Allemagne
Après le lycée, j’ai passé un an en Cisjordanie sous occupation israélienne, où je vivais et travaillais à Tent of Nations,
un projet de paix écologique palestinien et chrétien. J’ai appris beaucoup de choses pendant cette période : à cuisiner sur un feu de bois, à soigner les animaux, et même comment se remettre des gaz lacrymogènes en respirant de l’oignon cru.
Mais ce que j’ai appris de plus transformateur et de plus durable concerne la manière dont je comprends et suis Jésus.
Ce sont les chrétiens palestiniens qui m’ont appris à voir que Bethléem, Nazareth et Jérusalem sont des lieux réels dont l’histoire a façonné Jésus. Son contexte, marqué par l’oppression militaire, économique et culturelle, n’était pas si différent de la situation des Palestiniens aujourd’hui qui grandissent dans des camps de réfugiés en Cisjordanie ou à Gaza. Aujourd’hui comme hier, l’injustice engendre l’amertume et la répression, créant des spirales de violence et des schémas complexes de traumatisme qui semblent inéluctables.
Solidarité avec les opprimés
C’est dans ce monde blessé que Dieu a choisi de venir être solidaire des opprimés et montrer une autre façon de lutter pour la dignité et la liberté — une lutte qui libère à la fois la victime et l’oppresseur.
Les Nassar, mes hôtes luthériens palestiniens, m’ont appris à mettre en pratique l’enseignement de Jésus sur l’amour des ennemis. Sur des rochers placés à l’origine par des soldats israéliens pour barrer la route, ils ont écrit leur manifeste : « Nous refusons d’être des ennemis »
J’ai vu Daher Nassar inviter à prendre le thé des colons armés qui s’étaient introduits sur ses terres, ce qui les a fait reculer, confus. Pour autant, les Nassars ont refusé de renoncer à leur lien avec la terre et à leur rêve d’un avenir commun pour tous.
Les membres juifs et musulmans du Cercle des Parents Endeuillés m’ont également fait découvrir une toute nouvelle conception du pardon. En se réunissant pour pleurer la mort de leurs enfants dans le conflit, ils ont compris que les représailles n’apportaient pas la vie. Seul le pardon a le pouvoir de libérer les gens de l’amertume, de les rendre libres pour œuvrer à la libération de tous.
Réconciliation plutôt que récrimination
Le fait d’avoir vu ces pierres vivantes m’a aidé à regarder en face mon propre enchevêtrement dans ce conflit. Mes deux grands-pères ont combattu dans l’armée nazie et ont contribué à l’assassinat de six millions de juifs en Europe. Les juifs appellent cette atrocité la Shoah, un mot hébreu qui signifie « catastrophe ». Ce crime odieux contre l’humanité représente l’aboutissement de 2 000 ans pendant lesquels les juifs ont été déshumanisés et terrorisés.
Il faut rappeler que cette violence a été perpétrée surtout par des chrétiens. Des non-juifs qui ont oublié qu’ils avaient été adoptés dans le peuple de Dieu par grâce.
L’antisémitisme est le traumatisme qui a créé le besoin d’un État juif. Pourtant, cet État n’a pas été établi sur une « terre vide », comme le veut l’expression coloniale courante, mais en déplaçant des centaines de milliers de Palestiniens, dont les enfants et les petits-enfants vivent toujours en tant que réfugiés apatrides dans le monde entier. Les Palestiniens appellent cela la « Nakba », qui signifie « catastrophe » en arabe.
Ces deux catastrophes sont les blessures fondamentales de ces deux peuples et, comme c’est souvent le cas, nous accordons généralement plus d’attention à nos propres blessures.
Des récits qui déstabilisent
Lors de conversations avec des militants pacifistes israéliens et palestiniens, j’ai appris avec humilité que le fait d’assumer l’héritage de mon implication dans la violence ne me souillait pas. Au contraire, cela a ouvert des conversations sur la forme que peuvent prendre le repentir et la réconciliation.
Ces militants ont parlé de leur lente et douloureuse prise de conscience : réaliser qu’on leur avait menti. Alors que la Shoah était au cœur de l’enseignement israélien, ils n’avaient jamais appris ce qu’était la Nakba.
Dans le même temps, les écoles palestiniennes ne présentaient les sionistes que comme des colonisateurs, tout en omettant qu’ils fuyaient la violence génocidaire de l’Europe.
Les militants pacifistes m’ont appris l’importance de parler de nos histoires et de permettre à la vérité d’autrui de nous déstabiliser. Pour œuvrer en faveur d’une paix juste et durable depuis la Méditerranée jusqu’au Jourdain, nous devons nous repentir de notre antisémitisme profondément ancré ainsi que de notre imaginaire colonial et résister à leurs manifestations dans nos sociétés d’aujourd’hui.
Une image nourrit mon espoir. Chaque année, les Nassar invitaient les gens à venir dans le vignoble pour aider lors des vendange et dissuader de manière non violente la violence des colons. Je me souviens avoir récolté des seaux et des seaux des raisins les plus sucrés que j’aie jamais mangés avec des dizaines de volontaires du monde entier, y compris des Israéliens.
Tant les Israéliens que mes hôtes palestiniens ont pris des risques considérables lors de cette rencontre, car, des deux côtés, des personnes s’opposent catégoriquement à toute forme de coexistence. Pourtant, ils ont consciemment pris le risque, parce qu’ils étaient convaincus que la paix exige des relations de confiance et de solidarité qui ne se développent qu’avec le temps et le travail en commun.
La joie de cette vendange et le festin de houmous, d’olives et de falafels à la pause déjeuner sont devenus un avant-goût de la famille du Royaume que je chéris et dont j’ai hâte de goûter à nouveau.
—Benjamin Isaak-Krauß est co-pasteur avec son épouse Rianna à Mennonitengemeinde Frankfurt, une assemblée de Arbeitsgemeinschaft Mennonitischer Gemeinden (AMG) en Allemagne. Il représente le Deutsche Mennonitische Friedenskomitee (Comité mennonite allemand pour la paix) au sein du comité de pilotage des Community Peacemaker Teams.
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