent.

    La lecture de passages de l’Ancien et du Nouveau Testament fait partie du culte à Quito. Nous suivons ainsi le principe anabaptiste de l’interprétation de l’Écriture par elle-même. En utilisant ces textes, nous encourageons la personne qui prêche à présenter un message qui ne tombe pas dans des discours personnalisés. Cette partie du culte se termine par l’herméneutique communautaire, où d’autres interprétations et des expériences de vie sont partagées.

    A la fin du service, nous nous bénissons les uns les autres en nous engageant à annoncer l’Évangile de la paix et à servir là où nous vivons. Cela peut sembler rigide, mais il y a cependant place pour la prière spontanée, frapper des mains en chan- tant et écouter une musique particulière quand quelqu’un souhaite partager de cette manière.

    Pour la paroisse mennonite de Quito, le culte intègre tous les domaines de la vie ; ils sont présentés à Dieu et à nos proches, surtout ceux qui ont des besoins.

    César Moya et sa femme, Patricia Urueña sont co-pasteurs de l’assemblée mennonite de Quito (Équateur). Ils sont également co-fondateurs de ProPaz (Pour-la paix), un séminaire mennonite à Quito.

  • La communauté mennonite d’Indonésie est variée et dynamique ! Ses origines et son développement sont peu connus, en particulier des mennonites du Nord : Comment l’anabaptisme s’est-il implanté en Indonésie ? Comment l’Indonésie est-elle devenue le cinquième plus grand centre mennonite du monde ? Et comment des noms comme Dharma, Widjaja, Pasrah, Arum ou Sutrisno en sont venus à être ‘mennonites’ alors qu’on était plutôt habitués à Yoder, Roth, Neufeld ou Rempel ?

    Tout comme d’autres pays de l’hémisphère Sud, l’Indonésie a son histoire, qui est essentielle pour comprendre la croissance explosive de l’anabaptisme hors de ses ‘lieux d’origine’ comme l’Europe et l’Amérique du Nord. Mais cette histoire reflète aussi les difficultés et les opportunités rencontrées par les chrétiens du monde entier.

    Une mosaïque de cultures et de religions

    Afin de bien comprendre la communauté mennonite indonésienne, il faut étudier la culture, l’histoire et l’évolution religieuse de notre pays.

    L’Indonésie est un archipel de plus de 17 000 îles disséminées sur une surface de 1 911 000 km2 en Asie du Sud-Est. Au cours de sa longue histoire, elle est devenue un ‘melting-pot’ de différentes cultures, traditions, langues et religions. Les commerçants chinois ont apporté des éléments de leur culture du Ier au VIe siècle. Du Ve au XVe siècle, l’hindouisme a dominé. Dès le XIIIe siècle, l’islam a eu une influence majeure dans la région, et est aujourd’hui la religion majoritaire.

    Le christianisme est arrivé en Indonésie en 1522, lorsque les colons portugais ont construit un port sur l’île de Ternate, dans les îles Moluques à l’est de l’Indonésie. Il était étroitement associé à la culture européenne moderne, qui a fortement influencé l’Indonésie pendant la période coloniale (du XVIe au début du XXe siècle). Pendant la plus grande partie de cette période, l’Indonésie était contrôlée par les Hollandais, qui ont apporté l’anabaptisme, parmi d’autres traditions.

    Les mennonites indonésiens aujourd’hui

    Aujourd’hui, environ 108 000 mennonites vivent en Indonésie. Il sont répartis dans plus de 350 paroisses mennonites affiliées à l’une des trois unions d’églises ou synodes :

    Gereja Injili di Tanah Jawa (Église évangélique javanaise, ou GITJ) ; Gereja Kristen Muria Indonesia (Église chrétienne Muria d’Indonésie, ou GKMI) et Jemaat Kristen Indonesia (Assemblée chrétienne d’Indonésie, ou JKI).

