Réflexions bibliques et théologiques sur le slogan de la CMM

Présenté par Thomas R. Yoder Neufeld au Comité exécutif de la CMM lors de sa réunion à Curitiba (Brésil) en avril 2024.


I. Suivre Jésus – « Qui dites-vous que je suis ? »

Introduction

Il y a un an, au Camp Squeah en Colombie Britannique (Canada), le CE a trouvé un nouveau slogan pour la CMM : « Suivre Jésus, vivre l’unité, construire la paix ». La création d’un slogan est une sorte d’exercice de marketing. C’est aussi aspirer à quelque chose : Comment voulons-nous être connus ; que voulons-nous être et comment ? Il s’agit à la fois d’une description et d’un objectif, d’un test pour savoir si nous savons où nous allons, si nous sommes toujours sur la voie de ce que nous croyons que Dieu nous a appelés à être.

Je suis sûr que ce n’est pas une coïncidence si le « nouveau » slogan de la CMM ressemble à ce qui est déjà dans notre imagination collective. Il a certainement un fort air de famille avec la distillation en trois parties de Palmer Becker sur ce qu’il considère caractéristique d’un exercice anabaptiste de la foi chrétienne :

  • Jésus est au centre de notre foi.
  • La communauté est au centre de notre vie.
  • La réconciliation est au centre de notre travail.

Voyez-vous la ressemblance ? Jésus = celui que nous suivons, communauté = unité, réconciliation = paix. Cela doit beaucoup à la renommée « Vision anabaptiste » de Harold S. Bender, publiée en 1944. Il y trouve trois caractéristiques de l’anabaptisme : le discipulat, l’Église en tant que fraternité et une « éthique de l’amour et de la non-résistance ». Notre slogan a donc une histoire familiale importante.

Tout d’abord, je me concentrerai sur la première partie du slogan, « Suivre Jésus », et j’examinerai ce que nous entendons par là.

1. Qui est le Jésus que nous suivons ?

Permettez-moi de commencer par l’histoire de Jésus et de ses disciples, ceux qui l’ont suivi en tant qu’élèves. Elle se trouve dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu 16, Marc 8, Luc 9). Après une période intense d’enseignement, de guérison, d’exorcisme et de distribution de nourriture à des foules affamées, avec de nombreux disciples enthousiastes et des dizaines de chefs religieux suspicieux qui les suivent partout, Jésus décide d’emmener son groupe des disciples les plus proches, entres eux, dans la région de Césarée de Philippe. Luc précise que Jésus voulait s’éloigner pour prier.

Ils sont en train de traverser les villages de montagne, quand, soudain, Jésus demande à son petit groupe de disciples : « Alors, que disent les gens ? Qui dit-on que je suis ? » Les disciples suivent Jésus depuis un moment, ils ont été témoins de beaucoup de choses ; et ils ont entendu beaucoup de choses : « Certains pensent que tu es Jean-Baptiste revenu à la vie ! Certains pensent que tu es un prophète, comme Jérémie, peut-être même Élie ! »

C’est alors que Jésus leur pose la question la plus difficile de toutes : « Et VOUS, qui dites-vous que je suis ? » On peut imaginer la tension dans l’air, n’est-ce pas ? Sans surprise, c’est l’impétueux Pierre qui répond : « Tu es le Messie ! » Et il donne la bonne réponse à l’examen. En fait, Matthieu suggère qu’il a reçu un peu d’aide divine pour cette réponse :

 « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. […] Sur cette pierre je bâtirai mon Église. […] Je te donnerai les clés du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. » (Matthieu 16/ 17-19)

Peter a donc donné la bonne réponse. Ou bien ? Lorsque Jésus dit à ses disciples que le Messie, le Christ, souffrira, mourra et ressuscitera en trois jours, Pierre, choqué, gronde (!) Jésus pour cela. En effet : « Ce n’est pas ce que je voulais dire, Jésus ! J’ai dit que tu es le Messie – le vainqueur, pas la victime. Je voulais dire que tu es le guerrier et le libérateur de Dieu, venu pour mettre fin à nos souffrances, vaincre nos ennemis, nous donner à manger, guérir nos maladies, chasser les démons. Tu n’es certainement pas venu pour souffrir et mourir comme l’une des innombrables victimes aux mains de puissantes brutes religieuses et impériales ! » À ce moment-là, Jésus se tourne vers Pierre avec une réprimande encore plus forte : « Derrière moi, Satan ! »

Imaginez la scène ! J’imagine que tout le monde est profondément choqué. Le choc est encore plus grand lorsque Jésus se tourne vers ses disciples et leur dit : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix, qui veut sauvegarder sa vie, la perdra ! »

Et pourtant malgré cet échange marquant entre Jésus et Pierre, les paroles de Jésus n’impriment pas. Peu après, dans Marc 10, alors qu’ils se dirigent vers Jérusalem, Jésus rappelle une nouvelle fois à ses disciples les plus proches que le « Fils de l’homme » (la manière préférée dont Jésus parle de lui-même) doit souffrir, mourir et ressusciter. Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent immédiatement de lui :

« Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. »

« Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » 

« Accorde-nous de siéger dans ta gloire l’un à ta droite et l’autre à ta gauche. » 

Tous deux voient en lui le Messie, mais ne comprennent pas mieux que Pierre ce que cela signifie. Jésus répond à Jacques et Jean et au reste de ses disciples, peut-être cette fois avec plus de tristesse que de colère :

« Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. » (Marc 10/38-39)

Il devrait être clair pour nous maintenant que suivre Jésus n’est ni facile ni simple surtout si cela ne mène pas à un pique-nique avec 5 000 personnes, à la guérison d’un aveugle ou d’un boiteux, mais à la croix. Alors que je lisais ceci, Jean 6/66 m’est venu à l’esprit. Nous y lisons qu’après que Jésus parle durement à ses disciples, « … beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et ne marchèrent plus avec lui ».

Qu’en est-il de nous ? Qui est le Jésus que nous disons suivre dans notre slogan ?

2. Laurelville « Des chemins avec Jésus »

En 2008, une vingtaine de professeurs, pasteurs et missionnaires mennonites ont été invités au Laurelville Retreat Center, en Pennsylvanie (États-Unis), pour une rencontre de plusieurs jours intitulée « Nos chemin avec Jésus ». Chacun d’entre a été invité à parler de son expérience personnelle de cheminement avec Jésus. Les instructions étaient très claires : pas d’argumentation ni de critique, juste un partage et une écoute attentive. C’était difficile – surtout pour les professeurs !

Mais nous avons écouté. J’ai écouté des personnes dont je connaissais bien les idées, et avec lesquelles j’étais parfois en profond désaccord, et je les ai entendues parler de leur cheminement de foi avec Jésus. Alors que nous étions assis ensemble à la fin de ces journées émouvantes, l’histoire des Évangiles sur laquelle nous venons de réfléchir nous est venue à l’esprit, et nous avons convenu que chacun d’entre nous essaierait de répondre à la question de Jésus : « Qui dites-vous que je suis ? ». Et nous donnerions notre réponse directement à Jésus, sous le regard des autres. La plupart ont pris leur courage à deux mains et ont répondu comme si Jésus était là, sur la chaise vide que nous avions installée au milieu du cercle.

Il est intéressant de noter que les réponses étaient très diverses, peut-être comme celle de Pierre, à la fois justes et fausses. Mais ce qui était important, c’est que nous exprimions nos convictions les plus ancrées (qu’elles soient profondes ou superficielles) avec le plus d’honnêteté possible – non pas l’un à l’autre, mais à Jésus.

J’ai tiré de cette expérience un enseignement important, qui nous concerne ici, à la CMM, surtout quand les questions sont difficiles : c’est important de nous écouter les uns les autres en gardant à l’esprit que le principal auditeur est Jésus. J’imagine que Jésus a écouté les propos énoncés dans ce cercle de Laurelville. Mais, plus important encore, il a écouté, à travers les mots, l’honnêteté et l’intégrité avec lesquelles nous avons répondu. Plus particulièrement, je l’imagine en train d’écouter si nos réponses lui disent que nous sommes prêts à continuer à le suivre, même si la route devient escarpée et dangereuse et qu’elle mène à la croix.

Quelle réponse chacun de nous donne-t-il à la question de Jésus ? C’est une question à laquelle nous allons devoir répondre encore et encore en tant que disciples de Jésus.

3. Les réponses du Nouveau Testament à la question de Jésus

Permettez-moi de revenir à la Bible et de me concentrer sur le Nouveau Testament. À bien des égards, le Nouveau Testament est un recueil de réponses à la question de Jésus : « Qui dites-vous que je suis ? ». Après tout, nous avons quatre Évangiles, des lettres apostoliques portant les noms de grands maitres comme Paul, Pierre, Jacques et Jean, un sermon anonyme connu sous le nom de Lettre aux Hébreux et, enfin, l’Apocalypse ou Révélation de Jean de Patmos. Chacun d’entre eux contient de nombreuses affirmations concernant Jésus. En outre, les documents du Nouveau Testament ont été rédigés sur plusieurs décennies – le temps pour les premiers disciples de Jésus d’améliorer leur compréhension, d’apprendre des autres disciples, de débattre et peut-être de se disputer, d’écouter les réponses des uns et des autres à la question de Jésus.

