Après 25 ans, le vent commence enfin à tourner pour les objecteurs de conscience en Colombie

Bogotá (Colombie) – « Priez, priez avec ferveur que Dieu nous accorde sa faveur et que mon cas devienne une porte que plusieurs jeunes pourront aussi emprunter. » Reinaldo Aguirre, Colombien, a imploré l’église tout au long des trois années d’impasses administratives. Objecteur de conscience qui refuse d’accomplir le service militaire obligatoire de la Colombie, ce jeune homme de la banlieue de Bogota a décidé qu’en tant que chrétien, il ne peut pas tuer.

Reinaldo s’est déclaré lui-même objecteur de conscience auprès de la base militaire de sa région où on lui a répondu qu’ils n’étaient pas outillés pour traiter sa demande. Sans son carnet militaire comme attestation ou exemption de service, il était impossible pour Reinaldo d’obtenir un travail ou un diplôme universitaire. Chaque jour, il faisait face au risque d’être détenu arbitrairement par l’armée colombienne. Après sept revendications du statut d’objecteur de conscience et trois années sans réponse, Reinaldo a finalement décidé de plaider sa cause au tribunal.

Ce jeune homme de 20 ans, qui fréquente une église pentecôtiste, a entendu parler de l’objection de conscience dans une série d’ateliers avec l’église mennonite. Reinaldo maintient que « dans la tradition chrétienne, on s’oppose au service militaire ou armé parce que c’est incompatible avec les enseignements et la vie de Jésus-Christ. Nous, qui avons accepté la seigneurie de Jésus-Christ dans nos vies, devons être d’une loyauté absolue non pas envers une nation ou un gouvernement, mais envers le Fils de Dieu qui nous a enseigné d’aimer nos ennemis, de faire du bien à ceux qui nous haïssent et de prier pour ceux qui nous maltraitent. »

Ê la fin de janvier 2015, la porte s’est ouverte pour Reinaldo. Dans un règlement historique, le tribunal constitutionnel colombien a ordonné à l’armée de délivrer le carnet de Reinaldo dans les 48 heures, affirmant que ses droits au travail, à l’éducation et à la foi avaient été violés par l’absence de réponse à sa demande de statut d’objecteur de conscience.

Ê propos de cette décision historique, Jenny Neme, directrice de Justapaz, commente : « Cette décision du tribunal contient également des éléments nouveaux et importants pour les objecteurs de conscience. Le tribunal a ordonné à l’armée d’assigner la responsabilité du traitement des demandes d’objection de conscience à ceux qui sont en charge du recrutement, et l’interdiction de refuser des demandes d’exemption. Il a établi également un calendrier strict pour traiter lesdites demandes. »

Ê chaque étape du parcours de Reinaldo, Justapaz était là, prodiguant des conseils juridiques et laissant savoir au jeune homme qu’il n’était pas seul. Cet accompagnement est désormais une deuxième nature de l’organisation. Selon Jack Suderman, secrétaire de la Commission Paix de la Conférence Mennonite Mondiale, « ce jugement du tribunal est le fruit de 26 années d’efforts institutionnels soutenus, planifiés, budgétisés, acharnés et tenaces de l’Église mennonite colombienne et de ses institutions. »

« Il est nécessaire, cependant, de continuer à défendre ces droits », dit Jenny Neme, exprimant ainsi le soutien indéfectible de Justapaz à l’objection de conscience. « Le fait que l’armée soit responsable de traiter les demandes d’objection de conscience doit être révisé. Sur le plan éthique, un organe militaire ne peut pas approuver ou désapprouver la décision d’une personne qui, suivant sa conscience, n’adhère pas à la logique militaire. Nous devons continuer d’insister pour que le Congrès de la République légifère ces droits et élimine tous les obstacles à leur reconnaissance. Finalement, l’État colombien doit réviser la pertinence de sa structure militaire dans un pays qui est presque rendu à la phase post-conflit. »

Quant à Reinaldo, il est optimiste. « Je veux remercier Dieu pour cette décision favorable du tribunal, pas seulement pour moi, mais pour tous les jeunes hommes en Colombie qui croient en la paix et au droit à l’objection de conscience. C’est une porte qui s’ouvre pour plusieurs. Nous allons la franchir, nous la franchissons déjà. »

Article par Anna Vogt