    De l’Église missionnaire au Synode indépendant : l’histoire de la GITJ

    L’anabaptisme est arrivé en Indonésie au cours de la seconde moitié de l’époque coloniale néerlandaise, grâce à Pieter Jansz. Envoyé par le Doopsgezinde Zending Vereniging (DVZ – comité de mission néerlandais) en 1851, il a débarqué sur l’île de Java, et s’est installé près du mont Muria. Au début, il n’a pas eu beaucoup de succès, car il a rencontré trois grands obstacles. D’abord, la région autour du mont Muria n’était pas un terrain fertile pour l’évangélisation. Ensuite, il y a eu un conflit avec le gouvernement des Indes néerlandaises. Et finalement, les luttes anticoloniales grandissaient. Il n’était pas facile de travailler dans de telles conditions culturelles et politiques, et Pieter Jansz a finalement réalisé que le travail missionnaire ne pouvait pas être fait par des étrangers. L’évangélisation et le travail de l’église devaient venir des autochtones.

    Malheureusement, ses efforts pour impliquer les autochtones dans son ministère n’ont pas eu beaucoup de résultats, car il continuait à travailler à la manière occidentale, qui ne cadrait pas avec la culture javanaise. Ceci peut expliquer le conflit que Pieter Jansz a eu avec le missionnaire indigène javanais Tunggul Wulung, dont le caractère mystique (lié à son contexte culturel javanais) lui paraissait excessif. Ni les efforts de Pieter Jansz ni ceux de Tunggul Wulung n’ont entraîné une croissance significative.

    La politique a également contribué au peu de croissance des efforts missionnaires mennonites. Contrairement à d’autres organisations missionnaires présentes dans le pays à cette époque, les mennonites refusaient de se servir des autorités politiques pour répandre le christianisme. Or, elles ont longtemps joué un rôle clé dans la croissance et la propagation de certaines religions, notamment du christianisme. Les convictions des mennonites concernant la séparation Église-État, ne les incitaient pas à s’allier au pouvoir politique, mais plutôt à s’appuyer sur des projets éducatifs et médicaux pour répandre l’évangile en Indonésie.

    La croissance de l’église mennonite en Indonésie a vraiment commencé après la création du synode GITJ en 1925. La question de l’autonomie et des autochtones en position de responsabilité était un point de tension depuis de nombreuses années. Dans les années 1920, les assemblées GITJ étaient devenues plus matures, et certains ont souligné leur dépendance au conseil missionnaire, notamment en termes de finances et de leadership. Peu à peu, les chrétiens indigènes ont décidé que l’autonomie était le seul moyen de sortir de cette dépendance. En outre, la crise politique provoquée par la Seconde Guerre mondiale a convaincu le comité de mission qu’il était nécessaire de transférer le leadership aux responsables des paroisses locales.

    L’autonomie renforça la GITJ. Un rapport de 1957 mentionne 11 assemblées comptant 2 410 membres adultes et 2 850 enfants. Une croissance de cette ampleur a continué jusque dans les années 1980.

    Cependant, la croissance a entraîné des problèmes. Être indépendant du comité de mission n’a pas été facile, car les églises avaient l’habitude de compter sur lui spirituellement et financièrement. Malgré beaucoup de travail, les conflits financiers et entre responsables ont culminé dans les années 1980. Le synode ne parvenait pas à trouver de responsable pour guider ses églises ni à développer des sources de revenus pour remplacer celles du conseil d’administration de la mission. Aujourd’hui encore, l’Église continue à se débattre avec ces questions. En même temps, elle connaît une grande vitalité : en 2012, le synode comptait 43 250 membres dans 104 paroisses.

    Une église indigène dès le départ : l’histoire de la GKMI

    Au début du XXe siècle, pendant que la GITJ progressait vers l’autonomie, un autre groupe mennonite indonésien, la GKMI, naissait. Contrairement à la GITJ, créée par un comité de mission occidental, la GKMI est née des efforts d’un entrepreneur chinois, Tee Siem Tat, de Kudus, au centre de Java. Avant sa conversion, Tee Siem Tat était un adepte de la religion confucéenne. Il rencontra le Christ alors que malade, il a été “guéri corps et âme” précise t-il. Tee Siem Tat décida de parler de l’évangile à sa famille et à ses amis chinois de Kudus et des environs du mont Muria.