Il est important de noter que le Nouveau Testament n’est pas simplement un recueil des paroles des disciples à Jésus, pour ainsi dire, mais la parole de Dieu pour nous. Je suis toujours étonné de voir à quel point les mots par lesquels la Parole divine nous parle sont humains. C’est un véritable miracle. La Bible est une sorte d’Emmanuel – Dieu avec nous dans nos propres mots.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par quelques exemples :

Pierre

Le Nouveau Testament dépeint Pierre comme un responsable important de l’Église bien au-delà de la Palestine. En fait, la tradition ancienne nous dit qu’il a probablement été martyrisé à Rome, tout comme Paul. N’est-il pas fascinant de constater que, bien qu’il ait été l’un des plus grands dirigeants de l’Église primitive, les auteurs de l’Évangile se souviennent à la fois de sa réponse correcte – Tu es le Christ ! Tu es le Messie ! – et de son incapacité à comprendre ce qu’il disait ? Ce seul fait devrait nous donner le courage de répondre nous-mêmes à la question de Jésus.

Thomas

Ou encore Thomas, dont on se souvient généralement qu’il a douté à l’annonce de la résurrection de Jésus. N’est-il pas intéressant, alors, que lorsque Jésus rencontre Thomas qui doute de sa résurrection, lui proposant de mettre sa main dans la plaie de Jésus, Thomas réponde par l’exclamation la plus stupéfiante : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Il est impossible de donner une réponse plus élogieuse.

Jean

Le disciple inconnu qui a écrit l’Évangile que nous connaissons sous le nom d’Évangile de Jean commence son récit par une réponse tout aussi élogieuse :

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu.

Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise.

Puis, au verset 14, ces paroles effarantes :

Et le Verbe s’est fait chair et il a habité (littéralement « sous tente ») parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père.

Il n’est pas surprenant que ce soit dans l’Évangile de Jean que nous rencontrons le Seigneur et Maître qui lave les pieds comme un serviteur ou un esclave (Jean 13).

Paul

Dans ses lettres, Paul nous offre un trésor de réponses à la question de Jésus : Fils de Dieu ; icône de Dieu ; créateur de toutes choses, y compris des pouvoirs ; Sagesse de Dieu ; Messie ou Christ, crucifié et ressuscité ; celui « en qui » et « par qui » nous sommes liés à lui et les uns aux autres en tant que membres de son corps ; le Nom au-dessus de tout nom ; notre Paix. Comme dans l’Évangile de Jean, ce Jésus se vide de lui-même, prenant la forme d’un esclave, jusqu’à mourir sur la croix, devenant ainsi un modèle pour ceux qui veulent le suivre (Philippiens 2).

Hébreux

Dans la lignée de l’Évangile de Jean, l’auteur anonyme de la Lettre aux Hébreux parle de Jésus comme du « Fils », l’héritier de toutes choses, assis à la droite de Dieu, créant et soutenant toutes choses par sa parole. Là où Jean parle poétiquement du Verbe devenu chair, Hébreux parle de Jésus comme étant « comme nous », n’ayant pas honte de nous appeler frères et sœurs, le pionnier de notre foi, celui qui nous ouvre la voie à suivre. Tous deux voient Jésus dans les plus hauts sommets et les gouffres les plus profonds.

Jean de Patmos

Enfin, le prophète Jean de Patmos qui, dans l’Apocalypse, identifie Jésus à la fois comme Fils de l’homme et Fils de Dieu et, en même temps, comme l’agneau vulnérable « qui a été immolé » et qui est ensuite élevé au pouvoir.

Il ne s’agit là que d’un petit échantillon du riche chœur de réponses à la question de Jésus dans le Nouveau Testament. Il ne fait aucun doute que nous pourrions compléter cette galerie de portraits.

4. Que faire de cette collection de réponses variées à la question de Jésus ?

Que faisons-nous de ces réponses bibliques si diverses ? Cette étonnante diversité christologique des Écritures est-elle comme un supermarché où nous pouvons acheter le Jésus qui nous plaît ? « J’aime Jésus le prophète, je le suivrai. Je préfère le conteur. Je veux suivre le sauveur qui est mort pour moi. Je suis le Jésus qui me couvre de tout ce que je peux désirer. J’aime le Jésus qui embrasse ! Celui qui aime faire la fête ! Le guérisseur ! L’exorciste ! J’aime le Jésus qui me ressemble ! Avez-vous un Jésus anabaptiste ? »

Ou s’agit-il d’un atelier créatif où des artistes de l’imaginaire exposent leurs créations ? Où nous nous laissons aller à nos goûts théologiques en choisissant et sélectionnant ce qui nous plait ?

Ou est-ce que tout cela – ensemble ! – est l’art de Dieu à l’œuvre pour nous révéler qui nous suivons, en utilisant des termes, des images et un vocabulaire issus de notre expérience humaine ? Rappelez-vous que dans Matthieu 16, Pierre reçoit l’aide de son « Père céleste » pour répondre à la question de Jésus.

La façon dont nous percevons cette diversité est très importante. Oui, il y a effectivement une grande part d’imagination et de créativité humaines dans la manière dont Jésus et ce qu’il représente est exprimé. C’est en lien avec l’incarnation, avec le Verbe qui se fait chair – dans ce cas, le Verbe devient des mots, des mots humains. C’est en lien avec la décision divine de confier Jésus à la mémoire de ses disciples. Leur témoignage à son égard est, à leur tour, naît de l’Esprit et il s’exprime dans la créativité et l’exubérance imaginative de l’adoration.

Nous devons garder à l’esprit que tous les premiers disciples de Jésus savaient que leur première obligation était d’aimer Dieu et Dieu seul. Mettre quelqu’un d’autre à cette place était considéré comme de l’idolâtrie, la pire trahison de notre relation avec Dieu. Ainsi, lorsque les premiers disciples ont commencé à suivre Jésus comme quelqu’un « comme eux » (comme le dit l’épître aux Hébreux), mais aussi comme « un avec le Père » (comme dans l’Évangile de Jean), comme « Seigneur et Dieu », comme le confesse Thomas, ils savaient qu’ils étaient en présence de nul autre que Dieu, Emmanuel.

Cela signifie que ces premiers disciples pouvaient être sûrs que, dans toute leur fragilité, ils étaient compris et aimés par quelqu’un qui les comprenait, quelqu’un qui leur ressemblait. Mais ils comprenaient qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de tenir compte des actions, des enseignements et des actes de Jésus en tant que Dieu parlant et agissant. Après tout, celui qu’ils suivaient sur le chemin s’avérait n’être rien d’autre que la Parole, la Parole qui était de Dieu, avec Dieu et, de fait, Dieu. Écoutez Thomas :

« Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ? » Jésus lui dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. » (Jean 14/5-7)

Tous les Juifs ont compris qu’avec le « JE SUIS », Jésus ne revendiquait rien de moins qu’un statut divin. Il n’est donc pas étonnant que, comme nous le lisons dans Jean 6/66, « beaucoup ont arrêté de le suivre ».

Le Nouveau Testament rend impossible la séparation du divin et de l’humain en Jésus. Il est Dieu avec nous, marchant devant nous en tant que pionnier de notre foi, comme le dit l’épître aux Hébreux. Jésus ne s’est pas contenté de vivre le genre de vie qui lui a attiré des ennuis, il a été Dieu s’attirant des ennuis, allant jusqu’à l’extrême en se donnant lui-même sur la croix pour notre libération. Jésus ne s’est pas contenté de rassembler un groupe d’étudiants partageant les mêmes idées et aimant ses valeurs. Il a choisi un groupe diversifié de personnes parfois lentes d’esprit et leur a demandé de le suivre dans son baptême, de boire sa coupe, mais aussi dans sa résurrection, et de faire partie de son corps.

Ou bien ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Par le baptême, en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle. (Romains 6/3-4)  

5. Pourquoi est-ce important pour nous, à la CMM ?

Imaginons que nous, membres et responsables de la CMM, soyons en randonnée avec Jésus. Si Jésus demandait à chacun d’entre nous « Qui les Anabaptistes disent-ils que je suis ? » Comment répondrions-nous ? Serait-ce : « Les Anabaptistes disent que tu es le sauveur, le guérisseur, l’exorciste, le crucifié ». Ou bien dirions-nous : « Les Anabaptistes disent que tu es le défenseur des pauvres, des malades et des affamés, un militant pour la justice et la paix. » Et puis l’un d’entre nous dirait : « Mais les Anabaptistes disent que tu es le Seigneur, la Parole, Dieu ! » Certaines de ces réponses sont-elles plus anabaptistes que d’autres ? Devraient-elles l’être ?

La CMM est un corps, une communion, qui, comme l’Église depuis sa naissance, rassemble de nombreuses histoires, et avec elles des traditions et des points de vue qui ont façonné les prismes particuliers à travers lesquelles nous voyons Jésus.

Certains d’entre nous sont porteurs de traditions mennonites historiques avec de longs pedigrees, façonnées au fil du temps par la persécution, la séparation forcée ou choisie du reste de la société, aboutissant à une sorte d’identité tribale qui, dans certaines parties de la famille, peut conduire à placer le pedigree au-dessus de la fidélité à l’Évangile. Certains d’entre nous ont réagi à ces histoires en voulant s’éloigner des contraintes de l’isolement, de la non-conformité et du conservatisme, en entrant dans le monde avec enthousiasme dans les domaines de l’éducation, de la culture, de la politique et des affaires. Tout cela se voit dans la manière dont nous parlons de Jésus et dont nous lui parlons.

D’autres ont une histoire issue de mouvements de réveil marqués par un évangélisme animé, ce qui met souvent à rude épreuve les relations avec les autres Mennonites. D’autres encore ont vu leur foi enrichie et façonnée par ce que nous appelons les vents charismatiques ou pentecôtistes qui soufflent sur l’Église mondiale, en particulier dans les pays du Sud. Nous aussi, nous répondrons à la question de Jésus à la lumière de cette expérience. D’autres encore, parmi nous, ont été appelés à être mennonite à cause des efforts missionnaires parfois sages et patients, parfois insensibles à la culture. Cela nous a parfois obligés à réapprendre à répondre à la question de Jésus dans notre propre langue. D’autres encore ont été attirés dans la communion anabaptiste parce que l’appel à la paix et à la réconciliation y est très fort. C’est aussi ce qui détermine la réponse qu’ils donneraient parmi ces diverses options.

Ainsi, si Jésus demandait « Qui les Anabaptistes disent-ils suivre ? », les réponses reflèteraient probablement la riche variété visible dans le Nouveau Testament, et plus encore. Il est donc essentiel, à mon avis, que lorsque nous utilisons le slogan « suivre Jésus », il nous appelle à accueillir l’ensemble du témoignage biblique, cette « sagesse de Dieu aux multiples facettes » (Éphésiens 3/10). Il nous appelle aussi à écouter et à apprendre de la sagesse des camarades anabaptistes avec lesquels nous marchons à la suite de Jésus. C’est une façon de vivre notre unité. C’est, dans la sagesse de Dieu, la raison pour laquelle nous avons le type de Bible que nous avons. Tout comme nous considérons que Dieu nous parle individuellement, mais aussi collectivement, nous acceptons la diversité des réponses parmi nous, sachant qu’il s’agit avant tout de réponses données à Jésus, et non à nous. Nous avons le privilège d’entendre et d’apprendre les uns des autres, d’élargir et de corriger nos propres réponses à la lumière de ces réponses. C’est un don de l’unité que nous avons en Christ.

Ceci est également important pour nos relations avec le corps du Christ élargie. Dans notre engagement œcuménique, nous constatons que nos priorités en tant qu’Anabaptistes diffèrent parfois de celles des autres communions. Et, oui, en effet, nous pouvons nous dire les uns aux autres et dire à nos autres communions dans l’Église mondiale : « Vous n’accordez pas suffisamment d’attention aux enseignements de Jésus sur la paix ». C’est peut-être vrai. Il est également vrai que nous devons alors écouter les autres communions du corps du Christ pour savoir ce qui manque ou ce qui fait défaut dans nos diverses compréhensions.

Jésus sera toujours plus grand que nos conceptions, que n’importe laquelle de nos réponses à sa question. Avec une appréciation large et profonde de ce qu’est le Christ, celui qui vit en nous et en qui nous vivons (Éphésiens 3/14-19), nous pouvons partager cela avec d’autres communions, non pas comme un « anabaptisme », mais comme un aspect essentiel de ce qu’est Jésus pour tous ceux qui l’appellent Seigneur. Cependant, précisément parce que Jésus est plus que ce que nous voyons de notre point de vue, nous pouvons – nous devons ! – écouter nos sœurs et nos frères, tant au sein (!) de notre famille diverse, où se situent, à mon avis, nos plus grands « défis œcuméniques », que dans d’autres traditions et dénominations. Ne nous montrons pas trop confiants ou trop satisfaits de notre vision particulière de Jésus, que ce soit individuellement ou collectivement.

6. Conclusion

Permettez-moi de conclure cette section en imaginant les paroles que Jésus adresse à la CMM :

« Je veux que vous compreniez que JE SUIS Dieu, qui attire tous les peuples dans la famille de Dieu, pardonne les péchés, rétablit la relation avec Dieu, enseigne la paix et la justice, rétablit les relations entre ceux qui sont éloignés et qui sont hostiles les uns aux autres.

Je travaille dans l’Esprit, en utilisant vos énergies dans le processus, pour créer l’humanité telle que Dieu l’a voulue dès le départ. Suivez-moi sur le chemin, mes frères et sœurs, comme ceux qui ont la croix et la résurrection à l’esprit et dans leur imagination. Proclamez l’Évangile en vivant mes enseignements et mon exemple. Et faites-le ensemble !

Je vous accompagnerai jusqu’au bout, contre vents et marées. Vous êtes mes disciples, oui. Mais vous êtes plus que cela : vous êtes mes amis ; plus que cela, vous êtes mes frères et sœurs ; plus encore, vous êtes mon corps. Comme je l’ai dit : « Je suis en vous et vous êtes en moi, comme je suis en mon Père et en votre Père » (Jean 17).

N’oubliez pas que je suis aussi proche qu’un frère ou une sœur, quels que soient votre langue, votre culture, votre race ou votre sexe. Je ressemble à chacun d’entre vous, et à vous tous ensemble. Alors regardez-vous les uns les autres et voyez-moi. Et écoutez-vous les uns les autres. Parfois, vous m’entendrez ! »


II. Vivre l’unité– au cœur du discipulat

Le deuxième élément du slogan de la CMM est « vivre l’unité ». Qu’entendons-nous par unité ? Quelle est la base de l’unité que nous voulons vivre ? Dans les lignes qui suivent, je souhaite aborder cette question d’un point de vue théologique et biblique.

1. Différents mots pour « unité »

La Bible contient de nombreux mots pour désigner « l’unité ». L’une des significations est de devenir « un », les uns avec les autres et avec Dieu (Éphésiens 4/1-6 ; Jean 17). Nous utilisons souvent le terme « koinonia », qui comporte de nombreuses nuances, toutes très utilisées. On trouve ainsi de nombreuses traductions du terme dans la Bible, en français comme sans doute dans les nombreuses langues utilisées dans nos Bibles : « partage », « partenariat », « participation », « fraternité », “ « communauté », « communion ».

2. La CMM et l’unité

L’existence même de la CMM, vieille de 100 ans, témoigne d’un long effort pour réaliser l’unité que nous avons en Christ en tant que communion anabaptiste d’Églises et de personnes. L’effort pour reconnaître et renforcer l’unité lors de la première réunion de la CMM en 1925 rassemble des Mennonites de Bâle très différents les uns des autres dans leur façon d’exprimer leur foi en pratique et en théologie. De plus, la Première Guerre Mondiale vient de se terminer, et les Mennonites ont pris les armes des deux côtés de cette terrible guerre. Comme aux débuts du mouvement anabaptiste, l’unité, dès le début de la CMM, est à la fois une réalité fragile et vulnérable et un objectif urgent. Ce fut encore le cas après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la CMM se réunit en 1952 à Chrischona, juste à côté de Bâle. Vous vous souviendrez que le CG et les Commissions s’y sont à nouveau réunis en 2012.

La lecture de l’ouvrage d’Alfred Neufeld, Devenir une communion mondiale, montre clairement que l’unité était au centre des préoccupations lors de l’Assemblée réunie de la CMM à Curitiba en 1972. Le thème était « La réconciliation en Jésus-Christ ». Cependant, de profondes différences et tensions sont apparues. La dictature militaire brésilienne était au pouvoir, et les Mennonites se demandaient s’il fallait réagir et comment. Selon le message de la conférence, cela créa « des dissensions entre ceux qui, dans notre fraternité, ont pour priorité le salut personnel et ceux qui considèrent qu’il est de leur devoir de promouvoir un programme actif pour la libération de l’humanité de toutes les formes d’oppression et d’injustice ». Le souci d’unité est évident lorsque, plus loin dans le texte il est dit que « les deux sont des aspects de l’œuvre de réconciliation du Christ. Néanmoins, il y a des dissensions qui appellent à plus de repentance et de réconciliation. L’accent mis sur le témoignage total devrait nous amener, en tant que peuple, à nous parler de manière compréhensible et à ne pas nous éviter ». (Neufeld, 353).

L’unité n’a pas perdu son caractère urgent, comme nous l’avons vu par exemple, à Limuru et notre incapacité à trouver un consensus sur la politique relative aux questions polémiques, qui a ensuite été retirée de tout examen ultérieur. Nous n’avons pas pu parvenir à un consensus sur la manière de débattre sur des questions qui ne font pas l’objet d’un consensus entre nous.

À la suite de l’Assemblée de Harrisburg (Pennsylvanie, États-Unis) en 2015, il a été demandé à la Commission Foi et Vie de proposer un nouveau nom. Ce changement est né du désir d’inclure plus visiblement ceux dont le nom ne comporte pas le mot « mennonite » et, d’autre part, de témoigner plus pleinement de la koinonia, la communion, que nous affirmons partager. Cet effort met lui aussi à l’épreuve notre capacité à vivre l’unité.

C’est précisément parce que notre unité au sein de la CMM témoigne de la koinonia et la met à l’épreuve que l’unité revêt une importance toujours plus grande. Cela se reflète dans notre déclaration de vision et mission, adoptée à Bulawayo en 2003 :

La Conférence Mennonite Mondiale est appelée à être une communion (Koinonia) d’églises anabaptistes liées les unes aux autres dans une communauté de foi à travers le monde pour vivre la communion fraternelle, le culte, le service, et le témoignage.

« La communion », « la communauté », « la fraternité » sont toutes des traductions du même terme du Nouveau Testament, « koinonia ». Et toutes ces expressions sont regroupées sous le terme d’« unité ».

3. Jésus prie pour que nous soyons « un »

Nous connaissons la grande prière de Jésus à la fin du dernier repas avec ses disciples. Elle est souvent appelée « prière sacerdotale ». Il s’agit essentiellement d’une prière pour l’unité.

 Comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu’ils parviennent à l’unité parfaite et qu’ainsi le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. (Jean 17/21-23)

Cela fait écho aux paroles de Jésus lors de sa conversation avec les disciples juste avant sa prière.

Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres. (Jean 13/34-35)

Chaque fois que je lis la prière de Jésus, je suis subjugué par la nature de « l’unité » dont il parle. « L’interpénétration », pour ainsi dire, qui caractérise la relation entre le Parent Divin et l’Enfant Divin, que nous nommons et célébrons dans la trinité en tant que Père, Fils et Esprit, est au cœur même de l’unité que nous devons partager. Jésus prie pour que nous – nous, en tant que famille d’Églises diverses de la CMM, et nous, avec les frères et sœurs des autres membres du corps mondial du Christ – soyons attirés par l’unité qui caractérise Dieu ; plus encore, pour que l’unité que nous avons les uns avec les autres soit du même type que l’unité du Dieu trinitaire.