    Trois ans après sa conversion, en 1920, Tee Siem Tat et 24 de ses amis furent baptisés par Nicolai Thiessen, un missionnaire mennonite néerlandais, chez Tee Siem Tat. Après leur baptême, ils continuèrent à parler de l’évangile à leurs amis.

    Tee Siem Tat décida de se joindre aux mennonites en raison de leurs valeurs, et commença à travailler avec les missionnaires du mont Muria. Mais dès le départ, le fruit de son ministère, le synode GKMI, a été indépendant financièrement théologiquement et administrativement du comité de mission mennonite.

    Reconnaissant l’appel de Dieu à évangéliser tous les peuples, Tee Siem Tat et ses amis étendirent leur ministère au peuple javanais vivant dans leur région. En 1958, ils changèrent le nom de leur église qui était ‘Église chrétienne mennonite chinoise’ en ‘Église chrétienne Muria d’Indonésie’. Ils choisirent un pasteur javanais, Soedarsohadi Notodihardjo, en tant que secrétaire général du synode.

    Aujourd’hui, le ministère de la GKMI s’étend à sept îles indonésiennes, et ses membres viennent de différentes tribus. Le synode a encore des difficultés pour définir une identité mennonite claire, avoir une structure appropriée et former des responsables fiables.

    Sensibiliser les jeunes : l’histoire de la JKI

    La plus jeune communauté mennonite d’Indonésie est la JKI. En l’espace de moins de 40 ans, elle a implanté plus de 50 assemblées, et compte aujourd’hui 45 000 membres et 189 assemblées. Les paroisses sont regroupées dans les villes proches du Mont Muria, dans l’est et l’ouest de Java, et quelques-unes à l’étranger.

    Ce synode a commencé grâce à un groupe de jeunes de GKMI Keluarga Sangkakala (‘famille trompette’), qui a lancé plusieurs projets créatifs. Ce groupe associe des cultes de réveil, un ministère social et l’utilisation des médias pour diffuser le message de l’Évangile. Le groupe a grandi, et il a fallu former une église indépendante. Le 4 mars 1979, à Ungaran (Centre de Java), le baptême de plusieurs nouveaux croyants a conduit à la création officielle de l’église JKI.

    La JKI continue d’avoir une forte croissance, en particulier chez les jeunes. La plupart des assemblées rurales sont petites, mais  il y a de grandes assemblées dans les villes. En fait, les quatre plus grandes paroisses du synode sont urbaines : Jakarta Praise Community Church dans la capitale compte 10 000 membres ; JKI Injil Kerajaan à Semarang, 15 000 membres ; JKI Bukit Sion à Surabaya, 5 000 membres, et JKI Maranatha à Ungaran-Semarang, 1 800 membres.

    Difficultés et opportunités

    Ces trois communautés mennonites sont confrontées à des difficultés similaires, dont quatre méritent d’être mentionnées ici :

    1. L’anabaptisme n’a pas de racines profondes dans la culture, la société et la politique indonésienne.

    La plupart des Indonésiens associent le christianisme au colonialisme occidental. Cette religion a donc souvent une connotation négative. Contrairement à d’autres religions qui ont été mieux intégrées dans les cultures locales, le christianisme est perçu comme un ‘intrus’. Par conséquent, formuler l’histoire ‘sombre’ du colonialisme tout en introduisant la vision mennonite est un grand défi pour nos communautés.

    2. Les églises ressentent une ‘rivalité’ avec les autres dénominations chrétiennes.

    Nous ne pouvons pas le nier. En outre, dans les villes, de nombreuses paroisses ont tendance à orienter leur ministère vers des groupes interconfessionnels, plutôt que de développer des projets dans leurs communautés locales. Au fil du temps, ces groupes parallèles aux églises forment leurs propres paroisses, éclipsant davantage les paroisses locales. Aussi, le renforcement des églises locales est devenu un enjeu majeur pour les mennonites indonésiens.

    3. Les ministères ont tendance à mettre l’accent sur le pragmatisme, le rituel (divertissement) et la réponse aux besoins immédiats.