Jésus voulait que nous entendions sa prière, afin que nous puissions connaître le véritable caractère de l’unité que nous sommes appelés à maintenir, où cette « unité » est ancrée, et plus précisément, d’où elle vient.

4. Où ancrer cette unité ? D’où surgit-elle ?

a. L’Unité vient de Dieu – Père, Fils et Esprit

Le fait que la prière de Jésus dans Jean 17 s’adresse à son Père montre clairement que l’unité est une réalité que Dieu accorde. Nous ne créons pas l’unité. Nous la recevons. Cela mérite d’être répété encore et encore : notre unité n’est pas notre accomplissement ; c’est un don que Dieu accorde en Christ par l’intermédiaire de l’Esprit. Jean 17 est souvent associé à Éphésiens 4/1-6. Le verset 3 parle de n’épargner aucun effort pour « maintenir » l’unité de l’Esprit par le lien de la paix (v. 3). Remarquez qu’il ne nous est pas demandé de créer l’unité ; il nous est demandé de maintenir ce que Dieu nous a donné dans le lien de la paix. Le terme « lien » est littéralement « co-chaîne ». La paix devient la chaîne qui nous lie les uns aux autres. C’est Dieu qui fournit la chaîne de la paix. Sept « uns » suivent, que nous pourrions considérer comme les maillons de la chaîne qui nous maintient ensemble :

Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous. (Éphésiens 4/4-6)

Cela signifie que si l’unité est un don de Dieu, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la « maintenir », la « garder », la nourrir, pour rendre cette unité réelle dans notre expérience, pour la laisser façonner nos relations les uns avec les autres. Nous la vivons en nous et nous vivons en elle.

Nous sommes certainement conscients que nous allons un peu à contre-courant des Anabaptistes en mettant l’accent sur l’unité. Après tout, la non-conformité est profondément ancrée dans notre ADN, même si elle n’est pas souvent vécue. L’importance que nous accordons au fait d’être différents du monde, et trop souvent les uns des autres, nous a prédisposés à considérer le schisme, la division, la prise de distance non seulement par rapport au monde mais aussi les uns par rapport aux autres, non pas comme un échec mais comme une preuve de notre fidélité. Nous soupçonnons alors que l’unité se fait trop facilement au détriment de la fidélité biblique, doctrinale et éthique, en occultant ou en banalisant ce qui constitue de graves questions de foi et de vie de disciple. S’il est vrai qu’il y a parfois de bonnes raisons pour une telle suspicion, il n’en reste pas moins que nous n’avons pas fait de la recherche urgente et ardente de l’unité un élément central de la vie de disciple. Nous courons le risque de tourner le dos à la prière de Jésus.

b. Notre unité est ancrée en Jésus

Je pense que nous serons tous d’accord pour dire que notre unité est ancrée en Jésus. Après tout, c’est Jésus que nous suivons ensemble, comme le dit notre slogan. C’est Jésus qui est le centre, comme nous l’a rappelé Palmer Becker. Je trouve donc très instructif de prêter attention à ceux que Jésus accueille dans l’unité dont il est le centre, à ceux qu’il invite à le suivre.

J’ai trouvé très éclairant, en lisant le Nouveau Testament, de prendre note des personnes que Jésus a invité dans sa koinonia de disciple. Rappelez-vous avec moi les types de personnes que Jésus a appelées dans son cercle :

  • des pêcheurs (pour la plupart des ouvriers analphabètes)
  • des collecteurs d’impôts (l’avidité ou le désespoir en ont fait des collaborateurs des seigneurs impériaux)
  • des « pécheurs » (parmi lesquels les prostituées)
  • des malades du corps et de l’esprit : lépreux, aveugles, possédés.
  • Judéens, Galiléens, Samaritains, Syriens, « Grecs » (groupes profondément méfiants et parfois se rejetant mutuellement)
  • Beaucoup de femmes, certaines pauvres et affligées, d’autres riches et bien connectées à la classe dirigeante.
  • Pharisiens (même s’ils sont timides, comme Nicodème) ; ils sont présents lorsque l’Église primitive se réunit en conférence à Jérusalem dans Actes 15, tout comme Paul, pharisien jusqu’à la fin de sa vie.
  • des révolutionnaires comme les fils du tonnerre, Jacques et Jean, ou, très probablement, Judas.

Après Pâques, ils se sont dispersés dans une grande partie de l’empire romain, rassemblant des congrégations composées de Juifs divers et de non-juifs encore plus divers. Corinthe en est un excellent exemple :

  • Juifs et païens qui ont du mal à vivre et à adorer ensemble
  • Riches et pauvres, qui ont du mal à manger ensemble
  • Des croyants expérimentés et des membres novices qui avaient besoin qu’on leur rappelle de ne pas porter plainte les uns contre les autres ou de ne pas coucher avec leur belle-mère.
  • Des « spirituels » autoproclamés regardant de haut ceux qu’ils méprisent comme étant « charnels ».
  • Et, en rapport avec notre thème de l’unité, des gens qui inventent une toute première forme de dénomination : « Chacun de vous dit : “J’appartiens à Paul”, ou “J’appartiens à Apollos”, ou “J’appartiens à Céphas”, ou “J’appartiens à Christ”. » (1 Cor 1/12)

S’agit-il de « l’unité de l’Esprit » ? Fait remarquable, Paul insiste sur ce point. Permettez-moi de paraphraser 1 Corinthiens 1/26-30 :

Regardez cette photo, frères et sœurs : peu d’entre vous étaient sages selon les critères humains [lit. selon la chair], peu d’entre vous étaient puissants. Il est clair que vous ne faites pas partie de l’élite. Mais Dieu a choisi ce qui est insensé, faible, bas et méprisé dans le monde, afin que nous soyons conscients que notre unité n’est pas notre accomplissement. Dieu est la source de votre vie commune dans le Christ Jésus !

c. Une unité très fouillis

Que s’est-il passé au sein de cette unité ? Se sont-ils battus les uns contre les autres ? Avaient-ils des « questions polémiques » qui menaçaient leur unité en Christ ? Oui !

  • Par exemple, les Galates se débattaient avec la pertinence de la circoncision et d’autres aspects de la loi, tout en se laissant porter par des arguments féroces de la part de leaders tels que Jacques, Pierre et Paul. Lisez la lettre de Paul aux Galates pour vous faire une idée de la gravité de la controverse.
  • La lettre de Jacques indique que la relation entre la foi et les œuvres était un sujet de polémique.
  • D’autres débats ont également eu lieu à propos de la résurrection et de l’eschatologie, et finalement sur ce qui devrait être inclus dans le canon de l’Écriture.

Aucune des questions qui nous préoccupent n’est plus importante ou plus compliquée que celles auxquelles ils étaient confrontés.

Tout cela, nous dit le Nouveau Testament, s’est passé dans l’unité créée par Dieu dans et par le Christ et l’Esprit. Nous pourrions même dire que ces événements ont pu se produire grâce à l’unité de l’Esprit.

Pourquoi les Évangiles, les Actes et Paul décrivent-ils constamment une unité aussi improbable ? Pourquoi nos Écritures exposent-elles les troubles internes de l’œuvre d’unité de Dieu ? Comme un avertissement ? Comme un modèle ? Je pense que c’est précisément pour que les communautés de croyants du monde méditerranéen puissent se reconnaître dans les Évangiles et les épîtres. Les lecteurs de Jérusalem à Rome se reconnaissaient dans les portraits des disciples de l’Évangile et dans les paroisses troublées auxquelles s’adressaient les lettres de Paul. C’est pourquoi ils se souvenaient des histoires de Pierre ou conservaient les lettres de Paul, souvent très embarrassantes. « C’est nous ! reconnaissaient-ils, ensemble dans l’unité de l’Esprit ! »

Je suis profondément reconnaissant que, parallèlement aux descriptions inspirantes de l’amour et de la réconciliation, le Nouveau Testament montre si clairement et si honnêtement à quel point l’unité de l’Esprit est brouillonne.

Tout cela ne veut pas dire que les conflits et les désaccords sont bons, ou que les actions et les opinions de chacun sont justes ou également acceptables. Bien au contraire. Les différences sérieuses sont importantes. Rappelez-vous la réplique de Jésus à Pierre : « Derrière moi, Satan ! » Ou pensez à la clarté parfois féroce des critiques de Paul à l’égard de ses collègues apôtres ou de ses églises bien-aimées. Cela signifie plutôt qu’il faut s’y attendre, étant donné l’hospitalité scandaleuse de la grâce de Dieu, à l’égard de ceux que Jésus appelle à le suivre. Chaînes et ceintures de sécurité sont de rigueur !

5. L’unité pour la transformation et la nouvelle création

C’est l’amour et la grâce du Dieu créateur qui sont à l’origine du rassemblement dans l’unité de l’Esprit d’une l’humanité diverse, imparfaite et brisée. Mais cette unité a un but. C’est l’unité pour la transformation ! Pour une nouvelle création ! L’Église ne peut pas être une communauté de type « chacun fait ce qu’il veut » sans saboter l’œuvre transformatrice et rénovatrice de l’Esprit. Pour les disciples de Jésus, l’unité est toujours centrée sur l’œuvre salvatrice et transformatrice de Dieu en Christ par l’Esprit. Oui, Dieu rassemble des humains séparés, imparfaits et pécheurs, mais c’est pour les intégrer au « corps du Christ », pour qu’ils soient créés à nouveau en tant qu’« humain nouveau », comme le dit Éphésiens 2/15. Et ce processus de nouvelle création n’est pas facile.

Nous le voyons dans le Sermon sur la Montagne, passage particulièrement apprécié des Anabaptistes. Le Sermon commence par les béatitudes, les bénédictions. Mais dès que Jésus a béni ses auditeurs, il surpasse la Torah dans les exigences qu’il impose à ses disciples. Pour paraphraser :

Ne croyez pas que je sois venu abolir la Torah ! Je suis venu l’accomplir ! Si votre droiture, votre justice, ne dépasse pas celle des experts en droiture que sont les pharisiens, vous ne verrez pas le Royaume de Dieu. (Mt 5/17-20)

La bénédiction, la béatitude et la grâce de Dieu ont pour but de transformer la vie (voir Ep 2/10).

Si la transformation est l’objectif, nous ne devons pas nous étonner que, dans le Sermon sur la montagne, nous rencontrions les troublantes « antithèses » – « On vous a dit, mais moi je vous dis… » dans lesquelles Jésus resserre les vis de la Torah en ce qui concerne la colère, la luxure, le divorce, la vérité, les représailles et l’amour des ennemis (Matthieu 5/21-48).

Le cercle d’unité de Jésus est à la fois merveilleusement accueillant pour chacun d’entre nous avec tous nos défauts, mais aussi profondément stimulant et transformateur. On se souvient à juste titre que Jésus mangeait et buvait scandaleusement avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs. Souvenez-vous de Zachée dans Luc 19. Jésus s’invite chez lui pour manger avec lui. Zachée semble avoir compris que les choses risquent de changer radicalement lorsqu’on mange avec Jésus. Il ne réagit pas en disant : « Woua ! Tu manges avec un collecteur d’impôts détesté comme moi ! Je vais aller préparer un festin ! ». Au contraire :

« Eh bien ! Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple. » Alors Jésus dit à son propos : « Aujourd’hui, le salut est venu pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19/8-10)

Nous disons la prière que Jésus nous a enseignée et que nous retrouvons également dans le Sermon sur la montagne (6/9-14). Mais remarquons-nous que nous demandons à Dieu de nous pardonner comme nous avons pardonné à ceux qui nous ont fait du mal, c’est-à-dire que nous demandons à Dieu de respecter nos critères de grâce ?

Et puis, dans la dernière partie du Sermon sur la montagne, nous trouvons l’une des exigences les plus difficiles que Jésus impose à ses disciples, mais qui est absolument essentielle pour que cette étrange unité soit maintenue et nourrie : « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés ! Ou, comme le dit Paul, « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a accueillis ». (Romains 15/7).

C’est un défi pour nous, Anabaptistes, en particulier. Nous nous efforçons de penser et d’agir en accord avec ce que nous pensons être agréable à Dieu, avec ce à quoi ressemble le fait de suivre Jésus – comme nous le devrions. Nous savons comment le Christ a accueilli chacun de nous, et nous ensemble en tant que communion, dans sa sphère d’unité, et combien cela lui a coûté ! Et nous devons apprendre de lui comment devenir accueillants les uns envers les autres.

Cela me rappelle la lettre de Paul aux Philippiens. Le chapitre 2 commence ainsi « S’il y a une koinonia de l’Esprit, alors pensez comme le Christ. Bien qu’ayant la forme de Dieu, il s’est dépouillé lui-même en prenant la forme d’un esclave, jusqu’à la croix ». Il l’a fait pour vous, dit Paul. Alors, prenez votre propre croix, l’un pour l’autre ! Le Christ nous a accueillis dans son unité transformatrice afin que nous puissions nous accueillir les uns les autres au sein de la nouvelle création, de la transformation parfois douloureuse mais qui donne la vie.

C’est l’état d’esprit qui seul peut soutenir et maintenir l’unité de l’Esprit, une unité marquée par la grâce, la miséricorde, la compréhension et le pardon. C’est l’état d’esprit de ceux qui, ensemble, accomplissent le dur travail de transformation. C’est ainsi que « l’humain nouveau » peut naître dans le sein gracieux du Christ. « Vivre l’unité » exige les disciplines de l’unité : la patience, l’indulgence, le pardon, le respect mutuel.

Il n’y a aucune raison de se méfier de l’unité si elle est vraiment l’unité scandaleusement hospitalière et exigeante de l’Esprit, une avec et dans le Christ.

6. Paraklēsis, catéchèse, discipulat – Se former à l’unité

    a. Paraklēsis

    Je voudrais revenir brièvement à Philippiens 2. Juste avant l’expression « koinonia de l’Esprit », nous lisons « s’il y a une paraklēsis dans le Christ ». Les traductions de paraklēsis varient considérablement, ce qui illustre l’étendue de son sens : « S’il y a –

    • un encouragement en Christ »
    • quelque chose dans le Christ qui vous touche »
    • quelque chose qui fait vibrer le cœur »
    • quelque chose qui vous rend fort »
    • quelque chose qui vous réconforte »

    Le contexte montre clairement à quel point la paraklēsis est étroitement liée à l’unité en Christ, et donc essentielle à ce qu’il faut pour la maintenir et l’entretenir. Permettez-moi de m’attarder brièvement sur ce terme.

    Les noms paraklēsis, paraklētos et le verbe parakaleō sont courants dans le Nouveau Testament. Paul utilise généralement le verbe parakaleō lorsqu’il commence son exhortation, diversement traduit par « exhorter », « encourager », voire « supplier ». Le nom paraklēsis est particulièrement important dans l’Évangile de Jean. Nous avons probablement déjà entendu le terme « paraclet » pour désigner le Saint-Esprit. Mais écoutez attentivement Jean 14/16 : « Je demanderai au Père et il vous enverra un autre paraklētos. » En somme, Jésus se présente comme un paraklētos. Souvent traduit par « consolateur », il est parfois traduit par « avocat ». Pensez au paraklētos comme à un avocat de la défense, comme dans 1 Jean 2/1, où Jésus est notre avocat devant le Père lorsque nous péchons. En bref, cette famille de mots veut dire offrir du réconfort, de la consolation, de l’encouragement, et non moins important ; avertir, plaider, voire supplier avec persévérance.

    Le Nouveau Testament indique clairement que non seulement Jésus et l’Esprit sont des « paraclétistes », mais qu’il nous est également demandé d’être des paraclétistes les uns pour les autres. En voici deux exemples :

    • Dans 1 Thessaloniciens 4/18, Paul exhorte les Thessaloniciens à « s’encourager, se rassurer, se réconforter les uns les autres », selon la traduction. Nous pourrions ajouter « exhorter » à la liste.
    • Hébreux 3 établit clairement le lien entre le Christ et nous : « Encouragez-vous (parakaleō ; encourager, avertir ou exhorter) les uns les autres, jour après jour, tant que dure la proclamation de l’aujourd’hui, afin qu’aucun d’entre vous ne s’endurcisse, trompé par le péché. 14Nous voici devenus, en effet, les compagnons du Christ, pourvu que nous tenions fermement jusqu’à la fin notre position initiale » (Héb. 3/13-14)

    En bref, en tant que compagnons du Christ, nous nous devons mutuellement la paraklēsis.

    b. Catéchèse ou discipulat

    « Vivre l’unité » s’avère très exigeant pour nous. J’ai l’impression que nous avons besoin de beaucoup d’entraînement pour devenir de véritables paraclètes les uns pour les autres et pour accepter la paraklesis des uns et des autres. En tant que compagnons du Christ, nous devrons « apprendre le Christ, la vérité qui est en Jésus », comme le dit si bien l’épître aux Éphésiens (Éphésiens 4:20), pour « avoir l’esprit du Christ » (Philippiens 2:5). Le terme « apprendre » dans « apprendre le Christ » est la forme verbale du mot « disciple ». Être un disciple, c’est être un apprenant, un étudiant, une personne en cours de formation. C’est ce que ce terme signifie avant tout. Nous avons besoin d’être formés dans le dur labeur de l’unité.

    L’humilité, l’estime réciproque, l’écoute sans résistance de ceux dont les opinions et les convictions nous dérangent, voire nous répugnent, demandent de l’entraînement, de la pratique (voir 1 Corinthiens 13/4-8 ; Éphésiens 4/2, 3 ; Colossiens 3/12-15 ; Philippiens 2/1-11). C’est pourquoi il faut l’exhorter clairement et souvent. Apprendre à dire la vérité, même la dure vérité dans l’amour (!) demande une instruction et une pratique patientes. « Apprendre le Christ », développer « l’esprit du Christ », être transformé par le renouvellement de notre esprit, comme le dit Paul dans Romains 12/2, comprendre et mettre en pratique la vérité qui est en Jésus – tout cela demande de la pratique, de la formation, de l’éducation, en fait de la catéchèse, ce mot ancien de l’Église pour l’éducation à la foi.

    Je trouve dans Isaïe 50 une description parfaite du paraclet :

    Le Seigneur DIEU m’a donné
    une langue de disciple :
    pour que je sache soulager l’affaibli,
    il fait surgir une parole.
    Matin après matin,
    il me fait dresser l’oreille,
    pour que j’écoute, comme les disciples.
    5Le Seigneur DIEU m’a ouvert l’oreille.
    Et moi, je ne me suis pas cabré,
    je ne me suis pas rejeté en arrière.

    Écouter sans résister, mais aussi avoir une parole qui soutient ceux qui sont fatigués, ceux qui errent et ceux qui échouent, voilà ce que signifie être des paraclètes les uns pour les autres.