    De nombreuses églises contemporaines s’efforcent de répondre aux besoins immédiats : désir de se divertir et d’être pris en charge. Bien s√ªr, ce n’est pas mauvais, pour autant que les valeurs chrétiennes soient maintenues. Nous, mennonites, sommes mis au défi de garder notre accent communautaire tout en donnant aux gens ce qu’ils attendent.

    4. Les politiciens voient la religion comme un produit.

    Suite à la démission du président Suharto en 1998, des réformes ont transformé le paysage politique de l’Indonésie. Le développement de la démocratie a favorisé la formation de nouveaux groupes sociaux et politiques. Les nouveaux groupes politiques, en particulier, ont cherché à créer des réseaux politiques de masse, et ont courtisé les groupes religieux. Les églises, notamment mennonites, doivent en être conscientes et résister à la tentation de faire de la religion un produit politique.

    Il existe de nombreuses possibilités de renouveau pour la communauté mennonite d’Indonésie. L’une d’elles est un retour aux quatre piliers de l’Église : l’histoire, la théologie, l’ecclésiologie et la missiologie. Nous devons étudier l’histoire et les valeurs de nos précurseurs mennonites. Cela nous aidera à faire face aux défis d’aujourd’hui.

    Il est aussi nécessaire de renforcer notre identité mennonite, ce qui a commencé avec la traduction et la publication de livres sur l’histoire mennonite et la théologie. Mais nous devons aussi penser à contextualiser les valeurs mennonites. Ce n’est pas une tâche facile, mais nous savons que rien n’est impossible avec notre Dieu.

    Une autre opportunité saisie par la communauté mennonite indonésienne a trait à la famille mondiale de la foi. Les trois synodes mennonites indonésiens sont membres de la CMM. Nous nous réjouissons du soutien de nos frères et s≈ìurs à travers le monde, et nous espérons aussi les soutenir en nous impliquant de plus en plus dans le travail de la CMM.

    Beaucoup de visages, une même mission

    La communauté mennonite indonésienne a trois ‘visages’ : la GITJ, la GKMI et la JKI. Chaque ‘visage’ reflète une origine et des expériences différentes. Cependant, les difficultés et les opportunités auxquelles font face ces trois groupes sont, à certains égards, les mêmes que celles des communautés mennonites du monde entier. Dans ce monde moderne, nous avons tous nos luttes : pour contextualiser la foi chrétienne par des moyens appropriés, pour développer des ministères locaux sans attiser l’esprit de rivalité, pour surmonter  les changements culturels et les attentes personnelles et pour dire la vérité aux autorités, que ce soit dans la pauvreté ou dans l’abondance. Nos églises anabaptistes dans le monde vont-elle s’entraider ? Si cela se fait, non seulement nous lutterons ensemble, mais nous apprendrons et servirons ensemble.

    Adhi Dharma est le secrétaire général du Synode de la GKMI.

     

  • Pour prendre en compte l’impact sur l’environnement de leur travail mondial, le personnel et les membres du Comité Exécutif de la CMM s’imposent dorénavant une surtaxe pour chaque kilomètre en avion.

    La taxe ira au Fonds de Partage de l’Église mondiale de la CMM, précise le Secrétaire de la Commission des diacres, Bert Lobe. Il a développé ce projet sur la base de propositions antérieures, et a travaillé avec Karen Martin Schiedel et le consultant en développement de la CMM, Henry Hildebrand. L’argent sera affecté spécifiquement à des projets respectueux de l’environnement des églises membres de la CMM.

    “L’important est de mettre en pratique nos paroles” a déclaré Henry. “C’est un début. Si nous devons modifier quelque chose, cela sera facile.”

    Dans les années à venir, par exemple, si la taxe est appliquée à tous les voyages des délégués pour les réunions du Conseil Général de 2012, ou le rassemblement de la CMM en 2015, la CMM pourrait envisager un partenariat avec une autre organisation pour un projet majeur, plutôt que de soutenir les petits projets du Fonds de Partage.

    Avec 50 USD par tonne de carbone, ce projet devrait générer 2 500 USD de revenu pour le Fonds de Partage.

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