    Pensons-nous que nos églises sont des ateliers de formation, des ateliers de discipulat, pour apprendre et pratiquer l’unité en constante transformation que nous avons en Christ ? Pour la « vivre » ? Pensons-nous à la CMM comme à une école de disciples, « apprenant le Christ » ensemble, apprenant à « vivre l’unité », précisément dans la façon dont nous gérons nos différences dans l’unité de l’Esprit ? Nous devons savoir que nous ne serons jamais diplômés de cette école. L’Esprit y veillera. Mais l’Esprit nous aide aussi à faire nos devoirs.

    7. Afin que le monde croie

    Je voudrais conclure par le texte par lequel j’ai commencé, la prière de Jésus dans Jean 17 : « que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17/21, 23)

    Savoir quoi ? Croire quoi ? Qu’est-ce que Jésus souhaite communiquer en vivant l’unité ? Que l’unité vaut mieux que la division, les clivages et l’hostilité pure et simple ? Que nous sommes une tradition pacifique ? C’est une bonne chose. Mais la bonne nouvelle que nous devons proclamer avec notre unité dans le Christ est que lui, Jésus, a été envoyé par le Père, pour utiliser son langage, parce que Dieu a aimé le monde, en entier et tous ses habitants.

    Notre unité, notre façon de la vivre, c’est l’évangélisation, la bonne nouvelle proclamée par notre vie commune dans l’unité. Exprimer publiquement les intentions de Dieu de sauver le monde exige de nous toute la sagesse, la patience, la créativité et l’imagination courageuse dont nous sommes capables. Il n’y a pas d’appel plus élevé. Mais nous n’y parviendrons que si nous marchons ensemble dans l’amour en tant que corps du Christ, liés les uns aux autres par celui qui est « notre paix ». Notre monde, déchiré par la violence, les conflits, la polarisation et la peur de l’avenir, a désespérément besoin d’entendre et de voir un évangile qui porte la promesse de la guérison, de la réconciliation, du salut et de la transformation.

    Je terminerai par une doxologie :

    A celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire dans l’Église et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen (Éphésiens 3/20, 21)


    III. Construire la Paix– « Je vous donne ma paix, pas celle du monde »

    1. Il y a paix et paix

    Aujourd’hui, nous nous penchons sur le dernier des trois éléments du slogan. J’ai lu les comptes-rendus des discussions qui ont eu lieu lors du processus de création du slogan, et il est clair que la paix était centrale dans l’idée que chaque groupe de discussion se faisait de la CMM et de sa mission. La paix est ce à quoi nous aspirons et ce pour quoi nous voulons être connus. Et nous le sommes. Je remercie la CMM pour cette partie de son héritage.

    Pendant une grande partie de notre histoire, notre paix publique, ce que nous appelions « notre position de paix », consistait principalement à refuser de prendre les armes – la non-résistance ou l’absence de défense (Wehrlosigkeit), et pas vraiment à construire la paix positive. Néanmoins, si nous regardons attentivement, le fruit de l’évangile de la paix ou de ce que nous pourrions appeler le « discipulat de paix » va plus loin que la non-résistance. Nous le voyons dans nos valeurs profondément enracinées : l’humilité (même si nous sommes souvent fiers de notre humilité), dire la vérité, la déférence envers les autres et la simplicité (certaines de ces valeurs ont besoin d’être redécouvertes, je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point). Mais pour l’essentiel, ce qui distinguait notre tradition d’Église historique de paix était le refus de porter les armes.

    Pour être complétement honnête, même cette valeur-là, a été mise à la marge dans nos entreprises missionnaires. Les raisons en sont diverses. Ce travail se faisait souvent dans des contextes où l’objection de conscience n’était pas légalement possible, comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Deuxièmement, le refus de porter les armes avait été abandonné dans une grande partie du monde mennonite, en particulier en Europe. Même là où il était pratiqué, il n’était pas toujours considéré comme essentiel à l’évangile que nous proclamions dans nos efforts missionnaires. C’était plutôt considéré comme une tradition distinctive, comme une caractéristique ethnique, importante mais pas essentielle à l’évangile. La « paix » faisait plus probablement référence à la « paix avec Dieu ».

    Il est clair que dans de nombreuses parties de notre famille mennonite, les choses ont radicalement changé au cours du siècle dernier. Alors que nous avions l’habitude de rester à l’écart de la société, nous en sommes venus à considérer que la paix exige un engagement actif, parfois radical, dans la société. La « paix » est devenue un élément central de l’identité anabaptiste, mais maintenant en tant que consolidateurs de paix ou, comme dans notre slogan, en tant que constructeurs de paix. Dans de nombreuses parties de notre communion, la non-résistance a cédé la place à la résistance non-violente à l’injustice.

    2. La CMM et la paix

    J’ai beaucoup apprécié la lecture de l’histoire de la CMM par John Lapp et Ed van Straten, Conférence Mennonite Mondiale 1925-2000 : d’une conférence euro-américaine à une communion mondiale, ainsi que l’ouvrage d’Alfred Neufeld intitulé Devenir une communion mondiale, publié peu avant son décès prématuré.

    La toute première réunion de la CMM, en 1925 cherchait à rassembler les Mennonites éloignés les uns des autres à cause de la guerre et de toutes les cicatrices qu’elle a laissées sur les Mennonites des camps opposés, mais aussi à cause des méfiances relatives à la théologie, la piété et l’éthique des uns et des autres. Au départ, la paix semble avoir été principalement axée sur les relations inter-mennonites et sur l’aide aux personnes dans le besoin.

    La deuxième rencontre, en 1930 à Dantzig, fut appelée « Conférence mondiale d’aide ». Immédiatement après la réunion d’Amsterdam/Elspeet en 1936, les comités de paix mennonites d’Europe et d’Amérique du Nord créèrent le Comité Mennonite International de Paix pour apporter leur soutien aux Mennonites qui souffraient les conséquences de leur refus de faire leur service militaire.

    Après les ravages de la Seconde Guerre mondiale, des tensions sont apparues. La communauté de la CMM était en train de passer de la paix en tant que non-résistance et aide à la paix en tant que lutte active contre la violence et l’injustice dans le monde. L’Assemblée réunie de Curitiba en 1972 fait remonter ces tensions à la surface, comme je l’ai indiqué hier, mettant à rude épreuve les efforts d’unité. La réaction à la dictature militaire au Brésil, et même la question de savoir s’il faut réagir sont des questionnements brulants. Les Néerlandais se souviennent de la précédente Assemblée aux Pays-Bas et du défi lancé par Vincent Harding, Mennonite afro-américain et proche collaborateur de Martin Luther King.

    « Nous savons une chose : les mendiants révolutionnaires n’attendront plus. Le Christ a promis d’être avec tous les mendiants et ses promesses sont sûres… Sortez, saints, et soyez nombreux ! ».

    À la consternation des mennonites brésiliens, les Hollandais, en réponse à la dictature militaire brésilienne, décident de ne pas assister à l’Assemblée de Curitiba, bien qu’ils envoient une petite délégation pour montrer leurs liens avec le corps mondial. En outre, quelques jeunes latino-américains distribuent une déclaration aux participants à l’Assemblée, appelant à une « nouvelle infusion de l’Esprit Saint qui nous montrera que se taire devant ces injustices signifie les accepter » et appelant à la récupération de « la conscience anabaptiste du peuple de Dieu en tant que communauté rédemptrice ». « Rédemptrice » signifiait dans ce cas s’engager pour un changement social et politique. Il est clair qu’ils sont alors plus en phase avec l’évêque brésilien Dom Elder Camara qu’avec leurs confrères mennonites. Ceux-ci, à leur tour, insistent sur la priorité d’une réconciliation avec Dieu et sur l’importance de ne pas perdre de vue la tâche centrale de l’Église qu’est l’évangélisation.

    Le thème de l’assemblée de Curitiba est « Jésus-Christ réconcilie ». Comme l’indique le résumé d’Alfred Neufeld, on y a moins parlé de paix que de réconciliation. Et l’ordre du jour le plus immédiat est la réconciliation entre ces points de vue passionnés. La « paix » est manifestement une « question polémique ».

    Alors que l’on passe de la non-résistance à faire activement la paix, la célèbre lettre de Jérémie aux exilés juifs de Babylone prend de plus en plus d’importance. Il les appelle à « rechercher la paix – le shalom – de la ville » (Jérémie 29/7). C’est devenu une sorte de cri de ralliement en faveur d’une recherche de paix active pour le bien du monde, rien de moins qu’une position missionnaire à l’égard de la paix. Le refus de porter les armes a cédé la place à une recherche active de la paix, puis à la construction de la paix. Il n’est pas exagéré de dire que la non-résistance a fait place à la résistance. La « paix » et la « justice » s’embrassent, comme le dit le Psaume 85/10, souvent cité.

    La « justice » est comprise, bien sûr, non pas comme une justice rétributive mais comme une justice réparatrice, s’attaquant activement à la violence et à l’oppression, y compris dans ses dimensions systémiques et structurelles, tant du domaine privé que du domaine public. Nous nous souvenons de l’engagement décisif de Fernando Enns en tant que représentant mennonite à l’Assemblée de Harare (Zimbabwe) du Conseil œcuménique des Églises en 1998, qui a amené le COE à s’engager dans la « Décennie pour vaincre la violence ». Le vocabulaire de la « paix juste » ou de la « paix et justice » convient parfaitement pour décrire ce changement.

    Rester cachés pour s’éviter des ennuis n’est plus à l’ordre du jour, au contraire, on recherche les ennuis. À l’instigation de Ron Sider, dans son célèbre discours prononcé en 1984 lors de l’Assemblée de Strasbourg, les Mennonites se « mettent en travers » des hostilités et se montrent solidaires des victimes, notamment par le biais des Christian Peacemaker Teams (aujourd’hui Community Peacemaker Teams).

    On peut aussi penser aux efforts pionniers des Mennonites en matière de justice réparatrice, de médiation, de résolution alternative des conflits et de réforme des prisons. Dans la partie nordaméricaine de la famille l’engagement pour la paix s’est progressivement porté sur les abus sexuels, les relations entre autochtones et colons, l’héritage du colonialisme, les guerres à Gaza et en Ukraine, et de plus en plus sur la crise environnementale. La plupart des collèges, universités et séminaires mennonites offrent des cursus d’études de la paix et nous organisons des séminaires et des ateliers dans de nombreuses régions du monde, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église.

    En bref, nous sommes devenus très efficaces dans la « recherche de la paix dans la cité ». Alors que la non-résistance s’accorde bien avec la séparation du monde, l’accent que nous mettons actuellement sur la compréhension de la paix en tant qu’engagement actif, voire agressif, est très « dans le monde » et « pour le monde ».

    Cela a eu un impact sur ce que nous entendons par « anabaptisme ». Pour certains, c’est associé à une position et une orientation de paix active, souvent opposée à un agenda évangélique ou évangéliste, et trop souvent sans réelle participation dans l’Église. Les préoccupations de Curitiba en 1972 sont toujours d’actualité un demi-siècle plus tard. Il n’est pas surprenant que beaucoup veuillent de plus en plus s’éloigner de l’idée de placer la paix au centre de la vocation de l’Église, en particulier lorsque celle-ci est comprise en termes sociaux, systémiques ou politiques, ce qui laisse l’Église elle-même en dehors du cadre de l’établissement de la paix. Plus précisément, à leurs yeux, la « paix » est liée aux dimensions spirituelles ou relationnelles, qu’ils estiment être mises à l’écart dans l’attention portée à la paix. J’entends la complainte de Jésus : « Si vous saviez ce qui fait la paix ! ».

    Qu’annonçons-nous avec ce troisième élément de notre slogan – « construire la paix » ? Ou à quoi aspirons-nous ? Est-ce qu’une interprétation du sens de la « paix » est plus anabaptiste que l’autre ? L’une ou l’autre est-elle plus fidèle aux Écritures ?

    3. La Bible et la paix

    Pour les Anabaptistes, la Bible est fondamentale. Sans elle, il ne nous reste plus qu’à faire appel à notre tradition anabaptiste. Mais en ce qui concerne la « paix », l’importance actuel n’existe pas depuis longtemps, alors jusqu’où devons-nous remonter dans la tradition pour trouver un fondement ?

    La Bible est un don de Dieu, une archive de conversations sur et avec Dieu, un espace partagé où nous entendons Dieu nous parler et où nous nous écoutons les uns les autres. Explorons donc ensemble le contenu que la Bible nous offre sur cet élément du slogan.

    a. Une paix globale

    Dans la Bible hébraïque ou l’Ancien Testament, le terme traduit par « paix » est « shalom ». Mais shalom ne veut pas seulement dire paix, mais aussi santé, bien-être, sécurité, absence d’ennemis et d’oppression, bonnes récoltes, rendre justice en vérité, attention portée aux plus vulnérables, ainsi qu’état d’harmonie, d’équilibre. Plus important encore, le shalom englobe les nombreux aspects de notre relation avec le Créateur, le rédempteur, le guérisseur et le juge – le Dieu du shalom.

    Pour la CMM, l’importance de cette notion réside dans le fait que le shalom touche à toutes nos préoccupations – de l’évangélisation, l’implantation d’églises et la théologie, à la solidarité avec ceux qui souffrent, à la construction de la paix et de la justice, et à nos préoccupations concernant l’environnement. Chacune de nos Commissions et leurs réseaux associés, ainsi que le groupe de travail sur la protection de la création, s’inscrivent dans cette conception d’une paix holistique. Nous sommes tous une commission de la paix, pour ainsi dire.

    Lorsque les Juifs ont traduit les Écritures hébraïques en grec dans les décennies qui ont précédé Jésus, le grec était la langue la plus courante à l’époque. Ils ont traduit shalom par eirene – d’où vient le nom Irène. Ce faisant, ils ont emporté avec eux le poids du sens du shalom hébreu qu’ils connaissaient par les Écritures, transposé dans un monde romain où l’eirene était déjà largement répandu, avec des connotations de tranquillité et de calme, ou de pacification par la force militaire. Pour l’empire romain, ces deux notions étaient liées. La croix romaine était conçue comme un moyen de pacification, de suppression de la révolte et de la résistance, de création du calme qu’ils appelaient fièrement la « pax Romana », la paix romaine. Il s’agit là d’une énorme collision dans la compréhension du terme paix.

    Nous devrions y être attentifs lorsque nous lisons le Nouveau Testament. Les disciples juifs de Jésus étaient parfaitement conscients des différentes notions de la paix. Ainsi, lorsqu’ils désignaient le Christ comme « notre paix » (Éphésiens 2/14), qui a fait la paix en « tuant l’hostilité par la croix » (2/16), ils savaient qu’il s’agissait d’une provocation envers l’empire romain. Et lorsqu’ils ont décrit Jésus comme un évangéliste de la paix (2/17), rassemblant Juifs et non-juifs, hommes et femmes, esclaves et libres, c’était une provocation envers eux-mêmes et envers leur identité clairement définie. Ou lorsqu’ils ont représenté Jésus en train de guérir, d’exorciser, de nourrir les affamés et d’inviter les affamés spirituels à s’adresser à Dieu comme à leur propre Abba, ils ont vu le Dieu du shalom à l’œuvre, instaurant le règne de la paix, le royaume de Dieu.

    Le terme « paix » n’a rien d’explicite. Les significations peuvent se chevaucher, mais elles ne sont pas les mêmes. Lorsque nous utilisons le slogan « construire la paix », ne nous contentons pas de l’usage courant de ce terme, mais remplissons-le avec le trésor riche et varié que la Bible nous offre.

    b. La paix est un don de Dieu

    Le deuxième point que je souhaite souligner est que la paix est un don de Dieu. C’est Dieu qui est à l’origine du shalom. Ce n’est pas tant nous qui faisons la paix avec Dieu que Dieu qui fait la paix avec nous. Si nous retrouvons cette idée dans les psaumes et les prophètes, c’est dans la vie, l’enseignement, la mort et la résurrection de Jésus que l’aspect de Dieu en tant qu’initiateur de la paix trouve son expression la plus complète. Permettez-moi d’évoquer brièvement trois grands textes sur la paix qui montrent que Dieu est l’initiateur principal de la paix.

    Romains 5

    Vs 1 : Ainsi donc, justifiés (rendus justes/droits) par la [fidélité de Dieu] foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ.

    Vs 6 : Quand nous étions encore sans force, Christ, au temps fixé, est mort pour des impies.

    Vs 8 : Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs

    Vs 10 : quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils.

    Jean 14/27

    Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.

    Paul, encore, dans Éphésiens 2 que nous connaissons bien, où Christ est « notre paix », détruit le mur de séparation, à partir du Juif et du païen, créé en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconciliant avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine (2/14-16). Mais le chapitre commence par un remarquable « nous tous » – vous et nous, vous les païens impies et nous les juifs croyants de toujours – nous sommes tous des morts-vivants, des zombies, respirant l’air toxique qui nous éloigne les uns des autres et de Dieu. Cette étonnante image environnementale d’aliénation et de mort anticipe sinistrement notre époque, n’est-ce pas ?

    “Mais Dieu, verset 4, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous a donné la vie – vous et moi– il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Jésus Christ il a voulu montrer dans les siècles à venir l’incomparable richesse de sa grâce. »

    En bref, Dieu est en mission de paix dans le Christ. La réconciliation entre nous et ceux dont nous avons été séparés est la démonstration de la grâce de Dieu. Le Messie, qui est « notre paix », est Dieu, l’artisan et le bâtisseur de la paix, à l’œuvre. « C’est par la grâce que vous avez été sauvés ! » En effet.

    c. Cherchez la paix et poursuivez-la !

    Nous ne sommes pas sauvés parce que nous faisons la paix, ou parce que nous construisons la paix, mais pour que nous construisions la paix, la bonne œuvre que Dieu a voulu pour nous, les humains, depuis avant la création (Éphésiens 2/10). Nous, auxquels le Dieu de paix fait grâce, nous sommes invités à nous joindre au Créateur pour faire et construire la paix. Cela me rappelle la phrase de 1 Jean 4/19 : « Nous aimons, parce qu’il nous a aimés le premier ». Nous pourrions la reformuler : « Nous faisons la paix parce que Dieu a d’abord fait la paix avec nous ». Comme Éphésiens 5/1 le dit de manière inoubliable : « Imitez Dieu ! Et aimez comme Jésus ! »

    Les auteurs du Nouveau Testament aimaient la phrase du Psaume 34/14 : « Cherchez la paix et poursuivez-la ». 1 Pierre 3/11 la cite textuellement, et Hébreux 12/14 en partie. Romains 12 est une adaptation assez remarquable. C’est là que le discours de Paul ressemble beaucoup au Sermon sur la montagne en ce qui concerne ce qu’on appelait parmi nous la non-résistance :

    Ne vous vengez pas vous-mêmes, laissez agir la colère de Dieu. Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire. S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. (Quelques fragments de Romains 12/14-21)

    « S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous… » cela semble plutôt réaliste, non ? C’est possible. Mais ce n’est certainement pas du fatalisme face au mal. Il faut le lire, à mon avis, comme une invitation pressante à chercher ce que nous pouvons faire face au mal et à l’hostilité. Après tout, nous sommes appelés à « vaincre », comme le dit le verset 21, à être victorieux du mal non pas en ripostant mais en faisant le bien, et cela inclut certainement toute la vigilance nécessaire pour saisir les occasions et toute l’énergie que nous pouvons rassembler pour faire la paix.

    Romains 12/13 est souvent traduit de manière assez fade par « offrir l’hospitalité ». Une traduction littérale est beaucoup plus proche de l’esprit du verset 21 : poursuivez les étrangers avec amour ; bénissez ceux qui vous poursuivent ! « Poursuivre » et « persécuter » sont exactement le même mot en grec : diōkō. Nous devons « poursuivre » non seulement les étrangers avec amour, pour traduire littéralement, mais aussi bénir ceux qui nous persécutent ou nous poursuivent. Paul parle ici d’efforts persistants, obstinés et incessants en faveur de la paix. Peut-être que « construire la paix » devrait être remplacé par « poursuivre la paix ». C’est ainsi que sont ceux, dit Paul, qui ont été poursuivis par Dieu pour faire la paix.

    Romains 14/9 associe « poursuivre la paix » à « s’édifier les uns les autres », ce qui est la façon dont Paul aime se référer à nos interactions les uns avec les autres dans le corps du Christ.

    d. L’Église, le projet de construction de paix de Dieu

    Permettez-moi d’utiliser ce verset pour mettre l’accent sur l’Église et sur nos relations mutuelles au sein du corps du Christ.

    Une grande partie de notre spiritualité et de notre évangélisation est axée sur la personne, sur l’individu. Ai-je la paix avec Dieu ? Suis-je justifié ? Suis-je sauvé ? L’accent mis par les Anabaptistes sur le choix et la décision personnels pourrait bien contribuer à cette orientation. Je ne veux pas en minimiser l’importance. Notre relation avec Dieu est intensément personnelle. Mais cela ne s’arrête pas là. Les Écritures placent la construction de la paix par Dieu dans un cadre beaucoup plus large. La mention répétée des païens et des juifs dans l’épître aux Éphésiens, par exemple, est une manière de parler de l’humanité dans son ensemble, déchirée par les divisions et les hostilités. Le Christ est « notre » paix, pas seulement « ma » paix. Ce « notre » inclut ceux dont je me suis éloigné. En tant que bâtisseur de paix, Dieu rassemble « toutes choses » dans et par le Christ (1/10), ce qui inclut toutes les personnes et, en effet, « toutes les choses » de toute la création.

    Qu’est-ce que Dieu « construit » avec cet effort de paix ? Dieu reconstruit l’humanité, élargit la famille de Dieu, étend les frontières du peuple de Dieu. La construction de la paix par Dieu vise à créer une unité, une unité composée d’une humanité autrefois séparée et hostile, brisée et pécheresse. Dieu façonne une maison – la maison de la paix. Nous appelons cela « l’Église », dont la racine signifie « qui appartient au Seigneur ». « L’Église n’est rien d’autre que le projet de construction de paix du « Seigneur de la paix » (2 Th 3/16). Sommes-nous capables, ne serait-ce qu’un instant, de regarder au-delà des structures et des institutions nécessaires, des responsabilités épuisantes, des défis exténuants et des déceptions fréquentes que nous vivons si souvent en tant « qu’ouvriers d’église », pour voir Dieu qui donne la paix construire une maison, l’électrifier avec l’Esprit, la pierre d’angle faite de Jésus-Christ lui-même ?

    La construction de la paix en relation avec l’Église, y compris notre vie dans l’unité, n’est pas une distraction par rapport à notre véritable témoignage de paix. Être une « église de paix » ce n’est pas seulement être tourné vers l’extérieur, vers le monde. Le travail que nous accomplissons au sein de la CMM est essentiellement une participation à la construction de la paix par Dieu. Notre engagement à vivre l’unité au sein de la CMM n’est rien d’autre que la construction de la maison de Dieu, et plus encore, l’annonce de la bonne nouvelle de la paix au monde – « afin que le monde le sache » (Jean 17). En bref, l’Église est au centre de la construction de la paix par Dieu.

    4. Une fausse dichotomie

    Je propose que nous prenions le témoignage de la Bible comme une invitation urgente à ne pas perpétuer, mais plutôt à surmonter une division qui nous a troublés pendant une grande partie de l’histoire de la CMM – entre la construction de la paix d’une part, et l’Église et sa mission de proclamer l’Évangile, de baptiser et de faire des disciples, d’autre part. Oui, bien sûr, les membres du corps sont différents les uns des autres et ont des tâches différentes. C’est essentiel pour un corps (1 Corinthiens 12). Certains se sentiront plus enthousiastes et mieux équipés pour certaines parties du programme de construction de la paix de l’Église que pour d’autres. Il se peut que l’Esprit ait accordé des dons différents. La division du travail est à la fois possible et nécessaire. Mais nous sommes un seul corps, engagé en fin de compte dans le même projet de paix. À mon avis, les deux extrémités de l’éventail s’appauvrissent l’une l’autre. Toutes deux souffrent d’un manque de shalom, d’un manque de plénitude intrinsèque à la paix biblique.

    Tout comme les organisateurs de l’Assemblée réunie de la CMM à Curitiba en 1972, j’aspire à la réconciliation. C’est plus qu’une coexistence et une volonté de s’entendre. Cela signifie être suffisamment proche pour déteindre l’un sur l’autre, pour s’édifier mutuellement avec « la vérité qui est en Jésus » (Eph 4/21), pour façonner l’imaginaire de l’un et de l’autre. Cela signifie que nous interagissons avec l’autre de manière critique et que nous acceptons cette critique comme une grâce salvatrice.

    À mon avis, nous avons besoin les uns des autres, et nous en aurons de plus en plus besoin. Nous avons besoin de l’unité de ceux qui tirent sur les deux bouts de la chaîne de la paix. Il est probable que nous soyons confrontés à des obstacles si grands que nous serons tous concernés.

    Dans certains endroits de notre communion, c’est actuellement la sexualité qui déchire le tissu de l’unité. Mais la crise climatique croissante nous mettra à l’épreuve tout autant, voire plus. Il faudra que tout le monde soit sur le pont.

    Une grande partie de notre construction de la paix a été fondée, du moins dans le Nord, sur un moment où notre sagesse en tant que bâtisseurs de paix était appréciée, voire saluée, lorsque nous avions l’optimisme partagé que les choses pouvaient changer. Mais tout indique que la situation n’est plus la même, avec la montée de la peur, de la suspicion et même de la haine dans la sphère publique.

    Il convient de réfléchir au fait qu’une grande partie de la théologie de la paix – ou des théologies – de la Bible a été forgée sous la chape de plomb de l’empire, la brutalité de la persécution, la vulnérabilité de la vie humaine face à la maladie et à la famine. Les appels bibliques à la recherche de la paix, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, ont été lancés dans des contextes de conflit, de désorientation, de déplacement, d’exil et d’oppression impériale. C’était tout aussi vrai pour les premiers Anabaptistes.

    Il est important que nous ayons pu faire un si bon usage de ce moment inhabituel de l’histoire de l’humanité, du moins dans le Nord global. Mais serons-nous capables d’exprimer l’évangile de la paix lorsque les dirigeants de nos pays attisent la violence, la haine et la peur, lorsque les structures de la démocratie semblent de plus en plus chancelantes, lorsque la guerre est un instrument de pouvoir de plus en plus attrayant, lorsque l’avenir s’annonce sombre et impitoyable en ce qui concerne la dévastation de l’environnement ? Nous aurons besoin de tous, les analystes, les diplomates, les scientifiques de l’environnement, les praticiens de l’environnement, autant que nous aurons besoin de pasteurs, de prophètes, de paraclettistes et d’évangélistes dont la vision de l’Évangile contiendra une parole qui nous soutiendra lorsque l’espoir est mis à mal, lorsque l’avenir est sombre, et qui nous empêchera de chercher le salut là où la création que Dieu aime est niée.

    C’est dans des moments comme celui-ci que toute théologie de la paix digne de ce nom est mise à l’épreuve. Elle ne survivra à cette épreuve que dans la mesure où elle est ancrée au cœur d’un évangile très ferme et robuste. L’appel à la construction de la paix dans la Bible est donc nécessairement lié à la souffrance et à l’espoir, à la volonté de « prendre sa croix ». Il se peut même que nous devions réfléchir et redécouvrir l’ancienne sagesse de la non-résistance comme le dur labeur d’une persistance patiente et obstinée dans l’espoir. J’ai le sentiment que ceux du Nord devront s’asseoir aux pieds des sœurs et des frères du Sud. Remercions Dieu pour cette famille de la CMM et pour la profondeur de l’expérience et de la sagesse qu’elle renferme.

    Je me rappelle à nouveau, en conclusion, de Romains 5 :

    Ainsi donc, justifiés par la foi (ou rendus capables de faire la justice par la fidélité de Dieu), nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ ; par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous mettons notre fierté dans l’espérance de la gloire de Dieu. Bien plus, nous mettons notre fierté dans nos détresses mêmes, sachant que la détresse produit la persévérance, la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance ; et l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.

    Avec ce texte, nous sommes à la source même de ce dont nous avons besoin pour soutenir la construction de la paix : la paix, la grâce, l’espérance, la souffrance liée à l’endurance, le caractère et l’amour de Dieu pour la construction de la paix, déversé au cœur de notre être par l’Esprit. Justement pour des moments comme celui-ci.

    Je conclurai par une bénédiction tirée de 2 Thessaloniciens 3/16 :

    Que le Seigneur de la paix vous donne lui-même la paix, toujours et de toute manière. Que le Seigneur soit avec vous tous.

    AMEN

    Thomas R. Yoder Neufeld est président de la Commission Foi et Vie (au moment de la rédaction). Il est professeur émérite d’études religieuses et théologiques au Conrad Grebel University College de Waterloo, Ontario, Canada, et membre de la First Mennonite Church de Kitchener, Ontario, Canada.

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